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Dans la foule encore des habitu'es du tripot, on remarquait Malvertin, le fils du grand carrossier, l’avocat Duteil que sa r'eputation d’aust'erit'e au Palais n’emp^echait pas de venir de temps `a autre taquiner la dame de pique, puis encore Valaban, gros propri'etaire de chevaux de courses, puis aussi le boxeur Smith, robuste et gigantesque individu auquel ses poings et ses biceps assuraient r'eguli`erement une rente de cinq cent mille francs par an.
Cependant la partie avait commenc'e, et Mario Isolino qui en assumait la direction, affectait d'esormais un air grave et solennel.
La joie r'egnait parmi les joueurs, car la tradition 'etablie depuis plusieurs soirs d'ej`a, se poursuivait :
— La banque perd, la banque perd encore, murmurait-on.
Or, tandis que s’'epanouissaient les visages des pontes et que les sommes qu’ils avaient risqu'ees 'etaient sans cesse rendues, consid'erablement augment'ees, soudain, un coup de sifflet retentit.
D’un geste brusque, Mario Isolino s’'elanca sur la table de jeu, et, recouvrant de son corps souple et agile les monceaux d’or qui s’y trouvaient accumul'es, il cria d’une voix angoiss'ee :
— Sauve qui peut ! Voil`a la police !
Au m^eme instant, des rumeurs et des 'eclats de voix se percevaient dans l’escalier qui conduisait `a la salle plac'ee au premier 'etage. Mais, dans l’espace d’une seconde, le croupier avait fait dispara^itre l’argent 'etal'e sur la table, puis des gens bien styl'es, des serviteurs, au courant 'evidemment de ce qu’il fallait faire dans de semblables circonstances, 'eteignaient brusquement l’'electricit'e. La salle aussit^ot fut plong'ee dans l’obscurit'e absolue. D’une voix que trahissait l’angoisse et la terreur, Mario Isolino r'esolu `a bien se tenir jusqu’au bout, d'eclara nettement :
— Ne bougez pas messieurs et mesdames, vous n’avez rien `a craindre, et si d’aventure on se permet d’entrer ici, dans mes appartements, vous n’aurez qu’`a faire conna^itre vos noms et domicile et dire que vous ^etes de mes amis. Moi, je confirmerai vos d'eclarations.
Cependant, les recommandations de Mario Isolino semblaient ne faire qu’une m'ediocre impression sur le groupe d’inconnus qu’il se disposait `a faire passer pour ses amis. Peut-^etre se trouvait-il, parmi eux, des gens qui ne tenaient pas outre mesure `a r'ev'eler leur identit'e, et c’est pourquoi, malgr'e la recommandation de Mario Isolino invitant les uns et les autres `a se tenir tranquilles, on percut des bruits de course, de pas pr'ecipit'es, de fuites 'eperdues, voire m^eme le tapage d’une vitre bris'ee, comme si quelqu’un au risque de se rompre le cou, s’'etait 'elanc'e `a travers une fen^etre.
***
Vers onze heures du soir, Juve et M. Sibelle s’'etaient rencontr'es `a la Pr'efecture de police, puis ils avaient pris un fiacre qui les avait descendus `a l’entr'ee du parc Monceau. Ils avaient alors quitt'e leur v'ehicule. Les deux hommes s’acheminaient lentement dans la direction de la rue Fortuny. Au bout de quelques instants, Sibelle interrogea :
— Je suis fort heureux, mon cher Juve, de vous pr^eter mon appui ce soir, puisque vous estimez en avoir besoin. Mais je me demande `a quoi je pourrai vous servir ?
— Vous le verrez bien, r'epliqua Juve qui ne paraissait gu`ere soucieux de s’ouvrir `a M. Sibelle.
Loin de r'epondre `a ses questions il l’interrogeait :
— Vous ^etes s^ur, monsieur Sibelle, demanda-t-il, du lieu de rendez-vous qu’ont choisi et qu’ont adopt'e les gens dont je vous ai donn'e le signalement ?
Le chef de la brigade des jeux hocha la t^ete :
— Je connais leur repaire, fit-il. Ils y sont install'es depuis douze jours, c’est dans ce petit h^otel de la rue Fortuny dont vous apercevez d’ici les toitures pointues. Je ne leur ai pas encore rendu visite, mais, les ayant expuls'es d’une maison de la rue Legendre, j’ai eu connaissance, par mes inspecteurs sp'eciaux, de leur installation rue Fortuny, voici d'ej`a trois ou quatre jours. Nous allons pouvoir op'erer une descente et, s’il y a lieu pour vous, de proc'eder `a des arrestations. Je vous pr^eterai main forte. Quant `a moi, je me contenterai de la saisie des jeux et de la vente du mobilier que j’effectuerai d`es demain sans difficult'e, j’ai d'ej`a l’acheteur.
Juve regarde son coll`egue avec un certain 'etonnement :
— Vos facons de proc'eder m’'etonnent un peu, dit-il. Elles ont l’air d’^etre r'egl'ees `a l’avance comme une sc`ene de com'edie. Avant d’avoir lev'e le rideau, vous connaissez l’intrigue et m^eme le d'enouement.
— C’est parfaitement exact et que voulez-vous y faire ? Les tenanciers des tripots clandestins et leur client`ele connaissent la loi aussi bien que nous, pour ne pas dire mieux. Lorsque nous avons saisi les esp`eces et reconnu que les personnes pr'esentes justifient de leur identit'e, nous sommes oblig'es de rel^acher tout le monde. L’h^otel est toujours lou'e `a la journ'ee, les meubles ne valent rien et, sit^ot qu’on en ordonne la mise en vente, je me trouve en pr'esence d’un acqu'ereur qui rach`ete le tout `a un prix tr`es suffisant. Inutile de vous dire, mon cher Juve, que cet acheteur n’est autre que le tenancier pinc'e la veille et que nous le retrouverons le lendemain au plus tard, avec le m^eme mobilier, dans un 'etablissement similaire [15].
— Je me rends compte, en effet, qu’il s’agit d’une simple com'edie. Le seul int'er^et des descentes de police du genre de celles que nous allons faire est de permettre, occasionnellement, la capture de quelque malfaiteur, si parfois il s’en trouve dans la client`ele de ces tripots.
— C’est rare, car, voyez-vous, les joueurs constituent un monde tr`es ferm'e qui fait sa police lui-m^eme et dans lequel se m^elent rarement des voleurs ou des bandits de droit commun. Je fais exception pour ce qui concerne les grecs [16], les tricheurs de toute esp`ece contre lesquels nous ne pouvons pas s'evir.