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Forestier murmura:
– Bigre, ca n'est pas gras.
– Je te crois. Mais comment veux-tu que je m'en tire? Je suis seul, je ne connais personne, je ne peux me recommander de personne. Ce n'est pas la bonne volonte qui me manque, mais les moyens.
Son camarade le regarda des pieds a la tete, en homme pratique, qui juge un sujet, puis il prononca d'un ton convaincu:
– Vois-tu, mon petit, tout depend de l'aplomb, ici. Un homme un peu malin devient plus facilement ministre que chef de bureau. Il faut s'imposer et non pas demander. Mais comment diable n'as-tu pas trouve mieux qu'une place d'employe au Nord?
Duroy reprit:
– J'ai cherche partout, et je n'ai rien decouvert. Mais j'ai quelque chose en vue en ce moment, on m'offre d'entrer comme ecuyer au manege Pellerin. La, j'aurai, au bas mot, trois mille francs.
Forestier s'arreta net:
– Ne fais pas ca, c'est stupide, quand tu devrais gagner dix mille francs. Tu te fermes l'avenir du coup. Dans ton bureau, au moins tu es cache, personne ne te connait, tu peux en sortir si tu es fort, et faire ton chemin. Mais une fois ecuyer, c'est fini. C'est comme si tu etais maitre d'hotel dans une maison ou Tout-Paris va diner. Quand tu auras donne des lecons d'equitation aux hommes du monde ou a leurs fils, ils ne pourront plus s'accoutumer a te considerer comme leur egal.
Il se tut, reflechit quelques secondes, puis demanda:
– Es-tu bachelier?
– Non. J'ai echoue deux fois.
– Ca ne fait rien, du moment que tu as pousse tes etudes jusqu'au bout. Si on parle de Ciceron ou de Tibere, tu sais a peu pres ce que c'est?
– Oui, a peu pres.
– Bon, personne n'en sait davantage, a l'exception d'une vingtaine d'imbeciles qui ne sont pas fichus de se tirer d'affaire. Ca n'est pas difficile de passer pour fort, va; le tout est de ne pas se faire pincer en flagrant delit d'ignorance. On manoeuvre, on esquive la difficulte, on tourne l'obstacle, et on colle les autres au moyen d'un dictionnaire. Tous les hommes sont betes comme des oies et ignorants comme des carpes.
Il parlait en gaillard tranquille qui connait la vie, et il souriait en regardant passer la foule. Mais tout d'un coup il se mit a tousser, et s'arreta pour laisser finir la quinte, puis, d'un ton decourage:
– Est-ce pas assommant de ne pouvoir se debarrasser de cette bronchite? Et nous sommes en plein ete. Oh! cet hiver, j'irai me guerir a Menton. Tant pis, ma foi, la sante avant tout.
Ils arriverent au boulevard Poissonniere, devant une grande porte vitree, derriere laquelle un journal ouvert etait colle sur les deux faces. Trois personnes arretees le lisaient.
Au-dessus de la porte s'etalait, comme un appel, en grandes lettres de feu dessinees par des flammes de gaz: La Vie Francaise. Et les promeneurs passant brusquement dans la clarte que jetaient ces trois mots eclatants apparaissaient tout a coup en pleine lumiere, visibles, clairs et nets comme au milieu du jour, puis rentraient aussitot dans l'ombre.
Forestier poussa cette porte:
– Entre, dit-il.
Duroy entra, monta un escalier luxueux et sale que toute la rue voyait, parvint dans une antichambre, dont les deux garcons de bureau saluerent son camarade, puis s'arreta dans une sorte de salon d'attente, poussiereux et fripe, tendu de faux velours d'un vert pisseux, crible de taches et ronge par endroits, comme si des souris l'eussent grignote.
– Assieds-toi, dit Forestier, je reviens dans cinq minutes.
Et il disparut par une des trois sorties qui donnaient dans ce cabinet.
Une odeur etrange, particuliere, inexprimable, l'odeur des salles de redaction, flottait dans ce lieu. Duroy demeurait immobile, un peu intimide, surpris surtout. De temps en temps des hommes passaient devant lui, en courant, entres par une porte et partis par l'autre avant qu'il eut le temps de les regarder.
C'etaient tantot des jeunes gens, tres jeunes, l'air affaire, et tenant a la main une feuille de papier qui palpitait au vent de leur course; tantot des ouvriers compositeurs, dont la blouse de toile tachee d'encre laissait voir un col de chemise bien blanc et un pantalon de drap pareil a celui des gens du monde; et ils portaient avec precaution des bandes de papier imprime, des epreuves fraiches, tout humides. Quelquefois un petit monsieur entrait, vetu avec une elegance trop apparente, la taille trop serree dans la redingote, la jambe trop moulee sous l'etoffe, le pied etreint dans un soulier trop pointu, quelque reporter mondain apportant les echos de la soiree.
D'autres encore arrivaient, graves, importants, coiffes de hauts chapeaux a bords plats, comme si cette forme les eut distingues du reste des hommes.
Forestier reparut tenant par le bras un grand garcon maigre, de trente a quarante ans, en habit noir et en cravate blanche, tres brun, la moustache roulee en pointes aigues, et qui avait l'air insolent et content de lui.
Forestier lui dit:
– Adieu, cher maitre.
L'autre lui serra la main:
– Au revoir, mon cher.
Et il descendit l'escalier en sifflotant, la canne sous le bras.
Duroy demanda:
– Qui est-ce?
– C'est Jacques Rival, tu sais, le fameux chroniqueur, le duelliste. Il vient de corriger ses epreuves. Garin, Montel et lui sont les trois premiers chroniqueurs d'esprit et d'actualite que nous ayons a Paris. Il gagne ici trente mille francs par an pour deux articles par semaine.
Et comme ils s'en allaient, ils rencontrerent un petit homme a longs cheveux, gros, d'aspect malpropre, qui montait les marches en soufflant.