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Apres avoir allume une ligne de becs de gaz conduisant jusqu'au fond d'un second caveau, ou se dressait un homme de fer peint en rouge et en bleu, il posa sur une table deux paires de pistolets d'un systeme nouveau se chargeant par la culasse, et il commenca les commandements d'une voix breve comme si on eut ete sur le terrain.
– Pret?
– Feu! – un, deux, trois.
Duroy, aneanti, obeissait, levait les bras, visait, tirait, et comme il atteignait souvent le mannequin en plein ventre, car il s'etait beaucoup servi dans sa premiere jeunesse d'un vieux pistolet d'arcon de son pere pour tuer des oiseaux dans la cour, Jacques Rival satisfait declarait:
– Bien – tres bien – tres bien – vous irez – vous irez.
Puis il le quitta:
– Tirez comme ca jusqu'a midi. Voila des munitions, n'ayez pas peur de les bruler. Je viendrai vous prendre pour dejeuner et vous donner des nouvelles.
Et il sortit.
Reste seul, Duroy tira encore quelques coups, puis il s'assit et se mit a reflechir.
Comme c'etait bete, tout de meme, ces choses-la! Qu'est-ce que ca prouvait? Un filou etait-il moins un filou apres s'etre battu? Que gagnait un honnete homme insulte a risquer sa vie contre une crapule? Et son esprit, vagabondant dans le noir, se rappela les choses dites par Norbert de Varenne sur la pauvrete d'esprit des hommes, la mediocrite de leurs idees et de leurs preoccupations, la niaiserie de leur morale!
Et il declara tout haut: «Comme il a raison, sacristi!»
Puis il sentit qu'il avait soif, et ayant entendu un bruit de gouttes d'eau derriere lui, il apercut un appareil a douches et il alla boire au bout de la lance. Puis il se remit a songer. Il faisait triste dans cette cave, triste comme dans un tombeau. Le roulement lointain et sourd des voitures semblait un tremblement d'orage eloigne. Quelle heure pouvait-il etre? Les heures passaient la dedans comme elles doivent passer au fond des prisons, sans que rien les indique et que rien les marque, sauf les retours du geolier portant les plats. Il attendit, longtemps, longtemps.
Puis tout d'un coup il entendit des pas, des voix, et Jacques Rival reparut, accompagne de Boisrenard. Il cria des qu'il apercut Duroy:
– C'est arrange!
L'autre crut l'affaire terminee par quelque lettre d'excuses; son coeur bondit, et il balbutia:
– Ah!.. merci.
Le chroniqueur reprit:
– Ce Langremont est tres carre, il a accepte toutes nos conditions. Vingt-cinq pas, une balle au commandement en levant le pistolet. On a le bras beaucoup plus sur ainsi qu'en l'abaissant. Tenez, Boisrenard, voyez ce que je vous disais.
Et prenant des armes il se mit a tirer en demontrant comment on conservait bien mieux la ligne en levant le bras.
Puis il dit:
– Maintenant, allons dejeuner, il est midi passe.
Et ils se rendirent dans un restaurant voisin. Duroy ne parlait plus guere. Il mangea pour n'avoir pas l'air d'avoir peur, puis dans le jour il accompagna Boisrenard au journal et il fit sa besogne d'une facon distraite et machinale. On le trouva crane.
Jacques Rival vint lui serrer la main vers le milieu de l'apres-midi; et il fut convenu que ses temoins le prendraient chez lui en landau, le lendemain a sept heures du matin, pour se rendre au bois du Vesinet ou la rencontre aurait lieu.
Tout cela s'etait fait si inopinement, sans qu'il y prit part, sans qu'il dit un mot, sans qu'il donnat son avis, sans qu'il acceptat ou refusat, et avec tant de rapidite qu'il demeurait etourdi, effare, sans trop comprendre ce qui se passait.
Il se retrouva chez lui vers neuf heures du soir apres avoir dine chez Boisrenard, qui ne l'avait point quitte de tout le jour par devouement.
Des qu'il fut seul, il marcha pendant quelques minutes, a grands pas vifs, a travers sa chambre. Il etait trop trouble pour reflechir a rien. Une seule idee emplissait son esprit: – Un duel demain, – sans que cette idee eveillat en lui autre chose qu'une emotion confuse et puissante. Il avait ete soldat, il avait tire sur des Arabes, sans grand danger pour lui, d'ailleurs, un peu comme on tire sur un sanglier, a la chasse.
En somme, il avait fait ce qu'il devait faire. Il s'etait montre ce qu'il devait etre. On en parlerait, on l'approuverait, on le feliciterait. Puis il prononca a haute voix, comme on parle dans les grandes secousses de pensee: «Quelle brute que cet homme!»
Il s'assit et se mit a reflechir. Il avait jete sur sa petite table une carte de son adversaire remise par Rival, afin de garder son adresse. Il la relut comme il l'avait deja lue vingt fois dans la journee. Louis Langremont, 176, rue Montmartre. Rien de plus.
Il examinait ces lettres assemblees qui lui paraissaient mysterieuses, pleines de sens inquietants. «Louis Langremont», qui etait cet homme? De quel age? De quelle taille? De quelle figure? N'etait-ce pas revoltant qu'un etranger, un inconnu, vint ainsi troubler votre vie, tout d'un coup, sans raison, par pur caprice, a propos d'une vieille femme qui s'etait querellee avec son boucher?
Il repeta encore une fois, a haute voix: «Quelle brute!»
Et il demeura immobile, songeant, le regard toujours plante sur la carte. Une colere s'eveillait en lui contre ce morceau de papier, une colere haineuse ou se melait un etrange sentiment de malaise. C'etait stupide cette histoire-la! Il prit une paire de ciseaux a ongles qui trainaient et il les piqua au milieu du nom imprime comme s'il eut poignarde quelqu'un.