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Mais trois personnes attendaient le magistrat, en se promenant de long et large sur le trottoir 'etroit et d'esert qui bordait l’immeuble de la morgue.
— Ce sont bien les Granjeard, n’est-ce pas ?
— Oui, fit le commissaire, je ne les ai pas vus bien souvent, mais j’'etais `a l’enterrement du p`ere Granjeard, et je reconnais tr`es bien sa veuve. Les deux hommes qui l’accompagnent doivent ^etre deux de ses fils.
L’un de ceux-ci, d’ailleurs, se d'etachait du groupe et venait droit vers les nouveaux arrivants, dont s’'etait 'ecart'e Landry, qui, en apercevant brusquement ses patrons, avait jug'e pr'ef'erable de rester en arri`ere.
— C’est `a monsieur le commissaire que j’ai l’honneur de parler ? demanda l’interlocuteur, soulevant l'eg`erement son chapeau.
— Le commissaire, c’est moi, fit M. Bagot, r'epondant au salut qui lui 'etait adress'e.
— Je suis M. Paul Granjeard, que vous avez convoqu'e voici une heure `a peu pr`es par l’interm'ediaire d’un agent. Ma m`ere et mon fr`ere, ici pr'esents, ont 'et'e 'egalement invit'es par vous `a venir ici. Que d'esirez-vous apprendre ? Pourquoi nous d'erange-t-on ?
Le jeune homme s’exprimait avec arrogance, sa voix 'etait s`eche et cassante et M. Bagot, qui n’'etait qu’un brave homme sans aplomb, paraissait troubl'e du ton brusque sur lequel on lui parlait. Il le comprenait presque, il l’admettait m^eme. Qu’'etait-il, en effet, lui, obscur et modeste fonctionnaire, bien que pourvu des pr'erogatives d’un magistrat, `a c^ot'e de ces personnalit'es qui occupaient, dans le commerce de Saint-Denis, une situation pr'epond'erante ? Juve fut moins humble.
— Monsieur, d'eclara-t-il, M. le commissaire de police vous a convoqu'e ainsi que votre fr`ere et Mme votre m`ere, dans l’int'er^et de la justice et dans celui de la v'erit'e. Il est du devoir de tout bon citoyen, de se pr^eter sans murmurer `a de semblables exigences. Il s’agit d’ailleurs tout simplement, je l’esp`ere du moins pour vous, d’une simple formalit'e `a remplir, apr`es quoi vous aurez toute libert'e de retourner `a vos affaires.
M. Bagot, cependant, qui tenait `a jouer son r^ole, prit un air s'ev`ere et important, pour d'eclarer :
— Eh bien, nous allons commencer sans tarder.
Mais il se tournait vers Juve et sollicitait un renseignement `a voix basse :
— Que faisons-nous ?
Fort adroitement et pour n’avoir point l’air, vis-`a-vis de tiers, de mener l’affaire, Juve r'epliqua :
— Nous allons agir, monsieur le commissaire, comme vous l’avez d'ecid'e ce matin, c’est-`a-dire que nous allons mettre Mme et MM. Granjeard en pr'esence du noy'e de l’autre jour.
— Pourquoi faire ? interrompit Mme Granjeard, qui jusqu’alors, s’'etait renferm'ee dans un silence m'eprisant.
Juve ne r'epondit pas imm'ediatement. Il ne s’'etait pas arr^et'e de marcher et, instinctivement, on l’avait suivi. Sur un signe qu’il fit aux gardiens, la porte du caveau mortuaire s’ouvrit. Et Juve, d’un geste brusque, autoritaire, y fit p'en'etrer la veuve, ainsi que ses deux fils. Les trois personnes, sans s’y attendre le moins du monde, se trouv`erent soudain en pr'esence du mort, qu’un rayon de lumi`ere tombant du plafond, `a travers des vitres d'epolies, 'eclairait en plein visage.
Mme Granjeard s’'etait avanc'ee machinalement au milieu de la pi`ece, mais elle s’arr^eta net, leva les bras au ciel et retomba en arri`ere, en poussant un grand cri. Ses fils qui venaient derri`ere elle la recurent dans leurs bras, mais leur regard s’'etait fix'e aussi sur le cadavre, et de leurs l`evres s’'echappait un cri terrible :
— C’est Didier, c’est Didier !
Ce fut pendant quelques instants un d'esordre inexprimable, dans la lugubre salle de la morgue. En proie `a une attaque de nerfs, Mme Granjeard 'etait difficilement maintenue `a l’extr'emit'e de la pi`ece par ses enfants, auxquels deux agents, sur un signe de Juve, 'etaient venus pr^eter secours.
***
Peu `a peu, la veuve revenait `a la vie, reprenait conscience d’elle-m^eme. Mme Granjeard eut un regard 'etonn'e, surpris, pour tous les gens qui l’entouraient, puis ses yeux rencontr`erent les tr'eteaux sur lesquels gisait, rigide, le corps de son malheureux fils. Elle eut un nouveau cri de douleur.
— Didier, murmura-t-elle, mon enfant, mon pauvre enfant !
Ses deux fils 'egalement semblaient fort 'emus, et de temps `a autre, ils jetaient des regards furtifs sur le cadavre, cependant que le commissaire d’une part, et Juve de l’autre, les observaient attentivement.
Lorsque Mme Granjeard fut un peu remise, ce fut Juve qui, le premier, proposa :
— Voulez-vous que nous nous retirions dans la pi`ece voisine ? L’identification est d'esormais faite. Nous savons d'esormais que la victime de la Plaine Saint-Denis est M. Didier Granjeard.
— Oui, dit le commissaire, passons dans la pi`ece voisine.
Les Granjeard, d’ailleurs semblaient fort heureux de fuir l’'epouvantable spectacle qu’ils avaient sous les yeux. Juve avait fait signe aux agents de se retirer et, seul, le secr'etaire du commissaire demeurait dans la salle attenant `a la morgue, avec le commissaire lui-m^eme, le policier, et la famille de Didier.