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— Ne touche pas. Laisse ca.
Et dans le d'esert des ruines, il 'etait si surprenant d’entendre parler que, stup'efait, l’enfant se retourna. `A moins de cinq m`etres, debout sur un muretin `a demi 'ecroul'e, il y avait un homme. Ni un pompier, ni un agent.
C’'etait un bourgeois, habill'e de v^etements confortables sinon cossus, la silhouette grande, mince, robuste, il tenait sur ses l`evres, un mouchoir blanc, `a travers lequel il respirait. Et il poursuivait :
— Laisse cela, petit. Tu ne sais pas qui c’est, et il ne faut pas y toucher. D’abord, que fais-tu l`a ?
— J’sais pas qui c’est ? commenca-t-il. Eh bien vous en avez de bonnes, vous. C’est de P'ekin ou de New York que revient monsieur, ou p’t’^etre qu’il n’a pas 'et'e `a la la"ique. Monseigneur ne sait pas lire ? Je n’sais pas qui c’est ? Pour un sou, monsieur peut se procurer au choix tous les grands canards de Paris, et monsieur verra qu’on sait bien qui qu’est mort : c’est Juve.
— Tu crois que c’est Juve ?
— Dame.
— Le policier Juve ? tu crois cela, petit ?
— Je le reconnais.
— Ah ca, comment es-tu l`a ? comment es-tu venu jusqu’ici ?
— Et vous ?
— Est-ce que tu ne te rends pas compte, maudit garnement, que d’une minute `a l’autre, tu peux te faire 'ecrabouiller par une muraille, par une pierre, par une poutre ?
— Vous m’emb^etez.
Et comme l’homme le regardait d’un air furieux, comme il allait l’atteindre, d’un bond le gosse se mit hors de port'ee. Il sauta par un prodige d’'equilibre sur une poutrelle fumante, l`a, prenant son 'elan, agrippa la saillie d’un mur, n’y toucha qu’une seconde puis, se trouva `a califourchon assis au sommet d’une cloison dont un des angles br^ulait encore, et qui, sous son poids, pourtant l'eger, se prit `a trembler dangereusement :
— Dites donc, continua le gosse, et vous ? qu’est-ce que vous fichez l`a ? Vous ne m’avez pas r'epondu. Coucou, il est parti le fils `a sa m`ere.
L’homme, pourtant, debout pr`es du cr^ane, consid'erait toujours le gamin :
— Comment t’appelles-tu ?
— Et vot’ soeur ? rallia-t-il, est-ce qu’elle porte des corsets ou des soutiens-gorge ?
— Ne parle pas si fort, les pompiers peuvent venir d’un instant `a l’autre.
— Et alors ?
— Dis-moi comment tu t’appelles ?
— Zut.
— Ah, tu vas voir.
— Je ne vais rien voir du tout. D’abord y a trop de fum'ee et puis ensuite si vous approchez, je me laisse d'egringoler sur vous avec ma muraille.
'Evidemment, il n’y avait rien `a faire pour intimider un pareil gavroche.
L’inconnu qui ne semblait plus pr^eter la moindre attention au danger qui l’environnait de tous c^ot'es, haussa les 'epaules, et reprit sur un ton plus doux :
— R'eponds-moi donc… d’abord, comment se fait-il que tu ne travailles pas aujourd’hui ? Tu es ouvrier ? Apprenti ?
— Oui, mon prince.
— Alors ?
— Alors, mon prince, on ne travaille pas aujourd’hui, parce que, mon patron a clamec'e, on l’enterre. L’usine est ferm'ee. Et comme ca et vous ?
— 'Ecoute, petit, fit-il, je suis ton ami et tu vas le voir… Mais il faut me r'epondre. Dis-moi seulement ce que tu es venu faire ici ?
— C’que je suis venu faire ? De la police. Oui, mon prince. N’ouvrez pas des yeux si grands, vous allez tomber dedans. Parfaitement. On sait ce qu’on sait. Fant^omas est une crapule et Juve, tout carbonis'e qu’il est, 'etait un grand homme. Tiens, j’ai lu toutes ses histoires. Je connais toutes ses aventures `a lui et `a son poteau, Fandor. Hier soir, on annonce sa mort. Bon, que je me suis dit, c’est extraordinaire que Juve se soit fait r^otir, s’agit d’aller voir si c’est vrai, et me voil`a. Je suis venu. Tout `a l’heure, on ne voulait pas me laisser passer. Bah, je ne suis pas si gros qu’un flic puisse m’emp^echer de me glisser sous ses pattes. Et en avant la fanfare, monseigneur, je suis entr'e dans les d'ecombres, pour y faire une enqu^ete comme on dit. J’voulais savoir si Juve 'etait mort. Voil`a sa t^ete `a ce pauv’ vieux. Juve est mort : dommage.
L’homme haussa les 'epaules, derechef :
— Juve n’est pas mort, d'eclara-t-il simplement. Viens, Juve, c’est moi. Viens. Nous avons `a causer.
— Vingt dieux, c’est pas du boniment `a la graisse d’oie ? vous ^etes Juve ? C’est bien vous ?
— C’est moi.
***
La main sur l’'epaule du petit, le policier se frayait un chemin `a travers les d'ecombres.
Deux heures plus tard, dans un cabaret des quais, attabl'es devant des verres o`u fumait un m'elange noir pompeusement intitul'e « caf'e » Juve causait encore avec l’enfant.
Mais ce n’'etait plus deux ennemis qui s’entretenaient et le titi parisien 'etait d'esormais bien loin de railler.
Adroitement questionn'e par le ma^itre-policier, il avait confess'e toute son histoire :
— Mon nom, c’est Riquet. Je suis apprenti `a l’usine Granjeard, une riche t^ole. C’est des marchands de fer, `a Saint-Denis. Je gagne bien ma vie, mais ca m’emb^ete, le m'etier. Ce que j’aime par-dessus tout c’est la police. Tout ce que vous avez fait, monsieur Juve, je le sais par coeur. Enfin, bref, comme je vous l’ai dit, quand hier soir j’ai appris votre mort, je me suis dit, sauf vot’ respect : pas possible qu’il se soit fait griller comme une andouille. Et tout de suite, j’ai caval'e par ici. Mais tout de m^eme j’avais bien peur que vous ne soyez dans l’autre monde. Ah mince, tr`es peu de stup'efaction, quand je vous ai apercu. Et comme ca, puisque vous n’^etes pas mort, il y aurait pas moyen que vous me fassiez entrer dans la police ?