La gu?pe rouge (Красная оса)

продолжение серии книг про Фантомаса
PIERRE SOUVESTRE
ET MARCEL ALLAIN
LA GU^EPE
ROUGE
19
Arth`eme Fayard
1912
Cercle du Bibliophile
1970-1972
R'evision et Annotations
de PMV
2012
1 – LA DAME AUX CHEVEUX BLANCS
— Et maintenant, que la f^ete commence ! Brigitte, versez-nous le champagne.
La domestique, une jeune servante `a la mine d'elur'ee, assistait, attentive, au repas de ses ma^itres. Elle rougit imperceptiblement en recevant cet ordre qu’elle ex'ecuta aussit^ot. Le vin mousseux p'etilla dans les verres des convives.
Ils 'etaient trois, M. et Mme de Keyrolles, qui recevaient `a d^iner, ce soir-l`a, leur jeune neveu, Jacques Faramont.
M. Louis de Keyrolles, gros homme d’une cinquantaine d’ann'ees, au visage jovial, au ventre bedonnant, se leva, et, levant son verre d’un geste aimable et gracieux, il salua d’abord, par-dessus la table, sa femme plac'ee en face de lui. Puis, se tournant vers sa droite et regardant son jeune invit'e avec un petit air `a la fois narquois et affectueux, il commenca sur un ton pompeux :
— Mon cher Jacques, je ne suis pas un orateur, bien loin de l`a, et je m’en voudrais, dans une famille comme la n^otre, d’oser pr'etendre te faire un discours. Ce n’est l`a ni mon m'etier, ni mon d'esir, je vais donc me contenter de te parler avec mon coeur. Je l`eve mon verre et je bois ce champagne en t’invitant `a faire de m^eme, et ceci dans le but de consacrer le grand 'ev'enement qui vient de se produire dans ta vie. Tu viens aujourd’hui d’^etre nomm'e avocat. Te voil`a stagiaire au Barreau de Paris, et c’est la plus belle carri`ere du monde qui s’ouvre d'esormais devant toi. Je suis s^ur que tu sauras la remplir dignement.
— Mon oncle… commenca le jeune homme qui semblait fort 'emu.
— J’ajoute, mon cher Jacques, qu’il t’a 'et'e donn'e, ce qui est rare, d’avoir 'et'e pr'esent'e aux magistrats de la Premi`ere chambre pour y pr^eter ton serment d’avocat, par un b^atonnier qui n’est pas, pour toi, un b^atonnier ordinaire. Le berger du troupeau dans lequel tu te trouvais n’est autre, en effet, que ton p`ere, mon cher beau-fr`ere, Ma^itre Henri Faramont. Tu entres dans la carri`ere, Jacques, sous d’heureux auspices, et il ne te reste plus qu’`a suivre dignement les traces de celui qui t’a 'elev'e.
Mme de Keyrolles intervint :
— Mon cher Louis, dit-elle, s’adressant `a son mari, malgr'e votre modestie, vous m’apparaissez comme digne de lutter avec mon fr`ere. Votre discours 'etait tr`es bien, et je suis s^ure qu’il a touch'e Jacques jusqu’au fond du coeur.
— Ca, c’est vrai, ma tante ! s’'ecria spontan'ement le jeune homme, qui rougissait de plus en plus.
M. de Keyrolles haussa les 'epaules.
— Que voulez-vous, Augustine, r'epliqua-t-il en s’adressant `a sa femme, je ne puis pas oublier que, moi aussi, j’ai voulu ^etre le d'efenseur de la veuve et de l’orphelin. Vois-tu, Jacques, cela ne date pas d’hier, mais remonte `a vingt-cinq ans. Ton p`ere et moi nous venions de finir notre droit, et sit^ot notre dipl^ome de licenci'e dans la poche, nous nous faisions inscrire au Barreau. Jusqu’alors, nous 'etions l’un et l’autre deux bonshommes assez insignifiants et fr'equentant volontiers les caf'es du Quartier latin, de pr'ef'erence `a la Facult'e. Mais, aussit^ot inscrits avocats, les choses ont chang'e, ton p`ere prenait position `a la Conf'erence et ne tardait pas `a en devenir le secr'etaire. Il 'etait l’enfant g^at'e des ma^itres du Barreau. Moi, je restais dans le rang et apr`es quelques plaidoiries « `a l’oeil » pour l’assistance judiciaire, j’ai fini par mal tourner.
— Mal tourner ? s’'ecria Mme de Keyrolles. Vous exag'erez, mon ami ! Oubliez-vous donc que vous avez fait une carri`ere brillante et honorable en tout point ?
Jacques Faramont ajouta :
— Le directeur de la compagnie d’assurance L’'Epargne, mon cher oncle, n’est pas le premier venu, et je voudrais pouvoir dire dans vingt ans que j’ai men'e ma barque aussi bien que vous.
M. de Keyrolles se rengorgeait :
— Je ne dis pas non, je ne dis pas non ! Il y a 'evidemment pas mal de sots m'etiers, et j’ai fait de mon mieux. Mais c’est 'egal, continua-t-il en versant du champagne `a son neveu, la carri`ere d’avocat est la plus belle qui soit au monde. D'efendre la veuve et l’orphelin, c’est magnifique !
— Je plaiderai aussi tr`es volontiers aux Assises, dit Jacques.
— Les Assises, sans doute, mais c’est plus d'elicat, plus ennuyeux, au point de vue moral, s’entend. Certes, les criminels ont droit `a la piti'e de la soci'et'e, mais il en est cependant que l’honn^ete homme r'epugne `a d'efendre. Il est de ces assassins tellement monstrueux et sanguinaires…
Jacques Faramont sourit. Il interrompit son oncle et d'eclara, compl'etant sa pens'ee :
— Fant^omas, par exemple… Ce serait pourtant une belle cause !
M. de Keyrolles leva les bras au ciel.
— Fant^omas, Fant^omas, 'evidemment, mais enfin… D’ailleurs, Fant^omas n’est pas arr^et'e, que je sache.
— En effet.
Mme de Keyrolles se leva de table :
— Passons au salon, dit-elle. Ne nous attardons pas ici. J’ai promis `a Brigitte qu’elle pourrait sortir ce soir, et voici qu’il est d'ej`a tout pr`es de neuf heures.
Malgr'e lui, le jeune Jacques Faramont tressaillit.
— Ma tante, murmura-t-il `a l’oreille de Mme de Keyrolles, vous m’excuserez de vous quitter aussi rapidement, mais je vous demanderai la permission de partir dans un quart d’heure. J’ignorais qu’il f^ut si tard.