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– Ces deux dames vont arriver ensemble, dit-il; c'est tres gentil ces diners-la!
Puis il regarda la table, fit eteindre tout a fait un bec de gaz qui brulait en veilleuse, ferma un battant de la fenetre, a cause du courant d'air, et choisit sa place bien a l'abri, en declarant:
– Il faut que je fasse grande attention; j'ai ete mieux pendant un mois, et me voici repris depuis quelques jours. J'aurai attrape froid mardi en sortant du theatre.
On ouvrit la porte et deux jeunes femmes parurent, suivies d'un maitre d'hotel, voilees, cachees, discretes, avec cette allure de mystere charmant qu'elles prennent en ces endroits ou les voisinages et les rencontres sont suspects.
Comme Duroy saluait Mme Forestier, elle le gronda fort de n'etre pas revenu la voir; puis elle ajouta, avec un sourire, vers son amie:
– C'est ca, vous me preferez Mme de Marelle, vous trouvez bien le temps pour elle.
Puis on s'assit, et le maitre d'hotel ayant presente a Forestier la carte des vins, Mme de Marelle s'ecria:
– Donnez a ces messieurs ce qu'ils voudront; quant a nous, du champagne frappe, du meilleur, du champagne doux par exemple, rien autre chose.
Et l'homme etant sorti, elle annonca avec un rire excite:
– Je veux me pocharder ce soir, nous allons faire une noce, une vraie noce.
Forestier, qui paraissait n'avoir pas entendu, demanda:
– Cela ne vous ferait-il rien qu'on fermat la fenetre? j'ai la poitrine un peu prise depuis quelques jours.
– Non, rien du tout.
Il alla donc pousser le battant reste entr'ouvert et il revint s'asseoir avec un visage rasserene, tranquillise.
Sa femme ne disait rien, paraissait absorbee; et, les yeux baisses vers la table, elle souriait aux verres, de ce sourire vague qui semblait promettre toujours pour ne jamais tenir.
Les huitres d'Ostende furent apportees, mignonnes et grasses, semblables a de petites oreilles enfermees en des coquilles, et fondant entre le palais et la langue ainsi que des bonbons sales.
Puis, apres le potage, on servit une truite rose comme de la chair de jeune fille; et les convives commencerent a causer.
On parla d'abord d'un cancan qui courait les rues, l'histoire d'une femme du monde surprise, par un ami de son mari, soupant avec un prince etranger en cabinet particulier.
Forestier riait beaucoup de l'aventure; les deux femmes declaraient que le bavard indiscret n'etait qu'un goujat et qu'un lache. Duroy fut de leur avis et proclama bien haut qu'un homme a le devoir d'apporter en ces sortes d'affaires, qu'il soit acteur, confident ou simple temoin, un silence de tombeau. Il ajouta:
– Comme la vie serait pleine de choses charmantes si nous pouvions compter sur la discretion absolue les uns des autres. Ce qui arrete souvent, bien souvent, presque toujours les femmes, c'est la peur du secret devoile.
Puis il ajouta, souriant:
– Voyons, n'est-ce pas vrai? Combien y en a-t-il qui s'abandonneraient a un rapide desir, au caprice brusque et violent d'une heure, a une fantaisie d'amour, si elles ne craignaient de payer par un scandale irremediable et par des larmes douloureuses un court et leger bonheur!
Il parlait avec une conviction contagieuse, comme s'il avait plaide une cause, sa cause, comme s'il eut dit: «Ce n'est pas avec moi qu'on aurait a craindre de pareils dangers. Essayez pour voir.»
Elles le contemplaient toutes les deux, l'approuvant du regard, trouvant qu'il parlait bien et juste, confessant par leur silence ami que leur morale inflexible de Parisienne n'aurait pas tenu longtemps devant la certitude du secret.
Et Forestier, presque couche sur le canape, une jambe repliee sous lui, la serviette glissee dans son gilet pour ne point maculer son habit, declara tout a coup, avec un rire convaincu de sceptique:
– Sacristi oui, on s'en paierait si on etait sur du silence. Bigre de bigre! les pauvres maris!
Et on se mit a parler d'amour. Sans l'admettre eternel, Duroy le comprenait durable, creant un lien, une amitie tendre, une confiance! L'union des sens n'etait qu'un sceau a l'union des coeurs. Mais il s'indignait des jalousies harcelantes, des drames, des scenes, des miseres qui, presque toujours, accompagnent les ruptures.
Quand il se tut, Mme de Marelle soupira:
– Oui, c'est la seule bonne chose de la vie, et nous la gatons souvent par des exigences impossibles.
Mme Forestier, qui jouait avec un couteau, ajouta: