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Toutefois, quiconque l’aurait examin'e aurait 'et'e incapable de reconna^itre en lui, en ce cocher bien caract'eristique, fait sur le mod`ele de tous les cochers anglais, le Roi du Crime, le Ma^itre de l’Effroi, grim'e avec cet art qui n’'etait qu’`a lui.
Le bandit, qui affectait une tranquillit'e absolue, eut un l'eger tressaillement de satisfaction lorsque, au bout d’une heure et demie d’attente, il vit appara^itre `a l’entr'ee de la salle Delphine Fargeaux. Il se leva, lui fit un signe imperceptible que cependant la jeune femme remarqua, puis tous deux s’installaient, se regardaient, g^en'es, embarrass'es, comme lorsque deux inconnus se trouvent ensemble et ne savent que se dire.
Le cocher John, puisque c’est sous ce nom que Fant^omes se pr'esenta, venait de faire apporter une bouteille de champagne et Delphine qui le consid'erait attentivement s’emballait aussit^ot sur lui, se disant qu’assur'ement si cet homme-l`a n’'etait pas un vulgaire cocher, il lui plairait par ses belles mani`eres et son allure.
Cependant, Fant^omas, avec une remarquable habilet'e, incitait Delphine Fargeaux `a faire tr`es insensiblement un retour en arri`ere sur son existence pass'ee. `A quelques allusions discr`etes, Delphine comprit que le cocher 'etait au courant de son existence ant'erieure, savait qu’elle avait 'et'e mari'ee, ch^atelaine de ce que l’on appelait dans les Landes le ch^ateau de Garros, et d`es lors, le cocher John flattait la jeune femme en affectant d’avoir pour elle une grande et respectueuse admiration.
Delphine Fargeaux avait une certaine vanit'e et tirait volontiers gloire de son pass'e. Elle ne s’'etonnait pas que le cocher John en e^ut connaissance puisqu’il 'etait cocher de l’infant. `A un moment donn'e Delphine, avec une pointe d’amertume, d'eclara :
— Dire qu’au lieu d’^etre ce que je suis, j’aurais pu ^etre infante d’Espagne.
— Vraiment ? fit le cocher, l’air interloqu'e.
Et d`es lors, Delphine, rendue bavarde par l’effet du champagne, racontait `a son interlocuteur les extraordinaires aventures auxquelles elle avait 'et'e m^el'ee.
Don Eugenio l’avait apercue `a la chasse, s’'etait 'epris de ses charmes, s’'etait jur'e d’en faire sa ma^itresse ; Delphine Fargeaux ne demandait pas mieux, l’infant lui plaisait et puis, c’'etait un grand seigneur. Alors que tout devait s’arranger pour le mieux, une femme myst'erieuse survenait soudain et, volontairement ou non, barrait la route `a Delphine Fargeaux, s’interposait entre elle et l’infant, finalement, 'etait enlev'ee en son lieu et place par les hommes du grand d’Espagne.
Fant^omas, int'eress'e par cette aventure qui remontait `a deux mois `a peine, interrogeait :
— Cette femme qui 'etait-elle ?
Delphine Fargeaux prof'era son nom :
— H'el`ene, dit-elle, je la connaissais sous le nom d’H'el`ene.
Et, parlant plus bas, elle ajouta :
— J’ai appris qu’elle 'etait la fille du plus terrible bandit qui soit au monde, la fille de Fant^omas.
Pas un muscle du visage de l’interlocuteur de Delphine ne bougea et cependant Fant^omas 'eprouvait une violente 'emotion. Il se contenta d’interroger d’une voix calme, qu’il voulait rendre indiff'erente :
— Enlev'ee, m’avez-vous dit ? cette H'el`ene a 'et'e enlev'ee par l’infant d’Espagne et conduite o`u ?
— Je ne sais pas, mais je suppose que don Eugenio a d^u l’emmener l`a o`u il 'etait convenu que j’irais moi-m^eme, dans ses appartements priv'es, au palais de l’Escurial.
— Ah ! fit Fant^omas qui allait poser une autre question, mais qui s’arr^eta et p^alit.
Delphine Fargeaux venait de murmurer :
— Mais tout cela c’est de l’histoire ancienne et j’aime `a croire que ca ne lui a pas port'e bonheur `a cette H'el`ene, car, `a moins que je me trompe beaucoup, il y a pas huit jours qu’elle est morte et qu’elle a 'et'e enterr'ee.
— Que voulez-vous dire ?
Mais, au fur et `a mesure que Delphine parlait, Fant^omas reprenait son calme.
La jeune femme, en effet, 'emettait cette hypoth`ese :
— On a toujours ignor'e l’existence d’une infante qui serait la ni`ece de don Eugenio ; or voici que ces jours derniers, on a annonc'e la mort de M lleMerc'ed`es de Gandia, ni`ece de l’infant et que l’on proc'edait `a ses obs`eques.
Dans l’esprit de Delphine Fargeaux, la Merc'ed`es d'efunte n’'etait autre qu’H'el`ene. Quant `a savoir si cette H'el`ene 'etait morte naturellement ou par le fait d’un crime, elle ne se prononcait pas.
Delphine Fargeaux parla longtemps, bavarde et indiscr`ete, comme le sont toutes les femmes d`es qu’elles sont un peu grises.
Fant^omas cependant, 'ecoutait de moins en moins ; au cours de cette soir'ee, pendant son entretien avec Delphine Fargeaux, il n’avait retenu que ceci : c’'etait bien H'el`ene, sa fille qui avait 'et'e enlev'ee par l’infant, mais il ne pouvait croire `a sa mort, pour cette double raison, d’abord que le cercueil o`u elle aurait d^u se trouver 'etait vide, et ensuite que la mort d’H'el`ene ne pouvait profiter d’aucune facon `a don Eugenio.