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Dans ces conditions, il n'a d'autre solution que de «se donner», c'est-`a-dire choisir, des cadres conceptuelsqui lui serviront de base de comparaison [Lazard 1999: 99-103, r'eimpr. 2001: 28–39]. Ces cadres conceptuels sont arbitraires, en ce sens qu'ils ne r'esultent pas d'un raisonnement rigoureux ni d'une observation syst'ematique, mais d'une d'ecision m'ethodologique. Ils sont fond'es sur l'intuition et peuvent surgir de toute esp`ece d'exp'erience, sens commun, connaissance du monde en g'en'eral, convictions philosophiques, suggestions tir'ees de la psychologie. En particulier et tout particuli`erement, le linguiste tire parti de sa familiarit'e avec des langues diverses. Ces cadres conceptuels sont 'evidemment conjecturaux, puisque purement intuitifs, mais ce ne sont pas des hypoth`eses au sens scientifique du terme.
Ils ne sont pas v'erifiables par l'examen des donn'ees offertes `a l'observation. Ce sont des instruments de la recherche, en l'occurrence des moyens utilis'es pour comparer les langues. Leur valeur r'eside dans leur f'econdit'e. Il n'y a pas lieu de se demander s'ils sont justes ou faux, mais s'ils sont productifs ou non. S'ils permettent de d'ecouvrir des relations int'eressantes comm^imes `a des langues diverses, ils ont rempli leur fonction. S'ils n'aboutissent pas `a des d'ecouvertes, il faut les abandonner et en construire d'autres.
Pour l''etude de la transitivit'e nous choisissons comme point de d'epart, c'est-`a-dire comme cadre conceptuel, la notion d'«action prototypique», que nous d'efinissons de la facon suivante:
(1) D'efinition: Une action prototypiqueest une action r'eelle, compl`ete, discr`ete, volontaire, exerc'ee par un agent humain bien individu'e sur un patient bien individu'e qui en est affect'e r'eellement.
On admettra facilement que toutes les langues ont le moyen d'exprimer un proc`es ainsi d'efini. Autrement dit, il existe dans toutes les langues une construction employ'ee pour exprimer une action prototypique. Cela ne signifie pas que, dans toutes les langues, cette construction sert exclusivement `a cela. Bien au contraire, dans beaucoup de langues, et m^eme probablement, dans la plupart, elle peut servir `a exprimer autre chose, actions non prototypiques ou m^eme proc`es qui ne sont pas des actions. Mais c'est cette construction qui est employ'ee lorsqu'il s'agit d'exprimer une action prototypique, c'est-`a-dire poss'edant les caract'eristiques indiqu'ees dans la d'efinition (1). Nous l'appelons «construction biactancielle majeure» (sigle: CBM).
(2) D'efinition: La construction biactancielle majeure(CBM) est, en toute langue, celle qui sert `a exprimer l'action prototypique.
Cette construction prend, selon les langues, des formes vari'ees. Elle peut ^etre accusative ou ergative, comporter ou non des indices actan-ciels (marques personnelles ou autres) dans la forme verbale, mettre en jeu ou non des marques casuelles dans les termes nominaux, impliquer un ordre des mots obligatoire ou pr'ef'erentiel, etc. Quelles que soient ces formes, elles ont toutes en commun d'^etre susceptibles de d'enoter un m^eme type de contenu s'emantique, `a savoir des actions prototypiques.
Nous disposons ainsi, pour la comparaison des langues, d'un point fixe, qui consiste en deux 'el'ements corr'el'es:
— sur le plan du contenu de sens ou, en termes saussuriens, des signifi'es, la notion d'action prototypique,
— sur le plan morphosyntaxique ou des signifiants, la construction biactancielle majeure, qui assume des formes diff'erentes dans les diverses langues.
Nous avons donc `a la fois, d'une part, un contenu de sens bien d'efini commun `a toutes les langues et, d'autre part, des formes diff'erentes exprimant ce contenu de sens dans les langues diff'erentes. Nous sommes d`es lors en mesure de comparer l'egitimement ces formes diff'erentes sur la base du contenu de sens commun. Nous pouvons aussi comparer l'extension s'emantique que prend, diff'eremment dans les diff'erentes langues, l'usage de la CBM, c'est-`a-dire examiner, dans une perspective comparative, quels sont les sens qu'elle peut exprimer, dans chaque langue, en plus de l'action prototypique. Nous verrons que ce champ de recherche ne manque pas d'int'er^et.
Ce qui pr'ec`ede (§ 4) constitue la premi`ere 'etape de la d'emarche: nous avons 'elabor'e un cadre conceptuel pour servir de base `a la comparaison des langues, c'est-`a-dire un instrumentde travail choisi librement. La deuxi`eme 'etape consiste `a former une hypoth`ese v'erifiable par l'observation. Notre hypoth`ese est que la notion traditionnelle et confuse de transitivit'e est fond'ee sur l'id'ee implicite d'action prototypique.
(3) Hypoth`ese: La CBM est, en toute langue, la construction transitive.
Cette hypoth`ese est assez facile `a v'erifier. La CBM, c'est-`a-dire la construction utilis'ee pour d'ecrire une action prototypique, est, en francais et dans les langues voisines, celle qu'on appelle ordinairement transitive, avec un objet direct En latin et autres langues du m^eme type, c'est celle qui comporte un objet `a l'accusatif.
Dans les langues ergatives, c'est aussi celle que l'on qualifie habituellement de transitive. Par exemple, le tcherkesse a des constructions biactancielles de deux types diff'erents [Paris 1991: 34]. Toutes deux incluent un terme au cas direct et un pr'efixe actanciel cor'ef'erent de ce terme et plac'e en premi`ere position dans la forme verbale. Mais l'autre terme est diff'erent dans les deux constructions. Dans l'une, c'est un terme nominal au cas oblique qui g'en'eralement n'est pas en t^ete de phrase et qui est cor'ef'erent d'un pr'efixe verbal dit de «deuxi`eme s'erie» ou de «deuxi`eme position» (ex. 4).