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L'orage aussi est terrible, mais qui donc lui dispute son caract`ere de beaut'e sublime? N'allez pas dans une faible nacelle admirer la grandeur du spectacle d'une mer d'echa^in'ee, vous seriez engloutis pr`es du bord. De m^eme, en 'evoquant ces temps h'ero"iques et lugubres n'apportez pas pour les juger un petit code morale bon pour tous les jours, insuffisant pour ces cataclysmes, qui 'epurent l'air au milieu de la foudre, qui cr'eent au milieu des ruines. Les 'epoques ne suivent point les pr'eceptes d'une moralit'e quelconque, ils en d'ecr`etent une nouvelle.
C'est ce que le po`ete a compris parfaitement. Sa pi`ece le prouve. Mais alors, pourquoi ce doute au d'ebut? Pourquoi a-ti-il voulu s'excuser?
Pourtant, peut-^etre il avait raison!.. M. Ponsard a soulev'e avec noblesse et d'esint'eressement la pierre de cette tombe r'ecente. Il a d'edaign'e le moyen trop facile d'agir sur le public par des allusions. Il n'a pas voulu fausser le pass'e et profaner les morts, en s'en servant comme des masques pour les questions du jour. Si la pi`ece est un peu froide, si elle ne renferme point une action v'eritablement dramatique, il faut rechercher la cause de tous ces manquements ailleurs que dans la politique. La politique n'y entre pour rien, nous pensons que le choix m^eme de l'h'ero"ine a contribu'e `a cette froideur et `a cette absence d'action. Mais nous nous r'eservons de parler plus au long de la pi`ece de M. Ponsard dans un des articles prochains. C'est une oeuvre trop s'erieuse pour qu'on ait le droit de la juger `a la h^ate, apr`es une seule repr'esentation. Pour le moment nous avons voulu nous tenir dans les g'en'eralit'es.
Eh bien! Nous le r'ep'etons, nous savons gr'e `a l'auteur d'avoir trait'e son sujet objectivement, comme disent les Allemands. Ne cherchez dans la pi`ece de M. Ponsard ni anath`eme contre Marat, ni apologie pour Charlotte Corday. Non, l'auteur s'est plac'e `a un point de vue plus po'etique et plus 'elev'e, il a voulu vivre, sentir et penser dans la peau de ses h'eros.
Comment vivre dans la peau de Marat, cet ogre r'evolutionnaire qu'on montre aux petits enfants `a cheveux blancs, pour les rejeter dans la r'eaction? Et il le fallait pourtant.
Remarquez que toute l'immensit'e du g'enie de Shakespeare repose sur cette nature de Prot'ee: Shakespeare ne raconte pas, n'accuse pas; il ne distribue pas de prix Monthyon, mais il est lui-m^eme Shylock, Iago; il est `a la fois et Falstaff et Hamlet. Le po`ete n'est pas un juge d'instruction, ni un procureur du roi; il n'accuse pas, il ne d'enonce pas, surtout dans un drame. Encore une fois le po`ete vit de la vie de ses h'eros; il t^ache de comprendre et de dire ce qui est humain m^eme dans le crime. Que le po`ete t^ache d'^etre vrai, et les faits feront plus de morale que les sentences et les maximes. Il faut avoir quelque confiance dans la nature humaine et dans notre intelligence.
Nous louons l'auteur d'avoir eu le soin de ne pas rappeler de la tombe Marat pour lui faire jouer le r^ole d'un chacal enrag'e, – de cet homme-loup, d'epeint par la tante de Charlotte, de ce maniaque sanguinaire d'epeint par Barbaroux. Non, Marat est repr'esent'e, comme nous le connaissons, aigri, maladif, atrabilaire, fanatique, soupconneux, le grand inquisiteur de la R'evolution, «le Lazare maudit qui a souffert avec le Peuple et qui a 'epous'e sa haine, sa vengeance!»
C'est bien dommage que l'auteur ait d'evi'e de cette route dans la derni`ere sc`ene, o`u Danton et Charlotte Corday mettent, pour ainsi dire, les points sur les i. Quelle froideur dans cette sc`ene! Qu'elle est peu naturelle! Qu'elle est longue! La pi`ece pouvait tr`es bien finir par la r'eponse de Danton `a Charlotte,questionn'e sur l'effet produit par la mort de Marat: «Vous avez pr'epar'e son apoth'eose!» Le spectateur aurait pu achever l'ironie, en pensant que, de l'autre c^ot'e, la fin tragique de Marat, `a son tour, avait 'elev'e le pi'edestal d'une autre divinit'e – Charlotte Corday, pauvre fille enthousiaste! Elle 'etait atteinte de cette fi`evre g'en'erale, qui embrasait `a cette 'epoque ardente le sang de tous les hommes, le sang de Marat comme le sien. Elle s'est d'evou'ee au crime comme Karl Sand, sans avoir pour excuse dixneuf ans et une ob'eissance aveugle. On en a fait un «ange de l'assassinat», lorsqu'elle n''etait qu'une sombre fanatique. Sa haine contre Marat est une monomanie. Pourquoi veut-elle le tuer, lui et non Robespierre, qui 'etait plus dangereux pour ses amis, les girondins. Une monomanie ne peut int'eresser que sous le point de vue pathologique.
Le peu d'int'er^et v'eritable qui s'attachait `a la personne de Charlotte Corday a beaucoup influ'e sur la pi`ece. Un assassin peut tr`es bien ^etre le h'eros d'une trag'edie, mais pour cela il faut qu'il ait 'et'e encore quelque autre chose. L'existence de Charlotte Corday n'a 'et'e int'eressante qu'un seul instant: c'est celui o`u elle a plong'e le fer dans la poitrine d'un homme qu'elle connaissait `a peine. – Et encore un autre, lorsque sa jeune t^ete tomba sous la h^ache.
L'auteur a cr'e'e une Charlotte, une Charlotte qui parle beaucoup et comme un livre. On ne commence `a s'int'eresser `a elle que lorsqu'elle entre dans la chambre de Marat; et pourtant on frissonne `a la pens'ee que l`a, derri`ere ce rideau, se commet un crime.
Il y avait m^eme quelque chose de p'enible dans ces bouquets qui sont tomb'es aux pieds de M-lle Judith au moment o`u elle sortait couverte de sang. M-lle Judith a certainement m'erit'e ces bouquets. Dieu nous garde de penser crue ce n'est pas `a l'artiste, mais `a l'acte m^eme que s'adressaient ces marques de sympathie, mais elles auraient 'et'e certainement mieux plac'ees au dernier acte.
Nous r'eservons tous les d'etails pour un second article. En parlant de la pi`ece de M. Ponsard, nous ferons conna^itre `a nos lecteurs une trag'edie pleine de grandes beaut'es qui a paru il y a cinq ou six ans en Allemagne, intitul'ee Dantons Tod et compl`etement inconnue en France. L'auteur, jeune po`ete, Buckner, est mort quelques mois apr`es avoir 'ecrit ce po`eme.
Le talent avec lequel les artistes ont ressuscit'e les hommes qu'ils repr'esentaient, ne laisse rien `a d'esirer. Geoffroy a 'et'e terrible de v'erit'e; il a 'et'e encore plus vrai si c'est possible que ses coll`egues qui repr'esentaient Danton et Robespierre avec une connaissance profonde de ces grandes figures de l'histoire.