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J'ai ferme les portes. Il y avait les fleurs qu'elle avait cueillies pour moi : je les ai embrassees ; j'ai voulu respirer tous leurs parfums a la fois, en y cherchant ceux des vetements de Marie ; je les ai baignees de mes larmes.... Ah, vous qui n'avez pas pleure de bonheur comme cela, pleurez de desespoir, si votre adolescence est passee, parce que vous n'aimerez plus jamais !
Premier amour !… noble orgueil de se sentir aime : doux sacrifice de tout ce qui nous etait cher auparavant en faveur de la femme aimee : bonheur que, achete pour un jour avec les larmes de toute une existence, nous recevrions comme un don de Dieu : parfum pour toutes les heures de l'avenir : lumiere inextinguible du passe : fleur gardee dans l'ame et qu'il n'est pas donne aux deceptions de fletrir : seul tresor que l'envie des hommes ne peut nous arracher : delire delicieux… inspiration venue du ciel… Marie, Marie, comme je t'ai aimee, comme je t'ai aimee, comme je t'ai aimee, comme je t'ai aimee, comme je t'ai aimee…
Chapitre VII
Lorsque mon pere fit son dernier voyage aux Antilles, Salomon, un de ses cousins qu'il aimait beaucoup depuis son enfance, venait de perdre sa femme. Tres jeunes, ils etaient partis ensemble pour l'Amerique du Sud et, au cours d'un de leurs voyages, mon pere etait tombe amoureux de la fille d'un Espagnol, intrepide capitaine de vaisseau, qui, apres avoir quitte le service pendant quelques annees, avait ete force en 1819 de reprendre les armes pour defendre les rois d'Espagne et qui avait ete fusille a Majagual le 20 mai 1820.
La mere de la jeune femme que mon pere aimait exigeait qu'il renonce a la religion juive pour la lui donner comme epouse. Mon pere devint chretien a l'age de vingt ans. A l'epoque, sa cousine aimait la religion catholique, mais il n'a pas cede a son insistance de se faire baptiser a son tour, car il savait que ce que mon pere avait fait pour lui donner la femme qu'il voulait l'empecherait d'etre accepte par la femme qu'il aimait en Jamaique.
Apres quelques annees de separation, les deux amis se retrouvent. Salomon etait deja veuf. Sarah, sa femme, lui avait laisse un enfant qui avait alors trois ans. Mon pere le trouva moralement et physiquement defigure par le chagrin, puis sa nouvelle religion lui apporta des reconforts pour son cousin, reconforts que les proches avaient vainement cherches pour le sauver. Il pressa Salomon de lui donner sa fille pour l'elever a nos cotes, et il osa proposer d'en faire une chretienne. Salomon y consentit en disant : "Il est vrai que ma fille seule m'a empeche d'entreprendre un voyage aux Indes, qui aurait ameliore mon esprit et remedie a ma pauvrete ; elle a aussi ete mon seul reconfort apres la mort de Sarah ; mais si vous le voulez, qu'elle soit votre fille. Les femmes chretiennes sont douces et bonnes, et votre femme doit etre une sainte mere. Si le christianisme apporte dans les malheurs supremes le soulagement que vous m'avez donne, peut-etre rendrais-je ma fille malheureuse en la laissant juive. Ne le dites pas a nos parents, mais lorsque vous atteindrez la premiere cote ou il y aura un pretre catholique, faites-la baptiser et changez le nom d'Esther en celui de Marie. C'est ce que dit le malheureux en versant beaucoup de larmes.
Quelques jours plus tard, la goelette qui devait emmener mon pere sur la cote de la Nouvelle-Grenade appareillait a Montego Bay. Le bateau leger essayait ses ailes blanches, comme un heron de nos forets essaie ses ailes avant de s'envoler pour un long vol. Salomon entra dans la chambre de mon pere, qui venait de finir de raccommoder son costume de bord, portant Esther assise dans un de ses bras, et suspendu a l'autre un coffre contenant les bagages de l'enfant : elle tendit ses petits bras a son oncle, et Salomon, la placant dans ceux de son ami, se laissa tomber en sanglotant sur la petite botte. Cette enfant, dont la tete precieuse venait de baigner d'une pluie de larmes le bapteme de la douleur plutot que la religion de Jesus, etait un tresor sacre ; mon pere le savait bien, et ne l'oublia jamais. Au moment de sauter dans le bateau qui devait les separer, son ami rappela a Solomon une promesse, et il repondit d'une voix etranglee : "Les prieres de ma fille pour moi, et les miennes pour elle et sa mere, monteront ensemble jusqu'aux pieds du Crucifie.
J'avais sept ans lorsque mon pere revint, et je dedaignai les precieux jouets qu'il m'avait apportes de son voyage, pour admirer cette belle, douce et souriante enfant. Ma mere la couvrait de caresses, et mes soeurs de tendresse, des que mon pere la deposa sur les genoux de sa femme et lui dit : "Voici la fille de Salomon, qu'il t'envoie.
Au cours de nos jeux enfantins, ses levres ont commence a moduler les accents castillans, si harmonieux et seduisants dans la bouche d'une jolie femme et dans celle, rieuse, d'un enfant.
Cela doit remonter a six ans environ. Un soir, en entrant dans la chambre de mon pere, je l'entendis sangloter ; ses bras etaient croises sur la table et son front appuye sur eux ; pres de lui, ma mere pleurait et Marie appuyait sa tete sur ses genoux, ne comprenant pas sa douleur et presque indifferente aux lamentations de son oncle ; c'est qu'une lettre de Kingston, recue ce jour-la, donnait la nouvelle de la mort de Salomon. Je ne me souviens que d'une seule expression de mon pere cet apres-midi-la : "S'ils me quittent tous sans que je puisse recevoir leurs derniers adieux, pourquoi retournerais-je dans mon pays ? Helas ! ses cendres devraient reposer dans un pays etranger, sans que les vents de l'ocean, sur les rives duquel il s'est ebattu enfant, dont il a traverse l'immensite jeune et ardente, ne viennent balayer sur la dalle de son sepulcre les fleurs seches des rameaux de la floraison et la poussiere des annees !
Peu de personnes connaissant notre famille auraient soupconne que Maria n'etait pas la fille de mes parents. Elle parlait bien notre langue, etait gentille, vive et intelligente. Lorsque ma mere lui caressait la tete en meme temps que mes soeurs et moi, personne n'aurait pu deviner qui etait l'orpheline.
Elle avait neuf ans. Les cheveux abondants, encore d'un brun clair, flottant librement et virevoltant autour de sa taille fine et mobile ; les yeux bavards ; l'accent avec quelque chose de melancolique que nos voix n'avaient pas ; telle etait l'image que j'emportais d'elle en quittant la maison de ma mere : telle elle etait le matin de ce triste jour, sous les plantes grimpantes des fenetres de ma mere.
Chapitre VIII
En debut de soiree, Emma frappa a ma porte pour venir a table. Je me suis lave le visage pour cacher les traces de larmes et j'ai change de robe pour excuser mon retard.
Mary n'etait pas dans la salle a manger, et j'imaginais vainement que ses occupations l'avaient retardee plus longtemps que d'habitude. Mon pere, remarquant un siege inoccupe, la demanda, et Emma l'excusa en disant qu'elle avait mal a la tete depuis l'apres-midi et qu'elle dormait. J'essayai de ne pas me laisser impressionner et, m'efforcant de rendre la conversation agreable, je parlai avec enthousiasme de toutes les ameliorations que j'avais trouvees dans les proprietes que nous venions de visiter. Emma et ma mere se leverent pour mettre les enfants au lit et voir comment allait Maria, ce dont je les remerciai et ne m'etonnai plus du meme sentiment de gratitude.