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— H'e, h'e, tu vas vite en besogne, Riquet. Je ne suis pas mort ? Oui, sans doute, mais je suis mort tout de m^eme. Quel ^age as-tu, Riquet ?
— Quinze ans.
— Bon. Tu es un homme. Tu sais garder un secret ?
— Comme une tombe.
— Alors, je t’embauche dans ma police personnelle. Voil`a : c’est un miracle que j’aie 'echapp'e `a l’incendie. Tout le monde me croit mort, tout le monde doit me croire mort. Tu comprends que cela me facilitera 'enorm'ement la recherche de Fant^omas. Tr`es bien. Riquet, tu vas rentrer `a ton usine. Si. Exactement comme si tu ne savais pas ce que tu sais maintenant. Tu ne diras `a personne que tu connais Juve, et tu me pr'esenteras `a tous tes amis, pour un de tes compagnons d’atelier. Je m’appellerai, voyons, je m’appellerai : Lambert. Cela te va-t-il ? Et tu verras, continuait-il, qu’`a nous deux, le Fant^omas n’aura qu’`a bien se tenir. Riquet, tu voulais faire de la police, nous allons en faire ensemble, et de la bonne. J’ai confiance dans les gamins comme toi. Seulement, et c’est mon devoir de te pr'evenir, car tu le vois je te traite en homme, c’est la mort que l’on risque, `a lutter contre Fant^omas. Tu n’auras pas peur ?
— Bon ! r'epondait Riquet, la mort, je m’en fous, si on doit rigoler.
***
Le soir m^eme, Riquet pr'esentait son bon copain Lambert `a son p`ere et `a sa m`ere. Il y avait f^ete dans l’humble logement de Saint-Denis.
— 'Ecoutez donc, avait annonc'e Riquet, v’l`a un nouveau copain, un contrecoup d’une usine d’Aubervilliers, s’agit de lui faire une r'eception `a la hauteur !
Et Lambert trinquait avec un naturel si parfait, que par moments, Riquet se prenait `a sa com'edie.
2 – SC`ENES DE FAMILLE
Mme Granjeard donnait ses instructions `a ses fils, de cette voix br`eve, autoritaire et sifflante qui, depuis quarante ans d'ej`a, retentissait dans l’immeuble de la rue de l’Estacade `a Saint-Denis. C’'etait l’heure du d'ejeuner. On venait de passer dans la salle `a manger :
— Assieds-toi l`a, Paul, dit-elle, en s’adressant `a l’a^in'e de ses fils. Eh bien, oui, mets-toi l`a, `a la place de ton p`ere, que veux-tu puisqu’il est mort et que tu es l’a^in'e de la famille, c’est toi d'esormais qui le remplacera. Il faut se faire une raison, nous n’y pouvons plus rien.
Mme Granjeard, s’adressant au second de ses fils, `a Robert, poursuivait :
— Quant `a toi, viens `a ma droite, de la sorte tu seras `a contre-jour, ce qui est meilleur pour tes yeux qui n’aiment pas la grande lumi`ere. Et puis ca doit ^etre comme ca.
Le troisi`eme fils, Didier, un jeune homme de vingt-deux `a vingt-trois ans `a peine, s’installa sans mot dire `a la place demeur'ee libre `a gauche de sa m`ere et cependant que chacun s’asseyait autour de la table de famille, Didier r'eprimait avec peine les grosses larmes qui lui montaient aux yeux, cependant que Mme Granjeard, plus rude, plus s`eche, plus ma^itresse d’elle-m^eme encore qu’auparavant, jetait un coup d’oeil s'ev`ere sur la bonne qui passait le premier plat, et elle lui fit des reproches amers :
— Rien qu’`a les regarder, grommela-t-elle, je vois, Justine, que ces oeufs brouill'es ne sont pas assaisonn'es, passez-moi le poivre et le sel.
Le d'ejeuner d`es lors commenca lentement, dans le silence.
Les Granjeard exercaient, depuis des temps imm'emoriaux, le commerce des charpentes en fer `a Saint-Denis. C’'etait le grand-p`ere Granjeard qui, sous le second Empire, avait ouvert une petite quincaillerie dans une mis'erable 'echoppe construite en planches au bord du canal. Dans cet humble magasin, il avait vendu de tout ce qui touchait de pr`es ou de loin `a sa profession. Puis, il s’'etait adjoint un terrain vague dans lequel il avait entass'e les vieilles ferrailles achet'ees aux chiffonniers et aux d'emolisseurs. Ensuite, par quelques sp'eculations assez avantageuses, car le bonhomme s’entendait au n'egoce, il avait r'eussi `a r'ealiser de notables 'economies et `a les placer avantageusement dans des marchandises en stock qu’il accumulait dans son arri`ere-boutique.
Une hausse sur le fer survenue apr`es la guerre obligea les n'egociants `a 'elever leurs prix. Granjeard qui, d`es lors, venait de s’associer son fils, ne manqua naturellement pas de faire comme ses coll`egues et d’augmenter les prix de ses mat'eriaux. Il avait avec les fournisseurs des contrats tr`es avantageux, gr^ace auxquels il r'ealisait des b'en'efices consid'erables.
Granjeard avait eu, en l’espace de dix ann'ees, trois enfants, trois garcons, ce qui le r'ejouissait, car non seulement il n’aurait pas de dot `a donner `a ses fils comme il aurait fallu le faire pour des filles, mais encore dans l’avenir, ces trois garcons seraient 'evidemment d’excellents employ'es que l’on pourrait utiliser dans la maison de commerce.
`A mesure que les enfants grandissaient, l’affaire grandissait aussi et d'esormais ce que l’on appelait « la maison Granjeard `a Saint-Denis » occupait un vaste quadrilat`ere bord'e d’un c^ot'e par la Seine, d’un autre par la rue de l’Estacade et des deux derniers par de hauts murs auxquels s’adossaient des charpentes sous lesquelles on amoncelait des provisions de ferrailles.
Pour ^etre mieux `a proximit'e de leur usine, les Granjeard avaient leur domicile priv'e sur le lieu m^eme de leurs affaires. Ainsi, ils pouvaient exercer une surveillance active et continuelle. Les 'epoux n’avaient qu’un seul objectif, qu’un seul but dans la vie : leur commerce, qu’une seule satisfaction : gagner de l’argent.
Mme Granjeard 'etait bien la femme qui convenait au marchand de fer. `A proprement parler, elle n’avait jamais eu de jeunesse. C’'etait une personne s`eche, acari^atre, parchemin'ee avant l’^age par un s'ejour prolong'e derri`ere sa caisse et ses comptoirs. Elle avait toutefois des qualit'es de s'erieux et une perspicacit'e commerciale qui faisait d’elle la pr'ecieuse collaboratrice de son mari. Elle 'etait, comme lui, 'eprise de n'egoce et ne pouvait s’imaginer qu’il y e^ut au monde d’autre distraction que celle qui consistait `a 'etablir des bordereaux et des factures ou `a lire, quand on avait des loisirs, les journaux sp'eciaux de la M'etallurgie. Les Granjeard 'etaient semblables au fer qu’ils vendaient. Ils 'etaient sombres et rigides.