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Malheur `a celui qui est vaincu ici! Mais il ne succombe pas sans avoir fait entendre sa voix, sans avoir 'eprouv'e sa force dans le combat; et c'est `a cause de cette voix, `a cause de cette lutte ouverte, `a cause de cette publicit'e, que je reste.
Voil`a ce que j''ecrivais le 1er mars 1849. Les choses, depuis lors, ont bien chang'e. Le privil`ege de se faire entendre et de combattre publiquement s'amoindrit chaque jour davantage, l'Europe chaque jour davantage devient semblable `a P'etersbourg; il y a m^eme des contr'ees qui ressemblent plus `a P'etersbourg que la Russie m^eme.
Et si l'on en vient, en Europe aussi, `a nous mettre un b^aillon sur la bouche, et que l'oppression ne nous permette pas m^eme de maudire, `a haute voix, nos oppresseurs, nous nous en irons alors en Am'erique, sacrifiant tout `a la dignit'e de l'homme et `a la libert'e de la parole».
II
La Russie avant Pierre ier
L'histoire russe n'est que l'embryog'enie d'un Etat slave; la Russie n'a fait que s'organiser. Tout le pass'e de ce pays, depuis le IXe si`ecle, doit ^etre consid'er'e comme l'acheminement vers un avenir inconnu, qui commence `a poindre.
La v'eritable histoire russe ne date que de 1812 – ant'erieurement il n'y avait que l'introduction.
Les forces essentielles du peuple russe n'ont jamais 'et'e effectivement absorb'ees par son d'eveloppement, comme l'ont 'et'e celles des peuples germano-romains.
Au IXe si`ecle, ce pays se pr'esente comme un Etat organis'e d'une toute autre mani`ere que les Etats d'Occident. Le gros de la population appartenait `a une race homog`ene, diss'emin'ee sur un territoire tr`es vaste et tr`es peu habit'e. La distinction qu'on trouve partout ailleurs entre la race conqu'erante et les races conquises ne s'y rencontrait point. Les peuplades faibles et infortun'ees des Finnois, clairsem'ees et comme perdues parmi les Slaves, v'eg'etaient hors de tout mouvement, dans une soumission passive, ou dans une sauvage ind'ependance; elles 'etaient de nulle importance pour l'histoire russe. Les Normands (Var`egues), qui dot`erent la Russie de la race princi`ere qui y r'egna, sans interruption, jusqu'`a la fin du XVIe si`ecle, 'etaient plus organisateurs que conqu'erants. Appel'es par les Novgorodiens, ils s'empar`erent du pouvoir et retendirent bient^ot jusqu'`a Kiev [3] .
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On a beaucoup discouru sur la mani`ere dont les Var`egues se sont 'etablis en Russie, question tout historique qui ne nous int'eresse que m'ediocrement. La grande importance de la version de Nestor consiste `a faire voir la mani`ere dont on envisageait l'invasion var`egue au XIIe si`ecle, et il faut avouer qu'elle seule met au jour le r^ole v'eritable des Normands.
Les princes var`egues et leurs compagnons perdirent `a la fin
De cuelques g'en'erations le caract`ere de leur nationalit'e, et se confondirent avec les Slaves, apr`es avoir imprim'e toutefois une impulsion active et une nouvelle vie `a toutes les parties de cet Etat `a peine organis'e.
Le caract`ere slave pr'esente quelque chose de f'eminin; cette race intelligente, forte, remplie de dispositions vari'ees, manque d'initiative et d''energie. On dirait, que la nature slave, ne se suffisant pas `a elle-m^eme, attend un choc qui la r'eveille. Le premier pas lui co^ute toujours, mais la moindre impulsion met chez lui en jeu une force de d'eveloppement extraordinaire. Le r^ole des Normands a 'et'e pareil `a celui qu'a rempli plus tard Pierre le Grand, par la civilisation occidentale.
La population 'etait partag'ee en petites communes rurales, les villes 'etaient rares et ne se distinguaient en rien des villages, except'e par leur plus grande 'etendue et par l'enceinte en bois qui les entourait (le mot russe gorod, ville, provient de gorodite, enclore). Chaque commune repr'esentait, pour ainsi dire, la descendance d'une famille qui poss'edait ses biens sans partage individuel, en commun, sous l'autorit'e patriarcale exerc'ee par un des chefs de famille reconnu pour l'ancien. Ce r'egime tout monarchique 'etait corrig'e par l'autorit'e de tout le monde (vess mir), c'est-`a-dire par l'unanimit'e des habitants. Et, comme l'organisation sociale des villes 'etait la m^eme que celle des campagnes, il est 'evident que le pouvoir princier 'etait contrebalanc'e par la r'eunion g'en'erale des citadins (v'etch'e).
Il n'y avait aucune distinction entre les droits des citadins et ceux des paysans. En g'en'eral, nous ne rencontrons dans la vieille Russie aucune classe distincte, privil'egi'ee, isol'ee. Il n'y avait que le peuple et une race, ou plut^ot une famille princi`ere, souveraine, la descendance de Rurik le Var`egue, qui 'etait compl`etement distincte du peuple. Les membres de la famille princi`ere partageaient entre eux toute la Russie, selon l'anciennet'e g'en'ealogique des branches auxquelles ils appartenaient et leur propre anciennet'e. L'Etat 'etait divis'e en apanages, qui n'avaient rien de fixe et qui 'etaient gouvern'es chacun par son prince sous la supr'ematie du plus ancien de la famille, qui s'appelait grand prince et avait pour apanage Kiev, plus tard Vladimir et Moscou. Le pouvoir du grand prince sur les autres princes 'etait tr`es restreint. Ceux-ci reconnaissaient la supr'ematie de Kiev, mais il n'y avait presque aucune d'ependance r'eelle, aucune centralisation administrative. Les apanages n''etaient point envisag'es comme des propri'et'es individuelles des princes, ils ne pouvaient l'^etre, car les princes passaient souvent d'un apanage `a un autre, en r'eunissaient plusieurs `a la fois, par voie d'h'eritage, ou bien faisaient de leur lot autant de parts qu'ils avaient de fils et d'h'eritiers m^ales; ou bien encore ils devenaient grands princes selon l'anciennet'e (ce n''etait pas le fils a^in'e qui succ'edait au grand prince, mais le fr`ere de celui-ci). On peut s'imaginer, sans peine, `a quelles luttes sanglantes, `a quelles contestations 'eternelles donnait lieu une h'er'edit'e si compliqu'ee. Les guerres entre le grand prince et les princes apanages n'ont pas discontinu'e jusqu'`a l''etablissement de la centralisation moscovite.
Nous trouvons autour des princes un cercle tr`es restreint de leurs compagnons d'armes, amis ou dignitaires, qui forme quelque chose dans le genre d'une aristocratie tr`es difficile `a caract'eriser, parce qu'elle n'avait rien de d'efini ou de bien prononc'e. Le titre de boyard 'etait honoraire, il ne donnait aucun droit positif et n''etait pas m^eme h'er'editaire. Les autres titres ne repr'esentaient que des fonctions, en sorte que l''echelle des dignit'es aboutissait imperceptiblement `a la grande classe des paysans. Aussi toute cette couche sup'erieure de la soci'et'e fut-elle recrut'ee par le peuple; les descendants des guerriers var`egues, qui vinrent avec Rurik, apport`erent, `a ce qu'il para^it, l'id'ee d'une institution aristocratique, mais l'esprit slave la mutila selon ses notions patriarcales et d'emocratiques. La drougina, esp`ece de garde permanente du prince, 'etait trop peu nombreuse pour former une classe `a part. Le pouvoir princier 'etait bien loin d'^etre illimit'e comme il le fut plus tard `a Moscou. Le prince n''etait en r'ealit'e que l'ancien d'un grand nombre de villes et de villages,qu'il gouvernait conjointement avec les r'eunions g'en'erales, mais il avait l'immense avantage de ne pas ^etre 'electif et de partager les droits souverains de la famille `a laquelle il appartenait. En outre, le grand prince 'etait le grand juge du pays, le pouvoir judiciaire 'tait pas s'epar'e du pouvoir ex'ecutif. Cette f'ed'eralisation 'etran-dont l'unit'e s'exprimait par l'unit'e de la race r'egnante et se perdait point daus la divisibilit'e des parties et le manque de entralisation, cette f'ed'eralisation, avec sa population homog`ene sans classes, sans distinctions entre les villes et villages, avec ses propri'et'es territoriales sous le r'egime communiste, ne ressemble en rien aux autres Etats de la m^eme 'epoque. Mais si cet Etat diff'erait si essentiellement des autres Etats de l'Europe, on n'est point autoris'e `a supposer qu'il leur l^ut inf'erieur avant le XIVe si`ecle. Le peuple russe d'alors 'etait plus libre que les peuples de l'Occident f'eodal. D'autre part, cet Etat slave ne ressemblait pas non plus aux Etats asiatiques, ses voisins. S'il y entrait quelques 'el'ements orientaux, le caract`ere europ'een dominait. La langue slave appartient, sans aucune contestation, aux langues indo-europ'eennes et non pas aux langues indo-asiatiques; en outre, les Slaves n'ont ni ces 'elans soudains qui r'eveillent le fanatisme des populations enti`eres, ni cette apathie qui prolonge la m^eme existence sociale au travers des si`ecles entiers et de g'en'erations en g'en'erations. Si l'ind'ependance individuelle est aussi peu d'evelopp'ee chez les peuples slaves que chez les peuples d'Orient, il y a cependant cette diff'erence `a 'etablir, que l'individu slave a 'et'e absorb'e par la commune, dont il 'etait un membre actif, tandis que l'individu de l'Orient a 'et'e absorb'e par la race ou l''etat auxquels il n'avait qu'une participation passive.
La Russie paraissait asiatique, vue de l'Europe, europ'eenne, vue de l'Asie; et ce dualisme convenait parfaitement `a son caract`ere et `a sa destin'ee, qui consiste entre autres `a devenir le grand caravans'erail de la civilisation entre l'Europe et l'Asie.
La religion m^eme continua cette double influence. Le christianisme est europ'een, c'est la religion de l'Occident; la Russie en l'acceptant s''eloignait de l'Asie, mais le christianisme qu'elle adopta fut oriental: il venait de Byzance.