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– Et vous, – r'epliqua l’officier, – quel ma^itre de poste ^etes-vcus donc? C’est ainsi qu’on vous ob'eit. Vous repr'esentez bien l’autorit'e! Je ferai un rapport, j’'ecrirai moi-m^eme au comte Adlerberg (ministre de la poste), je le connais personnellement.
– Epargnez un p`ere de famille, vingt-trois ans de services, m'edaille pour la prise de Varna, deux blessures, une balle d'outre en outre, d'ecoration pour un service irr'eprochable de vingt ans, – r'ep'etait machinalement le ma^itre de poste, sans ^etre trop effray'e.
Comme l'affaire n'avancait pas, l'officier s'en prit `a un jeune garcon de seize `a dix-sept ans. – Comment, – dit-il, – tu me ris au nez, tu me ris au nez! Je t'apprendrai `a ne pas respecter les epaulettes, – et il s''elanca sur le jeune homme; celui-ci, esquivant le coup de poing dont l'officier le menacait, se mit `a courir; 'officier voulut le poursuivre, mais la neige 'etait si profonde, qu'il s'enfonca jusqu'aux genoux. Les paysans 'eclat`erent de rire. – Mais c'est une r'evolte! – c'est une r'evolte! – cria l'officier, et il ordonnait imp'erieusement au jeune garcon, qui grimpait comme un 'ecureuil `a la cime d'un arbre, de descendre. – Non, – r'epondit l'autre, – je ne descendrai pas, – tu me battras… – Descends, mauvais garnement, descends! – ajoutait le ma^itre de poste. Le jeune homme secouait la t^ete.
– Voil`a! – continua le ma^itre de poste, parlant `a l'officier, – votre gr^ace, vous pouvez juger par vous-m^eme maintenant, `a quels hommes nous avons `a faire depuis le matin jusqu'au soir – pires que des Turcs! – Quand est-ce que Dieu me d'elivrera de cet enfer? Je n'y reste qu'`a cause des trois ann'ees qui me manquent pour la pension. – Mais, votre gr^ace, soyez tranquille, je viendrai `a bout de ces brigands-l`a, et ils vous m`eneront m^eme sans argent. J'enverrai de suite chercher le commissaire du district, il ne demeure pas loin; huit lieues d'ici – pas m^eme, sept et demie. En attendant, si votre gr^ace voulait prendre un peu de th'e?..
– Mais, est-ce que vous ^etes fou par hasard? – lui dit l'officier d'un ton de d'esespoir. Comment voulez-vous que je perde mon temps `a attendre le commissaire? Donnez-moi des chevaux, donnez-moi des chevaux…
Ma voiture 'etait attel'ee; je ne sais pas comment l'histoire s'est termin'ee. Mais on peut ^etre s^ur que l'officier a 'et'e flou'e. Mon postillon souriait tout le long de la route. L'histoire de l'officier lui trottait dans la t^ete. – «C'est une t^ete chaude, l'officier», lui dis-je. – «Cela ne fait rien. Il n'est pas le premier: nous avons bien vu, d`es le commencement, qu'il se fatiguerait bient^ot».
…Il suffit d'un trajet de deux heures pour entrer dans un autre monde. C'est comme un changement `a vue au th'e^atre. Le terrain devient plus accident'e, m^eme l'eg`erement montagneux, le chemin serpente, – ce n'est plus cette ligne droite, infinie, trac'ee sur un oc'ean de neige, que Mickiewicz a si bien d'ecrit.
La premi`ere maison de poste livonienne 'etait situ'ee sur une montagne. J'entrai dans la «Passagierstube». Il r'egnait autant de propret'e, autant d'ordre dans cette chambre, que si on l'e^ut peinte la veille, ou qu'on attend^it une visite le lendemain. Du sable sur le parquet, des g'eraniums et des romarins sur les 'tr`es un piano de quatre octaves et demie dans un coin, une h'hle luth'erienne sur une table, couverte d'une nappe blanche. Parmi quelques lithographies et dans un cadre un peu plus riche '1 v avait un imprim'e. C''etait «An meinen lieben Fritz», une esp`ece de testament idyllique 'ecrit par Fr'ed'eric-Guillaume III, pour son fils.
Le ma^itre de poste, vieillard d'ebonnaire, avec cet air d'une na"ivet'e b'eate qui n'appartient qu'aux Allemands, avait endoss'e pour moi son habit gris, orn'e de boutons en nacre. Voyant que je lisais le testament, il s'approcha et commenca respectueusement un entretien, me donnant `a chaque instant les titres de «baron», de «freiherr», de «hochwohlgeboren». Il me dit, entre autres choses, «qu'il n'avait jamais pu lire, sans avoir des larmes aux yeux, les touchantes paroles du bon roi d'efunt!»
Comme le ma^itre de poste disait que le vent faisait pressentir une nuit tr`es orageuse et me conseillait de rester jusqu'au matin, je voulus voir ce qui en 'etait et je sortis dans la rue. Une bise forte et glac'ee soufflait entre les rameaux d'enud'es des arbres, les secouant avec violence. De temps `a autre, les nuages chass'es par le vent d'ecouvraient le croissant d'une lune p^ale, et on voyait alors une tour `a demi ruin'ee, reste d'un ch^ateau tomb'e en ruines. Sous une porte 'ecras'ee, qui menait autrefois au ch^ateau, 'etaient assis une dizaine de Finnois, petits de taille, rabougris, ch'etifs, les cheveux blonds de lin. Leur langue, pour nous compl`etement 'etrang`ere, 'etonnait mes oreilles d'une mani`ere d'esagr'eable. Au-dessus de la porte 'etait clou'e un aigle empaill'e. Un jeune homme, blond et svelte, la moustache retrouss'ee, le fusil derri`ere le dos, apparut et disparut en un instant. Il 'etait dans un petit tra^ineau qu'il conduisait lui-m^eme. L'attelage de son cheval, au lieu de se parer de l'arc en bois russe, faisait r'esonner une vingtaine de clochettes; un l'evrier courait apr`es le tra^ineau, flairant la terre gel'ee.
En Livonie, en Courlande, il n'y a pas de villages pareils `a ceux de la Russie. Ce sont des fermes diss'emin'ees autour d'un chateau. Les cabanes des paysans sont 'eparses; la commune russe n'existe pas ici. Un pauvre peuple, bon, mais peu dou'e, 'evidemment sans avenir, 'ecras'e par une servitude s'eculaire, d'ebris d'une population fossile qui est submerg'ee sous les flots des autres races, habite ces fermes. La distance entre les Allemands et les Finnois est immense; la civilisation germaine, il faut le dire, 'etait bien peu communicative. Les Finnois de ces contr'ees sont rest'es `a demi sauvages, apr`es tant de si`ecles de coexistence et de rapports continuels avec les Allemands. C'est l'empereur Nicolas qui a pens'e le premier `a leur 'education – `a sa mani`ere bien entendu – il en a fait des Grecs orthodoxes.