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<Глава XXXVIII>*
Les montagnes et les montagnards – Wiatka et Monte-Rosa – 1849
(Fin du chapitre)
…Je quittai Paris avec empressement; j'avais besoin de d'etourner les yeux d'un spectacle qui me navrait le coeur – je cherchais un coin tranquille, je ne le trouvais pas `a Gen`eve. C''etait le m^eme milieu r'eduit `a de petites proportions. Rien de plus monotone et de plus lourd que les cercles politiques apr`es une d'efaite compl`ete – r'ecriminations st'eriles, stagnation obligatoire, immobilit'e par point d'honneur, attachement aux couleurs fan'ees, aux fautes manifestes par un sentiment de devoir et de pi'et'e. Un parti vaincu se tourne constamment vers le pass'e, n'avance qu'`a reculons, se fait monument, statue, comme la femme de Loth – moins le sel.
Je me sauvais quelquefois de cette atmosph`ere suffocante… dans les montagnes.
L`a, sous la ligne dure de la neige existe encore une race de paysans forte, presque sauvage… et cela `a quelques lieues d'une civilisation qui tombe des os, comme les chairs d'un poisson trop faisand'e. Il ne faut pas confondre avec ces paysans des montagnes, le paysan bourgeois des grands centres suisses, ces caravans'erails o`u une population avide et mesquine existe aux frais de la population ambulante des touristes qui s'accro^it tous les ans.
…Une fois j 'allai `a Zermatt. D'ej`a, `a St. Nicolas, nous sort^imes de la civilisation. Un vieux cur'e, qui h'ebergeait chez lui des voyageurs, me demanda, c''etait au mois de septembre 1849, quelles 'etaient les nouvelles de la r'evolution `a Vienne et comment allait la guerre de Hongrie. C'est l`a que nous pr^imes des chevaux. Fatigu'es d'une ascension lente de quelques heures, nous entr^ames dans une petite auberge pour nous reposer et donner un peu de repos aux chevaux. La paysanne, femme d'une quarantaine d'ann'ees, maigre, osseuse, mais haute de taille et bien conserv'ee, nous apporta tout ce qu'elle avait dans la maison. Ce n''etait pas beaucoup. Du pain dur comme une pierre – le pain n'est pas facile `a avoir sur ces hauteurs,on l'apporte des vall'ees une fois par semaine l''et'e, et deux ou trois fois par mois le reste de l'ann'ee; – du mouton s'ech'e et fum'e, du li`evre sec, une omelette, du fromage et une bouteille de kirsch. Les deux guides mang`erent et burent avec nous. Je demandai en partant combien il fallait payer. Apr`es avoir longuement pes'e et calcul'e, elle nous dit que, comptant tout, le restant du kirsch que nous voulions prendre avec nous y compris, elle pouvait bien demander cinq francs. Etonn'e du bon march'e, je lui dis: «Comment, les guides compris?» La bonne femme ne me comprenant pas ajouta: «Si cela vous para^it trop, donnez quatre francs et demi, cela sera suffisant…»
…En 1835, je traversais par la poste les for^ets du gouvernement de Perm, accompagn'e d'un gendarme et allant en exil. A un relais je priai une jeune paysanne, assise devant sa maison, de me donner du kwass `a boire. – «Il est trop aigre chez nous, mais je t'apporterai de la bi`ere, il nous en reste de la f^ete». Sur cela elle m'apporta une assez grande cruche de terre remplie de cette bi`ere 'epaisse que les paysans fabriquent eux-m^emes sous le nom de braga. Moi et le gendarme nous b^umes presque tout le contenu. En rendant la cruche `a la paysanne, je lui glissai dans la main une pi`ece de quinze sous; elle me la rendit de suite en disant: «Non, non, nous ne vendons pas, ce n'est pas bien de pren dre de l'argent d'un voyageur, et encore bien moins d'un… qui…» Elle montra des yeux le gendarme. «Mais, ch`ere amie, lui dis-je, – cela ne nous va non plus de boire ta bi`ere sans la payer; prends donc la pi`ece pour acheter du pain d''epice aux enfants» – «Non, non, je ne prendrai rien, et n'aie pas de scrupules; si tu as trop d'argent, donne-le `a un mendiant ou mets un cierge au bon Dieu».
Sur toute la fronti`ere de la Sib'erie, de ce c^ot'e des monts oura-liens, les paysans ont coutume de mettre devant la fen^etre un morceau de pain avec du sel, quelquefois un petit pot de lait du kwass. C'est pour les malheureux. С est ainsi qu'ils appellent tous les condamn'es qui s''evadent de la Sib'erie et qui n'oseraient ni frapper `a la porte,ni passer le jour par un village. J'ai trouv'e quelque chose de pareil en Suisse. Sur les hauteurs, l`a o`u le granit perce d'ej`a comme le cr^ane d'enud'e d'un homme demi-chauve, et o`u un vent glacial souffle sur des plantes dess'ech'ees et presque mortes, j'ai trouv'e des cabanes de chasseurs quelquefois inhabit'ees, mais ayant la porte non cadenass'ee. En entrant, on trouvait du pain, du fromage. Le voyageur 'egar'e ou surpris par le mauvais temps y entre, reste pendant la bourrasque, mange et quelquefois laisse un gros sou sur l'assiette, plus souvent rien.
– Et on ne vole jamais? – dis-je `a mon guide.
– Non, Herr!
Ce ne sont pas des hommes encore!
Apr`es avoir quitt'e la vieille – qui avait conscience de prendre cinq francs pour la nourriture de quatre individus et de deux chevaux, y compris une bouteille enti`ere de kirsch – nous continu^ames notre route par une mont'ee plus rapide. Le chemin – mince incision dans le roc – n'avait parfois qu'un m`etre de largeur et serpentait sous des rochers suspendus sur nos t^etes, frisant la lisi`ere d'un pr'ecipice qui devenait de plus en plus profond. Tout en bas s''elancait, avec bruit et fureur, le Wesp, comprim'e dans un lit 'etroit; il se h^atait 'evidemment de sortir au large. Il y a trop du Salvator Rosa dans ces ascensions. Cela use les nerfs, les fatigue, les accable… Des heures et des heures passent, le spectacle est le m^eme… D'autres rochers froncent les sourcils et sont pr^ets `a vous pousser dans l'ab^ime; le Wesp mugit; tant^ot visible et couvert d''ecume blanche, tant^ot se perdant derri`ere des montagnes, des for^ets de sapin; les fers du cheval r'esonnent sur la pierre, les guides r'ep`etent les m^emes deux notes: «Oh – Eh! I–Ve!» Les contours s'effacent, une transpira' tion de brouillard se l`eve des ab^imes… Le Wesp mugit, les pas des chevaux r'esonnent. – «Oh – Eh! – I–Ve!» – Cela agace les nerfs, cela les irrite.
Zermatt est entour'e de montagnes, presque adoss'e au Mont-Rose; il faisait nuit derri`ere ce paravent colossal. – Lorsque nous entr^ames dans une petite auberge, la seule de l'endroit en 1849, nous y trouv^ames encore un voyageur – c''etait un g'eologue 'ecossais – et la ma^itresse de la maison. Nous 'etions autour d'une table en attendant le souper, lorsque le g'eologue nous dit: «Messieurs, c'est un bruit de sonnettes de chevaux ou de mulets!» – «Oui, oui, – dit la ma^itresse, en 'ecoutant attentivement. – Voil`a du fort! grimper cette montagne lorsqu'on ne voit pas sa propre main». Elle prit une lanterne et alla `a la rencontre; nous all^ames l'accompagner. – On entendait les sonnettes de plus en pins; quelque chose se d'etacha du fond noir, et une minute apr`es une Anglaise, raide, haute et en amazone, descendit tranquillement de cheval, comme si elle revenait `a la maison apr`es une promenade `a Hyde-Park; le second cavalier 'etait son fils, un garcon de treize `a quatorze ans. – La dame entra dans la chambre et demanda du th'e. Le g'eologue l'avait d'ej`a rencontr'ee et lui adressa la parole. Un quart d'heure apr`es, elle dit `a son fils d'aller demander aux guides combien de temps il leur fallait pour faire reposer et nourrir les chevaux.
– Comment! – dit l'Ecossais, – vous voulez partir par cette obscurit'e?
– Nous descendons, – dit-elle, – de l'autre c^ot'e, du c^ot'e italien du Monte-Rosa.
– Tant pis, vous avez une mauvaise descente. Restez ici jusqu'au matin.
– Je ne le puis, j'ai d'avance dispos'e du temps et on nous attend.
Deux heures apr`es, l'Anglaise se mit `a cheval, son fils monta gaiement le sien, et j'ouvris la fen^etre pour entendre le diminuendo des sonnettes qui s''eloignaient.