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Если же и здесь дойдут до того, что заткнут нам рот и не позволят даже проклинать во всеуслышание наших угнетателей, то я уеду в Америку. Я – человек и пожертвую всем ради человеческого достоинства и свободы слова.
Вероятно, вы последуете туда за мною?..
Лондон, 25 августа 1849 г.
Lettre d'un Russe `a Mazzini *
En vous remerciant de l'honneur que vous avez fait `a ma lettre sur la Russie [89] en publiant la traduction dans L'Italia del Popolo, je vous prie de me permettre d'y ajouter quelques r'eflexions que me sugg`erent les derniers 'ev'enements. Je vous serais bien reconnaissant de leur donner place dans votre journal.
89
C'est la lettre publi'ee dans l''edition hebdomadaire de la Voixdu Peuple.
On parle d'une guerre entre la Russie et la Turquie. Le d'esir d'une rupture avec la Porte est 'evident chez l'empereur Nicolas; peu scrupuleux sur les moyens, il s'est content'e d'un pr'etexte priv'e de fondement et d'une r'evoltante inhumanit'e. Il est 'etonnant qu'un homme de l'habilet'e de M. Titof, jadis litt'erateur lib'eral de Moscou, n'ait pas trouv'e un meilleur pr'etexte, au moins dans l'int'er^et de sa r'eputation.
Chose 'etrange! L'empereur Nicolas, apr`es un r`egne de 24 ans, se montre pers'ecuteur aussi implacable qu'aux premiers jours de son av`enement. Le monde commencait d'ej`a `a oublier les jours n'efastes o`u r'egnait l'ordre `a Varsovie; sa r'eputation devenait meilleure, compar'ee `a la d'epravation et `a la sanguinaire barbarie des autres gouvernements. D'epass'e dans sa f'erocit'e par les fusillades de Juin, par le sombre delirium tremens d'un de ses voisins et par la nymphomanie empoisonn'ee d'une de ses voisines qui a 'elev'e un enfant, son fils, `a remplir les fonctions de bourreau, l'empereur Nicolas 'etait rel'egu'e au second rang de la tyrannie.
Or, voici qu'il se pr'esente aux yeux du monde, jetant le grand d'efi `a la Turquie, sous pr'etexte que la Porte, se souvenant qu'elle n'est ni chr'etienne, ni civilis'ee, refuse de livrer sept `a huit cents h'eros qu'il veut fusiller.
En v'erit'e, l'offense est grave; et entre amis on ne se refuse pas ces petits services!
Cet incident se terminera peut-^etre sans d'egainer; notre si`ecle impuissant et d'ecr'epit semble quelquefois prendre une 'energique r'esolution, mais retombe aussit^ot sans avoir rien fait. Ainsi la R'evolution de F'evrier fut suivie d'un mouvement r'etrograde qui nous reporte au del`a de 1789. – Toutefois, la guerre entre la Porte et la Russie ne peut ^etre que diff'er'ee.
Byzance est le r^eve constant de la Russie, le fanal que, depuis le Xe si`ecle, elle n'a jamais perdu de vue. Byzance est pour les barbares orientaux la Rome orientale. Le peuple russe l'appelle Tsargrad, la reine des cit'es, la cit'e des C'esars. De l`a lui vient sa religion: Byzance l'a sauv'e du catholicisme et du droit romain; Byzance, succombant sous les coups des Osmanlis, a transmis `a la Russie son aigle `a deux t^etes, l'aigle du double empire, comme dot d'une Pal'eologue, devenue l''epouse du premier tzar moscovite. Pierre Ier et ses descendants n'ont pu dormir paisiblement; il leur fallait Constantinople. Les lambeaux sanglants de la Livonie, de l'Esthonie, de la Finlande, ceux enfin de la Pologne, ne les ont pas satisfaits. Le but de leurs d'esirs, leur utopie, leur id'eal, c'est Constantinople. Catherine II donna le nom de Constantin `a son second fils. L'un des fils de Nicolas, le grand-amiral, se nomme aussi Constantin.
Le moment de faire la guerre n'est pas mal choisi, et peut-^etre verrons-nous l'aigle `a deux t^etes d'etacher son vol des glaces du nord et se reposer sur le croissant qui surmonte les coupoles chr'etiennes de Sainte-Sophie. Stamboul tombera, Byzance resurgira! Que les destins s'accomplissent!
Que signifie cet instinct, cette tendance 'eternelle et fatale qui pousse les Slavo-Russes vers Byzance, depuis les Var`egues, depuis Oleg et Sviatoslaw qui all`erent clouer l''ecusson de la barbarie et du paganisme sur les murailles de la capitale de l'empire d'Orient, jusqu'`a l'empereur Nicolas! Est-ce une inclination naturelle, une loi physiologique, ou, si vous voulez, une fatalit'e?
Dans l'int'er^et de l'empereur, je lui conseillerais cependant de ne pas s'aventurer dans cette guerre et d'y penser m^urement avant de l'entreprendre.
Vous croyez peut-^etre que je voudrais l'en d'etourner par la crainte que ses troupes ne soient battues? Non; l'arm'ee russe sera victorieuse.
Vous croyez, peut-^etre, que l'Europe ne le permettrait pas? Non; l'Europe permettra tout.
Je sais tr`es bien qu'une telle guerre fera beaucoup de bruit. On lancera des notes diplomatiques; on exp'ediera des diplomates notables. On fera faire une promenade militaire `a quelque corps d'arm'ee; une autre promenade aux flottes sur la mer. On profit'era de ce pr'etexte pour faire voter des cr'edits suppl'ementaires. On prononcera dans les parlements de magnifiques discours qui renverseront les minist`eres. On fera des rassemblements dans les rues. On imprimera dans les journaux des articles fulminants et des appels au Peuple. On tentera des manifestations pacifiques qui donneront l'occasion aux amis de l'ordre de fusiller et d'eporter leurs ennemis. Puis, les ministres viendront d'eclarer que l'empereur de Russie a donn'e des explications franches et satisfaisantes; qu'il ne veut pas agrandir ses Etats; que la guerre contre la Turquie n'est dirig'ee que contre les doctrines perverses et subversives; qu'il s'agit seulement de frapper le Socialisme `a Constantinople, – et le silence se fera. L'Europe a-t-elle emp^ech'e la Russie de d'evorer la Pologne, de d'evaster la Hongrie et de prot'eger la Moldavie et la Valaquie?
Et qui prononcerait le veto?
La France, peut-^etre? La France, comme lady Macbeth, ne lavera pas sit^ot les taches de sang sur ses mains fratricides. La France est trop coupable pour oser 'elever la voix contre l'iniquit'e d'autrui.
L'Angleterre, peut-^etre? Elle est forte, mais on traitera avec elle. On lui donnera l'Egypte. On pourrait lui donner P'etersbourg sans perdre `a ce march'e! En attendant, elle br^ulera les vaisseaux de quelques n'egociants russes, elle stipulera un trait'e de commerce avec d'immenses avantages, et elle occupera provisoirement quelques ^iles qu'elle oubliera de restituer.
L'Autriche? Mais est-ce qu'il existe une Autriche? C'est une r'eminiscence historique, une expression g'eographique, un cadavre qu'on n'a pas encore eu le temps d'ensevelir.
Serait-ce, par hasard, le pacha russe de Berlin? Mais ce gouvernement peut-il ^etre autre chose que russe?
Et n'eanmoins je ne conseillerais pas `a l'empereur Nicolas d'aller se chauffer au soleil qui resplendit sur les rives du Bosphore. Il fait plus froid `a Saint-P'etersbourg, mais il y fait plus s^ur. Constantinople conquise, le sceptre de fer de Pierre Ier se rompra en voulant s'allonger jusqu'aux Dardanelles; Constantinople conquise, la dynastie des Romanoff devient impossible, inutile et n'a plus de signification.