Шрифт:
— H'e, la petite m`ere, avez-vous achet'e de la boustifaille, je cr`eve de faim ?
— Vous pouvez crever tant que vous voudrez, de faim ou d’autre chose, moi ca m’est bien 'egal, car je vous donne mon compte. C’est trente-cinq sous que vous me devez, M. Sunds, payez-moi et je m’en vais.
Le personnage auquel s’adressait cette requ^ete comminatoire, n’'etait autre que le Danois Sunds. Il 'etait install'e dans un vaste local de la place du Tertre, qui lui servait `a la fois d’atelier, de chambre `a coucher et d’usine.
Sunds fabriquait toutes sortes de choses et si, dans un coin de son logement, s’amoncelaient des chevalets et des toiles qui pouvaient le faire passer pour peintre, on trouvait dans un autre, de la terre glaise et des truelles qui, par leur pr'esence, laissaient entendre que leur propri'etaire 'etait sculpteur, ou alors macon, comme disaient les mauvaises langues.
Mais on aurait 'egalement pu qualifier 'Erick Sunds de pratiquer la magie noire et l’alchimie. Car, sur une sorte de fourneau install'e dans l’^atre de la chemin'ee, cuisaient sans cesse toutes sortes de liquides odorif'erants ou de p^ates naus'eabondes.
'Erick Sunds faisait de tout, en effet. Il 'etait r'eparateur d’objets d’art, artiste peintre, sculpteur, fabricant de meubles anciens, et aussi reproducteur de pi`eces authentiques qu’il copiait d’une merveilleuse facon.
L’existence du Danois 'etait fort boh`eme. Pendant quelques semaines, son int'erieur avait eu quelques vagues apparences de r'egularit'e. C’'etait au moment o`u il vivait maritalement avec Nadia la Circassienne. Mais le Danois, inconstant, en avait eu vite assez de cette brune ma^itresse et avait 'et'e fort content de la voir courtis'ee dans le restaurant o`u ils allaient le plus souvent prendre leurs repas, par l’Italien Mario Isolino. Et un certain soir, ou plut^ot un certain matin qu’il 'etait rentr'e fort tard `a son domicile, 'Erick Sunds avait pouss'e un profond soupir de soulagement en s’apercevant que Nadia la Circassienne ne l’avait pas pr'ec'ed'e.
Il avait compris, `a l’absence de ses v^etements qu’il constata, qu’elle 'etait partie pour ne plus revenir.
— Ouf, s’'etait dit le Danois, me voil`a veuf d'esormais, et pour longtemps.
Puis, avec cette incons'equence qui est le propre et le charme des caract`eres artistes, il s’'etait imm'ediatement dit, apr`es avoir dormi deux heures :
— Il va falloir que je la remplace.
Et il 'etait parti, ayant fait une toilette sommaire, pour battre le quartier de Montmartre, avec l’intention bien arr^et'ee d’y trouver une ma^itresse.
'Erick Sunds n’avait pas de chance ce jour-la, il n’avait trouv'e en tout et pour tout, qu’une ancienne marchande de quatre-saisons qui cherchait une place de femme de m'enage dans un int'erieur bourgeois.
Sunds lui avait dit :
— J’ai votre affaire, venez chez moi, la place est excellente, et aussi bourgeoise que possible, avec cette diff'erence toutefois que la bourgeoise n’existe pas.
Cela avait dur'e environ quarante-huit heures. Puis la marchande de quatre-saisons avait donn'e son compte `a Sunds, ou, pour mieux dire, le lui avait demand'e. Elle n’'etait pas difficile, mais elle en avait assez de vivre dans cet effroyable capharna"um. Elle avait dit `a son ma^itre ses v'erit'es. Sunds ne s’'etait pas 'emu, il avait pay'e et dignement reconduit `a la porte la femme de m'enage. Il allait la lui fermer au nez, pour 'eviter les injures que d'ecoche toujours la bonne qui s’en va, mais son attention fut soudain retenue par une assez curieuse apparition, qui surgissait au coin de la place.
'Erick Sunds, sans plus s’occuper d'esormais de son ancienne femme de m'enage, regarda venir vers lui un jeune ouvrier `a la mine d'elur'ee, intelligente, qui tra^inait ses savates sur le trottoir, avec ce d'ehanchement particulier de tous les gaillards qui se sentent trop jolis garcons pour se donner du mal et travailler.
— Un mod`ele probablement, pensa Sunds. C’est curieux que je ne le connaisse pas, et cependant, il me semble que j’ai d'ej`a vu cette bobine-l`a quelque part.
Sunds resta sur le seuil de sa porte. Le jeune homme vint `a passer, se dandinant, avancant d’un pas nonchalant.
— H'e l`a, interrogea le Danois, qu’est-ce que tu cherches par ici ?
Le passant se retourna, consid'era Sunds des pieds `a la t^ete, d’un air assez m'eprisant, puis, d’une voix qu’il semblait s’efforcer de rendre grasse et faubourienne, il d'eclara :
— Je cherche du turbin, je suis fauch'e comme les bl'es. Rien bouff'e depuis deux jours !
— Qu’est-ce que tu sais faire, petit ?
— Moi, fit le jeune homme, mais comme tous les autres, rien et tout.
— Rien et tout, c’est bien dans le genre de ce qu’il me faut. Dis voir, petit, poursuivait-il, des fois qu’on te donnerait la cro^ute et le pieu, resterais-tu par ici `a faire des menus travaux ? Balayer le plancher, nettoyer le carreau, aller au march'e, faire la cuisine, poser `a l’occasion ?
'Erick Sunds n’avait pas achev'e, qu’un 'eclair de satisfaction brillait dans les yeux du jeune garcon. Il d'eclara, rougissant un peu :
— Je ne suis pas un dur, moi, et du moment que je trouve `a coucher et `a me nourrir, ca peut toujours marcher, quelque temps au moins.
Quelques instants apr`es, Sunds et le jeune homme 'etaient attabl'es chez le marchand de vins. Le Danois payait la bienvenue `a son nouvel ami, qui, provisoirement, allait lui servir de bonne `a tout faire.