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Je l’ai vu couler, ce sang si beau, si vermeil, j’ai vu se marier son doux vermillon `a la blancheur 'eblouissante du plus joli pied du monde, de la jambe la mieux arrondie que j’aie eu le bonheur de voir de ma vie. Oui, Madame, j’'etais ravi, extasi'e; et un moment apr`es je vous en voulais mortellement. Peut-on m'enager si peu une sant'e pr'ecieuse comme vous le fa^ites? Et pourquoi? pour le vain plaisir de braver les dangers, ou plut^ot, si j’ose le deviner, pour le plaisir de narguer tout le monde. J’ai pouss'e jusqu’`a l’imprudence le tendre int'er^et que je vous porte. Grondez-moi, Madame! j’ai perdu le t^ete, j’ai 'et'e b^ete, je ne comprenais plus ce que je disais. Et quel en fut le prix? Madame m’a refus'e une manche qu’elle-m^eme m’avait promis un instant d’avance. Ah! si vous voulez me faire perdre le souvenir p 'enible de ce refus, consentez 'a me faire une gr^ace que je vous demande au nom de cet amour qui me consume: c’est de me remettre l’appareil ensanglant'e qui a 'et'e mis sur votre pied apr`es la saign'ee.
Je le porterai souvent sur mon c oeur et peut-^etre parviendra-t-il `a soula-ger les peines que ce pauvre coeur endure. Le sang frais et pur a toujours eu la vertu de neutraliser les effets d'evorants d’un poison lent et infaillible.
Je crus remarquer quelque chose de sinistre dans les regards de M. le Bel-vison: se pourrait-il? Non, loin de moi cette id 'ee, elle me serre le coeur.
Une mis 'erable petite conqu^ete comme celle de mon pauvre individu, ne peut flatter personne: aussi je ne m'erite pas qu’on me m'enage: on peut me per-mettre d’attraper l’ombre du bonheur quand on n’a rien de mieux `a faire. Mais je me rappelle bien que vous m’avez autoris'e `a vous suivre partout. Oui, Madame, je vous suivrai comme votre ombre, je vous suivrai partout, au risque d’^etre soufflet'e ou chass'e par vous. Foi d’homme d’honneur, je le ferai (sauf de blesser les convenances) et je vous r'ep'eterai sans cesse
Tout `a vous, de coeur et d’^ame O. Somoff.Une journ 'ee enti`ere sans vous voir, Madame! jugez de ma peine cruelle! Depuis quelque temps je suis si accoutum'e, si heureux d’^etre pr`es de vous, que tous les instants que je passe loin de vous me semblent perdues pour mon existence. H'elas! je me cr'ee un bonheur bas'e sur m a perte! je m’enivre dans une coupe dont le fond contient ma mort.
Encore vingt-quatre heures mortelles! mon ^ame se dechire. Si vous m’avez vu pleurer, comme un enfant, pleurer `a chaudes larmes dans mon lit, et manger mes ennuis en pr'esence des personnes qui me connaissent, peut-^etre que vous n’auriez pas ri de mes tourments; peut-^etre que vous auriez m^eme 'et'e attendrie en me voyant souffrir. Je ne peux ni rien penser, ni rien faire; la pre-mi`ere id'ee, la premi`ere image qui se pr'esente `a mon esprit, c’est toujours vous. Je veux tracer quelques lignes, et c’est votre portrait que je vois sur le papier, je veux articuler quelque phrase, et c’est votre nom que je prononce in-volontairement: je me tais, je r^eve et je ne r^eve que vous.
J’ai fait, dans la nuit d’hier, un r^eve qui semble pronostiquer ma future destin'ee. D’abord c’est toujours votre image qui m’avait apparu: elle planait au-dessus de ma t^ete, elle avait quelque chose d’incorporel, elle 'etait entour'ee d’une clart'e c'eleste. Ensuite j’ai vu qu’on me mariait `a feue ma m`ere. Un froid mortel a coul'e dans mes veines, je me suis 'eveill'e en sursaut et j’essuyai la sueur mortelle qui inondait mon visage. J’ai cru lire dans le livre du destin: c’est vous. Madame, oui, c’est vous qui ne tarderez pas de me marier `a la mort. Ne croyez pas que je vous en accuse, c’est mon sort, c’'etait 'ecrit l`a-haut o`u peut-^etre m^eme avant que j aie commenc'e d’exister. C’est l`a qu’il 'etait prescrit que je devrais ^etre un jour entra^in'e par un charme irr'esistible, entra^in'e sous les lois d’une femme incomparable, que dis-je? d’une divinit'e `a qui je sacrifie tous les pulsations de mon coeur, tout le souffle de ma vie, et qui devrait me payer d’une indiff'erence, d’une froideur, qui opprime le coeur malheureux et qui abreuve mes jours d’une amertume de la mort.
Ma pauvre t ^ete s’'egare, c’est un 'etat d’exaltation, c’est une fi`evre lente que j’'eprouve. Je ne peux plus 'ecrire, je peux pleurer.
Pardon, Madame, si j ’ose Vous d'eceler une partie de ce trouble de mon ^ame, de ce d'erangement de mes id'ees… Oh! qu’il m’est doux de pouvoir dire encore
Tout `a vous, jusqu’`a ma derni `ere respiration O. Somoff.…Madame m’a dit au souper d’avant hier, que je la compromettrai. En quoi, donc, Madame, je me rappelle bien de n’avoir dit tout ce temps-l`a, que des choses tr`es indiff'erentes, et j’esp`ere que je n’ai nullement vous trahi. Au-cun mot, aucun geste ne m’ont 'echapp'e qui aient pu pr^eter `a faire allusion `a quelque chose.
Oh, ma cousine, ma ch `ere Nanine! pardonne si j’ose ici faire une com-paraison qui ne sera peut-^etre pas tout `a l’avantage de tes charmes qui jadis naissaient sous la pression de ma main amoureuse. Je dois le confesser, quoi-que tu fusses plus belle et moi plus jeune: je n’ai jamais ressenti un plus grand bonheur aupr`es de toi. Je connais toutes les sinuosit'es, tous les contours de ton beau corps, je nageais dans le plaisir, sans oser jamais franchir les bornes que tu me pr'escrivais. Couch'es l’un `a c^ot'e de l’autre, nous passions des nuits en-ti`eres; mille et mille fois je touchais d'ej`a au fa^ite du bonheur: mais un mot suppliant, une larme de tes yeux me d'esarmaient: tu craignais l’inceste.
Любовница, сестрица! Подруга, милый друг!Pardonne, je le r 'ep`ete, si, dans ce moment-ci, quand j’ai douze ans de plus qu’alors, je n’ai pas pu tenir contre le charme qui seduisait, et si j’ai trouv'e ce sein dans toute la pl'enitude d’une beaut'e faite, cette bouche vermeil-le, ces baisers de feu, pr'ef'erable `a tout ce que j’ai vu chez toi, `a tout ce que j’ai recu de toi. Jamais je n’ai 'et'e aussi amoureux, que dans cet embrassement subit,
Oh maravigli `a! Amor, ch’appena 'e nato Gi`a grande vola e gi`a trionfa armato.
Et vous, pauvre Catiche! vos quinze ans et les faveurs dont vous m ’avez combl'e ne sont `a pr'esent que gliss'es sur la surface de mon souvenir. Cet esprit sup'erieur, les gr^aces d’une 'education soign'ee, ces talents s'eduisants, joints `a des yeux qui n ’ont que tr`es peu de pareils, `a une humeur au-dessus de tout ce que l’on s’imagine, `a une gorge dont l’'elasticit'e semble repousser une main t'em'eraire, une gorge qu’est un probl`eme chez une femme mari'ee depuis 9 ans, tant pour la forme que pour la fermet'e — enfin ce jeu d’une physionomie anim'ee, — tout cela ferait oublier les f'elicit'es du s'ejour des dieux.
О, моя кузина, моя дорогая Нанина! прости, если я осмелюсь сейчас сделать сравнение, которое, возможно, не вполне польстит твоим прелестям, расцветавшим когда-то под моей влюбленной рукой. Я должен в этом признаться: хотя ты была прекраснее, а я моложе, но никогда я не ощущал большего счастья рядом с тобой. Я знал все изгибы, все очертания твоего прекрасного тела, я купался в наслаждении, не смея преступить границы, которые ты мне поставила. Лежа друг с другом рядом, мы проводили целые ночи; тысячи и тысячи раз я достигал уже вершины блаженства, но одно слово мольбы, слеза на твоих глазах меня обезоруживали; ты боялась инцеста.
Любовница, сестрица! Подруга, милый друг!Еще раз прости, если теперь, когда я старше на двенадцать лет, я не смог устоять против очарования, соблазнившего меня, если я предпочел эту грудь во всей полноте созревшей красоты, этот алый рот, эти страстные поцелуи всему, что я когда-то видел в тебе, всему, что я получал от тебя. Никогда я не был так влюблен, как во время этих внезапных объятий.
Oh maravigli `a! Amor, ch’appena 'e nato Gi`a grande vola e gi`a trionfa armato [332] .A вы, бедная Катишь! ваши пятнадцать лет и милости, которыми вы меня осыпали, ныне оставили лишь едва заметный след в моей памяти. Выдающийся ум, прелести хорошего воспитания, обольстительные дарования в соединении с глазками, равным которым найдется очень немного, нравом, превосходящим всяческое воображение; грудью, чья эластичность должна была бы оттолкнуть всякую бестрепетную руку, — грудью, которая обычно составляет проблему для женщины, находящейся замужем более 9 лет, как в отношении формы, так и упругости — наконец, эта игра оживленного лица — все это заставило бы забыть блаженство рая.
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О диво! Любовь только еще родилась, а уже большая: летит и торжествует ( ит.).
Et c ’est moi qui eu os'e renouveller la m^eme dispute! Que me sont donc les Grands de la terre, auxquels je n’envie rien, pas m^eme le sort d’^etre vant'e dans tout l’ univers. Pardon, Madame, je suis pr^et `a expier ma faute par toutes sortes de sacrifices que vous aurez la bont'e de m’imposer. Combien de fois, apr`es m’^etre s'epar'e de Mr. Kouschinnikoff et me trouvant seul sur un fr^ele bateau me suis-je r'ep'et'e:
Вперед люби, да будь умнее, И знай, пустая голова, Что всякой логики сильнее Прелестной женщины слова.Ces vers, je me les suis grav 'e dans la m'emoire, comme le pr'ecepte de ma conduite `a l’avenir. Tandis que je faisais ces reflexions, la brise s’'elevait, les vagues venaient en 'ecumant se briser aux bords de ma nacelle, un pauvre rameur maussade comme on nous repr'esente Caron, travaillait de toute la force de ses bras nerveux. Faut-il vous dire la v'erit'e, Madame? Il m’est arriv'e mainte et mainte fois de d'esirer que le vent par son souffle violent ou bien les vagues par leurs chocs m’eussent arrach'e de mon embarcation et plong'e dans fin fond de la Neva: tant j’'etais m'econtent de moi-m^eme. Ce n’est pas que je ne fusse puni, en expiation de mon crime, ayant gagn'e un gros rhume et quel-ques petites attaques de rhumatisme par-ci par-l`a, mais je l’ai bien m'erit'e.
Pour Dieu, Madame, ne revenons plus sur le chapitre des Grands de la terre: c ’est une bien triste mati`ere pour moi: je les estime quand ils sont bons, je les plaigne quand ils sont m'echants. Voil`a ma profession de foi sui leur compte.
J ’ai une toute autre sur le V^otre, Madame! Vous ^etes ma divinit'e! Je n’ose plus vous dire que je vous aime d’amour, mais il m’est permis, il m’est doux de r'ep'eter que je vous adore, que je vous d'eifie: je tiens beaucoup `a cela.
J ’ai encore un aveu `a vous faire. Madame: j’ai fait des tentatives pour pacifier mon pauvre coeur, pour apaiser le feu qui le d'evore; mais, h'elas! ne le fait pas qui veut. Encore une fois: je m’'etourdie sur ma future destin'ee, je cours droit au pr'ecipice la t^ete la premi`ere, je n’ose plus vous le dire et je m’en ressens davantage.
Combien l ’homme est faible et versatile dans ses projets: je vous ai promis d’^etre gai dans mes lettres et je suis tout au plus neutre: quan d est-ce que je me corrigerai?
Souffrez, du moins, Madame, que je continue toujours de me nommer
Tout `a vous pour la vie Orest Somoff.Vous l ’avez prononc'e, Madame! vous m’avez rendu le droit de vous con-ter mes peines, de vous parler de mon amour? H'elas, ce droit est le seul qui me soit r'eserv'e: je n’ai, pour toute r'ealit'e que mes tourments et la libert'e de g'emir. D’autres, plus heureux que moi, respirent la douce haleine de la rose; je n’en recueille que les 'epines. Oh! pourquoi ne puis-je r'epandre mon ^ame sur ce papier? pourquoi ne puis-je pas 'ecrire avec le sang de mon coeur: ces caract `eres seraient br^ulants, ils vous auraient embras'es des m^emes feux dont ce pauvre coeur est consum'e!
Croiriez-vous, Madame, qu ’il m’arrive souvent d’^etre plus heureux, seul et loin de vous, qu’en votre pr'esence? Je vais vous expliquer cette 'enigme: vot-re image est toujours avec moi: tout mon ^etre intellectuel en est rempli:
… Je t’aime en cent facons, Pour toi seule je tiens ma plume: Je te chante dans mes chancons, Je te lis dans chaque volume. Qu’une beaut'e m’offre ses traits, Je te cherche sur son visage: Dans les tableaux, dans les portraits, Je veux d'em^eler ton image.Voil `a la peinture la plus vraie de ce qui passe dans mon coeur, dans mon imagination, enfin dans tout mon individu. Que je suis f^ach'e que ce ne soit pas moi-m^eme qui ait fait ces vers! ils expriment si bien ce que j’'eprouve et que je sens… H'e bien, Madame, ajoutez `a cela le doux souvenir de ce que j’ai entendu, de ce que j’ai vu, et ces mots de bont'e, ces mots de consolation qui flattaient de temps en temps mon oreille. «Вот милая попинька! O`u est mon Oreste? Jouez, mon ange!» — Croyez-vous que je les oublierai? Ja sais bien comme je viens de le dire, que c’'etaient seulement des mots de bont'e, des mots de consolation, des expressions presque banales, mais je vous le r'ep`ete, et je le r'ep'eterai toujours: mon coeur aime `a se tromper, il est tout `a ces illusions… Aussi la r'ealit'e est trop dure pour lui… je vois bien que j’ai cess'e m^eme d’^etre l’objet de votre indulgence: quelquefois je suis l`a, pr`es de vous, et vous avez l’air de ne pas vous en apercevoir [333] . Oh! c’est l’unique occasion o`u je fais des reproches am`eres `a la nature, `a la providence de ne m’avoir pas combl'e de leurs dons.
Pourquoi en effet ne m ’ont-elles pas donn'e une figure attrayante, une taille avantageuse, des talents agr'eables surtout celle de plaire, un esprit aigre et cultiv'e, enfin tout ce peut attirer et attacher. De tous leurs dons, elles ne m’ont laiss'e en partage qu’un coeur tendre et aimant et une ^ame 'elev'ee au-des-sus de mon 'etat, deux choses qui au lieu de faire le bonheur de celui qui les poss`ede, ne contribuent qu’`a le rendre encore plus malheureux. Ayez piti'e de moi, Madame; rendez-moi du moins mon bonheur illusoire, ce bonheur qui m’a 'et'e accord'e nagu`eres: je vous jure, je fais le serment le plus solennel d’^etre aussi circonspect que vous l’exigez, de vous 'epargner la peine de me faire encore les m^emes reproches que votre jolie bouche m’avait prononc'e autre jour.
Et en quoi suis-je fautif? J ’a toujours 'et'e si respectueux, si soumis devant vous, Madame (en m^eme temps que j’ai vu un jeune homme se permettre de vous faire les r'eprimandes un peu dures en pr'esence de tout le monde: voil`a `a qui peut vous compromettre et pr^eter au scandale…)
Veuillez bien, Madame, me pardonner ma franchise excessive: c ’est dans l’inter^et de tout ce qui vous concerne, et par cons'equent de tout ce qui m’est plus cher que ma vie, que je me suis permis de vous exprimer mon sentiment `a ce sujet. Si vous saviez toute la force de mon amour, vous ne vous f^acheriez point de ma sinc'erit'e. Je tombe `a vos pieds, je m’an'eantis en disant toujou rs
Tout `a vous pour la vie O. Somoff.333
Tandis que je vous vois si affectueuse envers les autres, si ing 'enieuse `a leur procurer des occasions de pouvoir vous dire leurs sentiments, si prompte `a aller les chercher vous-m^eme. Et je suis l`a, et je reste seul, absorb'e dans mes tristes pens'ees… ( Вписано на полях.)
Ce n ’est donc que mon talent d’'ecrire que vous voyez dans mes lettres, Madame. L’'eloge que vous en avez fait hier n’'etait qu’une satire contre mon coeur: aussi vous avez pu remarquer mon embarras et mes sottes r'eponses `a vos aimables compliments: j’'etais p'etrifi'e, an'eanti. Ah, Madame! si par piti'e seulement vous m’eussiez dit: tu as un coeur, tu sais aimer, je le vois; ces expressions ne peuvent partir que d’un coeur aimant, elles ne sont point enve-lopp'ees dans une froide recherche des mots et dans le fade jargon d’un amant trouv'e dans mille romans. C’aurait 'et'e plus flatteur pour moi que toutes les lo-uanges pompeuses des toutes les acad'emies du monde. Mais ici je vois que Madame a voulu seulement plaisanter sur mon amour et tourner en ridicule mon pauvre coeur: quelle r'ecompense!.. Vous avez beau faire. Madame! je vous aimerai toujours: ni vos rigueurs, ni vos plaisanteries n’'etoufferont jamais une passion qui va chaque jour croissant, qui fait mes peines, qui f’ait mes d'elices, et qui enfin n’expirera qu’avec le dernier souffle de ma vie.
Qu ’il est p'enible, le moment fatal o`u l’on voit tomber le bandeau rose qui couvrait nos yeux, laissant apercevoir, dans le lointain, un demi-bonheur et des demi-jouissances! Qu’il est p'enible, dis-je, cet 'etat o`u le coeur se voit d'etromp'e! Voici pr'ecis'ement l’'etat o`u je me trouve, Madame! Les esp'erances se sont toutes envol'ees: un vide affreux que rien ne remplit, r`egne `a pr'esent dans mon coeur… Autrefois il s’ouvrait `a la douce amiti'e, depuis quelque temps il a os'e palpiter pour l’amour…
Eh bien, Madame! l ’amour l’ayant tromp'e et le d'esir m^eme de l’amiti'e. Vous, Madame, vous ne le croyez pas, j’ai vu par tout ce que vous m’avez dit que vous n’en croyez rien; ou du moins, si vous condescendez `a le croire, ce sentiment ne fait qu’effleurer votre coeur sans y laisser aucune trace, tandis qu’il se grave dans le mien `a de traits de feu, `a de traits ineffacables.
Hier j ’ai os'e encore me disputer avec vous, et vous, ange de bont'e, vous excusez cet exc`es de folie? Je vous prie, Madame, de me faire la gr^ace d’impo-ser `a l’avenir silence `a cette langue hardie qui devient alors comme antipode de mon coeur. Quelques fortes que puissent ^etre mes raisons, il suffit que vous me disiez: C’est mon opinion! et vous verrez que je rentrerai aussit^ot dans mon caract `ere, dans celui d’un amant humble et soumis, comme je le suis toujours et comme je veux toujours l’^etre pour
Tout `a vous pour la vie O. Somoff.Oui, Madame! Vous le voulez; vous voulez mortifier, atterrer un c oeur qui vous aime tant! Hier encore j’en ai eu une preuve indubitable: vous avez fait appeler un de ces Messieurs, vous lui avez parl'e, vous avez eu l’air de vous int'eresser beaucoup `a sa conversation… il sort, je m’approche de vous, j’ose vous adresser la parole et vous pr'etendez que vous voulez vous exercer. Il est beau, le compliment que vous m’avez dit: «que vous ne voulez pas avoir deux plaisirs `a la fois: me voir et lire mes lettres». Je l’ai traduit mot par mot en lan-gage du coeur, en langage de v'erit'e: voil`a ce qu’il signifie: «aurais-je le temps de penser `a toi et `a tes lettres». La mine qui accompagnait le compliment l’ex-primait ainsi. — Vous me m'eprisez, Madame; vous craignez de faire voir aux autres que vous avez m^eme la patience de m’'ecouter; je ne l’ai que trop compris; vous cherchez toujours des moyens pour 'eviter un moment d’entretien que je m’empresse de saisir: c’est clair, vous m’avez dit vous-m^eme, ce que je dois faire…
Eh bien, Madame! quelque p 'enible que soit pour moi le sacrifice, je le consommerais: j’^oterai de vos yeux l’objet de vos d'ego^uts et de vos m'epris, je vous 'epargnerai la peine de me voir.
Les 'egards que je vous dois, Mme, `a vous et `a Mr votre 'epoux m’oblige-ront de para^itre de temps en temps chez vous jusqu’`a une certaine 'epoque afin d’'eviter une interpr'etatation; mais ces visites seront courtes et ne vous comprometteront point, comme vous avez eu la bont'e de me le si gnifier.
La fiert 'e naturelle `a des gens qui n’ont pas le front d’airain, me le com-mande; je ne peux pas supporter qu’on me m'eprise, je ne veux pas non plus ^etre `a charge `a personne.
Je me rappelle bien ce que vous avez dit une fois des gens pauvres qui ont du caract `ere, au sujet d’une de nos connaissances: «Il est fier, parce qu’il est pauvre». Eh bien, Madame, je suis plus pauvre encore, et je suis fier, bien que la pauvret'e ne soit pas un m'erite `a 'etaler, comme ce n’est non plus une honte `a cacher!
Une de mes lettres pr 'ec'edentes vous aura instruite de la justice que je sais me rendre `a moi-m^eme, de la vraie opinion que j’ai de mon individu. Il reste encore un grand d'efaut que je n’ai point nomm'e, mais que j’ai fait voir dans plusieurs occasions: c’est l’exc`es de franchise.
Que vous ai-je fait, Madame? je vous aimais!..
Si vous m ’eussiez vu hier dans l’'etat angoiss'e o`u je me trouvais, mon visage enflamm'e, mes yeux 'egar'es, si vous eussiez pu sentir les palpitations in-termittentes de mon coeur… etc. Non! je n’ai pas voulu vous offrir ce spectacle (qui vous aurait peut-^etre attrister: je me suis enfui `a toute force). Arriv'e pr`es de corps-de-garde, en face de la petite 'eglise, je me suis trouv'e mal; un bon soldat, qui 'etait en faction, eut piti'e de mon 'etat, il a sonn'e des camarades, qui m ’ont introduit ou plut^ot port'e dans l’int'erieur et m’ont prodigu'e tous les se-cours qu’ils pouvaient imaginer; gr^ace aux soins de ces excellents militaires, je me suis un peu remis au bout de quelques moments et je suis parti. Etant rentr'e chez moi, j’ai eu un acc`es de fi`evre; le sommeil fuyait de mes yeux; mon coeur 'etait serr'e et ma poitrine oppress'ee comme si un poids 'enorme m’'ecra-sait et me cessait la respiration. Vers dix heures du matin, deux ruisseaux de larmes, de ces larmes br^ulantes de d'esespoir, m’ont un peu soulag'e; mais je n’ai pas pu fermer la paupi`ere.
Quand je me souviens que voil `a un mois, que j’ai 'et'e trait'e bien autre-ment! Oh! c’'etait le jour de mon bonheur, trop <нрзб.>, il est seul dont le s ouvenir me soit doux, dont l’agr'eable image effleure encore mes l`evres d’un sou-rire des bienheureux, il m’ouvrait les cieux pour me replonger dans l’abyme du n'eant. Je me dit alors: Oh, de qui dependait mon bonheur? et qui s’est jou'e du cr'edule? Confiant, je me livrai enti`erement… <незак.>
Simple et confiant, je me sens si faste; malheureux par ma condition, d 'etromp'e du bonheur et des plaisirs de la vie, presque mort dans l’^ame… Oh! Si j’'etais mort en effet, ce serait pour moi une f'elicit'e… [334]
Jouissez, Madame, du bonheur qui doit toujours ^etre votre partage. Oub-liez un malheureux qui n’est pas digne de votre souvenir, arrachez son nom partout o`u il se trouve, ainsi que tout ce qui peut le rappeler `a votre m'emoire. Adieu, Madame!
J’ai l’honneur d’^etre avec une estime sans bornes (je veux cacher au fond de mon ^ame l’expression des sentiments plus tendres).
Madame!
Votre tr `es humble, tr`es d'evou'e serviteur Oreste Somoff.334
Вписано на полях. Далее текст в рукописи зачеркнут: «S’il est des p'ech'es mor-tels, celui buter un homme simple et cr'edule doit ^etre du nombre; surtout quand cet homme est malheureux par sa condition, d'esabus'e du bonheur et des plaisirs de la vie: presque mort dans 1’^ame. Autant vaut-il alonger un poignard dans son sein, il mourrait par la suite de ce coup, et la mort serait presque une f'elicit'e».
Que l ’opinion de l’objet ador'e a de puissance sur nous! Elle nous 'el`eve l’^ame, nous communique une dignit'e ou nous abaisse et nous atterrie. Peu de jours avant, lorsque j’'etais honor'e d’un gracieux accueil, lorsque j’avais la permission de vous suivre sans m’attirer votre indignation j’'etais aux cieux, je me supposais m^eme plus de m'erite que je n’en aie, je prenais un maintien plus s^ur et si j’ose le dire, plus noble, afin de pouvoir vous contempler avec plus de dignit'e… Aujourd’hui m'epris'e, proscrit, je m’humilie `a mes propres yeux, je n’ose presque <оторван край листа> mes regards sur votre personne. Dans ce m^eme instant rentr'e sous mon humble toit, j’h'esitais si je devais allumer la lumi `ere; <оторв.> craignais de remarquer quelque chose d’odieux <оторв.> et dans mes propres traits j’avais peur de moi-m^eme.