Mais comment se fait-il que la sage-femme, qui t’annoncait avec tant d’assurance il y a d'ej`a un mois l’imminence du terme, ait pu se tromper si grossi`erement? et une pareille erreur ne t’inspire-t-elle pas quelques doutes sur sa science et son exp'erience? Ce serait l`a, peut-^etre, une question `a examiner. Mais il est certain que tu es mieux `a m^eme que personne de la r'esoudre.

Le pr'esident du Conseil de la Presse, Похвиснев, qui est en ce moment `a Moscou, me disait `a son d'epart qu’il aurait beaucoup d'esir'e voir ton mari. Et moi aussi j’aurais d'esir'e que cette rencontre p^ut avoir lieu — non pas que j’esp`ere qu’il en r'esulte une solution rationnelle de la question de la presse, n'ecessairement insoluble partout o`u la presse est encore une question, mais une entrevue personnelle convaincrait ton mari qu’il n’y a pas l’ombre de parti pris contre lui, rien qui ressemble `a une hostilit'e syst'ematique. En g'en'eral on est trop dispos'e `a distance de syst'ematiser hommes et choses. Et nulle part ce proc'ed'e n’est aussi trompeur que chez nous, surtout dans les r'egions officielles o`u il n’y a pas assez d’id'ees pour qu’il y e^ut lieu `a rien syst'ematiser. Avec ces gens-l`a il faut toujours se garder de viser trop haut.

Pour ce qui concerne en particulier ce pauvre Conseil de la Presse, il vaut mieux que ce qu’il fait tr`es souvent par la faute de l’institution, il est condamn'e `a faire ce qui lui r'epugne. C’est ce qui vient de lui arriver tout derni`erement `a propos d’un article des Биржевые вед<омости>, dirig'e contre le Minist`ere des Finances. Apr`es m^ur examen, il avait 'et'e convenu que cet article n’appelait pas un avertissement. C’'etait avant le retour de Mr de Reutern, et il s’est trouv'e que nous avions compt'e sans notre h^ote. Car `a peine celui-ci a-t-il en pris connaissance de l’article en question qu’il a d'eclar'e dans le Conseil des Ministres qu’il r'eclamait une r'epression administrative contre le dit journal… Et force a 'et'e au pauvre Conseil de se d'ejuger, pour lui accorder la satisfaction demand'ee*. Tout cela est aussi mis'erable que r'evoltant, mais qu’y faire…

Je suis tr`es impatient de me retrouver `a Moscou entre ton cher mari et toi, et je n’attendrais pas l’annonce de l’'ev'enement, pour me rendre aupr`es de vous, si j’avais dans le moment actuel plus de latitude pour une absence. J’ai eu ces jours-ci une lettre de Biarritz* satisfaisante. Mais depuis longtemps je ne sais rien de Daria*.

Dieu v<ou>s garde.

Петербург. Пятница. 8 сентября

Ну что, дитя мое, ну что? — Значит, это уже определенно произойдет в октябре? Я готов мириться с ожиданием, лишь бы ты хорошо его перенесла.

Но как же акушерка, еще месяц назад с полной уверенностью заявлявшая, что дело идет к исходу, могла так сильно ошибиться? и не внушает ли тебе подобная ошибка некоторых сомнений в ее знаниях и опытности? Этим, пожалуй, стоило бы озаботиться. Впрочем, тебе, конечно, виднее, чем кому-либо.

Председатель Совета по делам печати Похвиснев, сейчас находящийся в Москве, говорил мне перед отъездом, что очень хотел бы повидаться с твоим мужем. Мне бы тоже хотелось, чтобы эта встреча состоялась, — не потому, что я жду от нее какого-нибудь разумного решения вопроса печати, неизбежно неразрешимого повсюду, где печать все еще под вопросом, но личное свидание убедило бы твоего мужа, что по отношению к нему нет и тени предвзятости, нет ничего похожего на систематическую враждебность. Человеку вообще свойственно систематизировать мало знакомых людей и отдаленные предметы. И ни в одной стране подобный подход не чреват более глубокими заблуждениями, чем у нас, особенно когда речь идет о правительственных сферах, где настолько мало идей, что и систематизировать-то нечего. Эту публику никогда не следует переоценивать.

Что же, в частности, до злополучного Совета по делам печати, то он лучше своих деяний, на которые его часто толкает ущербность самого института, вынуждая делать то, что ему претит. Именно такое случилось с ним на днях в связи со статьей в «Биржевых ведомостях», направленной против Министерства финансов. По тщательном рассмотрении сошлись на том, что статья не заслуживает предостережения. Это было до возвращения г-на Рейтерна, но оказалось, что мы не спросились нашего барина. Ибо стоило ему ознакомиться с названной статьей, как он заявил в Комитете министров, что требует для газеты административного наказания… И бедному Совету пришлось пересмотреть собственное решение, чтобы удовлетворить его требование*. Все это столь же печально, сколь и возмутительно, но ничего не попишешь…

Мне не терпится очутиться снова в Москве рядом с твоим милым мужем и с тобой, и я бы отправился к вам, не дожидаясь известия о долгожданном событии, если бы располагал сейчас большей свободой. На днях я получил неплохое письмо из Биаррица*. Но давно уже не имею ни строчки от Дарьи*.

Господь с вами.

P'etersbourg. Mercredi. 20 sept<embre>

Ma fille ch'erie. Votre silence prolong'e avait consid'erablement ajout'e `a mes inqui'etudes habituelles. Mais enfin hier j’ai recu par voie extraordinaire votre lettre du 15–17, et le son de votre voix a quelque peu contribu'e `a me rassurer. — Et moi aussi je consens `a l’ajournement et ne demande pas mieux que de voir ta grossesse rentrer, `a ce prix, dans les conditions normales… Ce serait un souci de moins, et Dieu sait que je pourrai, sans trop m’appauvrir, en diminuer quelque peu la quantit'e… Tes craintes `a toi au sujet du journal me paraissent mal fond'ees. Je n’ai rien appris ni remarqu'e ici qui f^ut de nature `a les justifier… D’ailleurs ton mari aura trouv'e, je suppose, l’occasion de parler avec Похвиснев, et vous savez maintenant `a quoi vous en tenir. Il est certain que dans la confusion, qui r`egne ici, toutes les m'eprises sont possibles. Mais c’en serait, n'eanmoins, une bien forte que de mettre hors la loi une gazette qui n’a d’autre tort que de d'efendre avec trop d’'energie les tendances, officiellement avou'ees du gouvernement.

J’envoie ci-joint `a ton mari, non pas assur'ement en vue d’une publicit'e quelconque, mais pour son 'edification personnelle, l’extrait d’une lettre, 'ecrite par Достоевский `a Майков, dans laquelle il est rendu compte de son entrevue avec Тургеньев `a Bade*. Cela pourrait inspirer `a Аксаков un article qui serait tout `a fait de saison. — Il s’agirait d’analyser un fait contemporain qui prend de plus en plus un caract`ere pathologique. C’est la russophobie dans certains Russes — fort honorables d’ailleurs… Autrefois ils nous disaient, et ils le croyaient en effet, que ce qu’ils d'etestaient en Russie, c’est l’absence du droit, de la libert'e de publicit'e, etc. etc., que c’est l’existence incontest'ee de toutes ces choses qui leur faisait ch'erir l’Europe… Maintenant que voyons-nous? A mesure que la Russie, en gagnant un peu plus de libert'e, s’est affirm'ee davantage, l’antipathie de ces messieurs contre elle n’a fait que s’exasp'erer. Car il est de fait que jamais ils n’ont aussi cordialement ha"i le r'egime pr'ec'edent que les directions actuelles de l’opinion nationale… En Europe, par contre, nous ne voyons pas que tous les d'enis de justice, de moralit'e, de civilisation m^eme aient en rien diminu'e leur pr'edilection pour elle. Ils en sont toujours encore `a plaindre les Polonais et `a trouver toute naturelle l’inf^ame politique des 'etats de l’Occident envers les chr'etiens d’Orient, etc. etc. En un mot, dans le fait, dont je parle, les principes comme tels sont hors de cause, il n’y a plus que des instincts, et c’est la nature de ces instincts qu’il faudrait analyser.