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— Juve, r'ep'eta l’ambassadeur, c’est un homme que j’estime et en qui j’ai la plus haute confiance, comme vous, d’ailleurs, mon cher ami, n’est-il pas vrai ? Ne pourrais-je pas le voir ?
— J’ai pens'e, fit M. Annion, que tel serait votre d'esir, Juve est dans ma voiture en bas, `a votre disposition si vous le d'esirez.
— Qu’il monte, s’'ecria l’ambassadeur…
Quelques instants apr`es, M. Annion ayant pr'esent'e Juve `a l’ambassadeur, se retirait. Il avait encore de nombreuses affaires `a r'egler. Juve, du reste, le remplacerait avantageusement. Juve, d’ailleurs, avec la nettet'e qui lui 'etait particuli`ere, 'etait d'ej`a en train d’exposer les faits `a l’ambassadeur.
Le Skobeleff, quarante-huit heures auparavant, prenait la haute mer. On avait vu de la terrasse de Monaco le commandant, en grand uniforme, rejoindre son bord, regagner son poste.
Juve, d’ailleurs, comme M. Annion, allait conclure par une note optimiste, mais le comte Saratov l’en pr'evint :
— Monsieur, fit-il, puis-je avoir confiance en vous ?
— Toute confiance, monsieur, r'epondit Juve.
— Monsieur, poursuivit l’ambassadeur, prenez bien garde `a votre r'eponse, ce n’est plus le comte Vladimir Saratov qui vous parle, c’est le repr'esentant du gouvernement russe qui s’adresse `a vous, qui va vous confier un secret d’'Etat que vous serez seul `a conna^itre, seul avec moi. Puis-je compter sur votre d'evouement ? Puis-je vous demander votre concours ?
— Mes chefs m’ont introduit aupr`es de vous, monsieur l’Ambassadeur, avec l’id'ee que vous auriez peut-^etre besoin de mes services. J’ai qualit'e pour me mettre `a votre disposition pleine et enti`ere. J’ai carte blanche pour m’entendre avec vous. Parlez, je vous 'ecoute, je suis `a vos ordres. Mon d'evouement vous est acquis.
Le diplomate se leva, alla s’assurer que nul n’'etait `a proximit'e de son cabinet, dans les couloirs ou galeries voisines. Il abaissa, par surcro^it de pr'ecautions, d’'epaisses tentures sur les portes, puis, approchant un fauteuil du sien, il y fit asseoir Juve :
— Consid'erez-vous, interrogea-t-il, cette affaire du Skobeleff comme 'etant grave ?
— Oui, monsieur l’Ambassadeur, tr`es grave.
— Monsieur Juve, poursuivit le diplomate, c’est encore plus grave que vous ne le supposez. Je vais tout vous dire, il le faut. Vous revenez de Monaco, n’est-ce pas ? vous savez donc que le grand-duc Alexandre se trouvait `a Monte-Carlo depuis une quinzaine de jours.
— Je le sais, monsieur.
— Le grand-duc Alexandre 'etait l`a-bas en mission secr`ete. Il r'edigeait, d’accord avec un repr'esentant du gouvernement britannique, une entente officieuse et formelle qui a 'et'e sign'ee voici quatre jours exactement. Cette entente lie deux puissances, l’Angleterre et la Russie, pour une 'eventualit'e dont je n’ai pas pour le moment `a vous pr'eciser le d'etail. Sachez simplement que ce document a 'et'e remis par le grand-duc au commandant du Skobeleff, ce document est contenu dans un portefeuille rouge scell'e et cadenass'e. Le portefeuille – j’en ai la certitude – a 'et'e plac'e `a bord du navire dans le coffre r'eserv'e du commandant. Le Skobeleff a recu aussit^ot l’ordre de quitter Monaco, de gagner les eaux finlandaises, et de croiser jusqu’au moment o`u il rencontrera le yacht imp'erial : le commandant doit remettre, en mains propres, `a Sa Majest'e l’Empereur, le portefeuille rouge contenant ce document. Or, vous pr'etendez que…
L’ambassadeur s’arr^eta net de parler. Il venait d’entendre un l'eger bruit dans le couloir voisin, il bondit `a la porte, l’ouvrit. Son visage renfrogn'e se transforma imm'ediatement, tant 'etait grand l’empire qu’il avait sur lui-m^eme. Il venait, en effet, d’apercevoir l’un de ses invit'es, M. Ellis Marshall visiblement 'egar'e dans le d'edale des appartements.
— Que cherchez-vous donc mon cher ami ?
— Le fumoir, dit l’Anglais en souriant, figurez-vous que je me suis perdu dans votre h^otel, je ne puis plus retrouver mon chemin.
L’ambassadeur appela un valet, fit reconduire son invit'e, lequel ajouta en s’'eloignant :
— Ces dames vous r'eclament au salon, mon cher ambassadeur. Savez-vous qu’il y a d'ej`a plus d’une demi-heure que vous ^etes absent. Vous leur manquez.
— Qu’on m’excuse, dit le diplomate, coupant court.
Les regards du policier s’'etaient crois'es avec ceux de l’invit'e 'egar'e du diplomate :
— Quel est donc ce monsieur ? demanda Juve.
— M. Ellis Marshall, baronnet, un riche Anglais.
— Bien, fit Juve, n’est-ce pas lui qui entoure de ses assiduit'es la princesse Sonia Danidoff ?
— On le dit, mais cela n’a aucune importance pour ce qui nous occupe.
— Qui sait ? murmura Juve.
L’ambassadeur avait repris :
— Si le Skobeleff d'esormais est command'e par un officier qui n’est pas Ivan Ivanovitch, – et nous en avons malheureusement la preuve, – c’est qu’'evidemment quelqu’un a eu connaissance de ce document secret, a voulu s’en emparer. Il ne faut pas, monsieur, que cet homme puisse quitter le bord du Skobeleff. Mieux vaut que le navire p'erisse avec tout son 'equipage, qu’une indiscr'etion qui pourrait avoir pour la paix les plus effroyables cons'equences.
— Comme vous y allez, Excellence. D’ailleurs, je ne suis pas de votre avis, pas tout `a fait du moins. Je crois, je veux croire que le personnage qui a pris la place du commandant Ivan Ivanovitch ignore l’existence de ce document, et que s’il est mont'e `a bord du Skobeleff, c’est pour se tirer d’une situation absolument inextricable sans autre issue que celle consistant `a se faire passer pour le commandant du Skobeleff ou tout au moins pour un officier autoris'e `a commander ce navire.