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Cependant, le colonel, ayant obtenu un calme relatif, regardait la personne qui venait de s’approcher de la barre des t'emoins et `a laquelle Juve, s’'ecartant un peu, par discr'etion et aussi sans doute par galanterie, avait laiss'e la premi`ere place, face au tribunal de justice militaire.
C’'etait une jeune femme 'el'egamment v^etue d’un grand manteau de fourrure noir. Un voile sombre dissimulait ses traits, toutefois la transparence de ce voile permettait d’apercevoir un visage d’une 'etrange p^aleur.
— C’est vous qui avez dit : « moi » ? interrogea le colonel.
— Oui, monsieur, en effet.
— Qui ^etes-vous, madame ?
— Je m’appelle Berthe, M lleBerthe, je suis plus connue sous le sobriquet de Bobinette !
En d'epit des menaces du pr'esident, les chuchotements recommenc`erent dans la salle.
Lorsqu’on fut remis de la premi`ere 'emotion occasionn'ee par l’intervention inattendue de Bobinette, le colonel l’interrogea :
— Que pr'etendez-vous faire, mademoiselle, et pourquoi vous ^etes-vous permis d’interrompre l’audience ?
— Vous avez demand'e, monsieur, qui d'ebrouillerait cette malheureuse affaire, et j’ai r'epondu : « moi ». Car je suis pr^ete `a tout vous dire. Cela, non seulement c’est un devoir que m’impose ma conscience, mais c’est le voeu le plus cher que je puisse formuler `a l’heure actuelle.
L’avis'e d'efenseur de Fandor, M eDurul-Berton, soupconnant les h'esitations des membres du Conseil intervint avec autorit'e :
— Monsieur le pr'esident, d'eclara-t-il en se levant, j’ai l’honneur de solliciter l’audition imm'ediate de ce t'emoin b'en'evole.
Et, pour rassurer le colonel, l’avocat ajoutait :
— C’est votre droit absolu, monsieur le pr'esident, vous pouvez ordonner cette audition en vertu de votre pouvoir discr'etionnaire…
— Et si je m’y oppose ? grogna de derri`ere son bureau le commandant Dumoulin, qui jetait un coup d’oeil hargneux au d'efenseur, son adversaire.
— Si vous vous y opposez, monsieur le commissaire du gouvernement, j’aurai l’honneur de d'eposer imm'ediatement sur le bureau du tribunal des conclusions tendant `a ce qu’il soit statu'e s'eance tenante sur le cas.
Le colonel, plein d’animation, discuta avec ses assesseurs. Ceux-ci tomb`erent d’accord pour ne pas susciter d’incidents de proc'edure. Le colonel approuva :
— Nous entendrons donc ce t'emoin.
Puis, s’adressant `a Bobinette :
— Vous avez la parole, mademoiselle ; mais, auparavant, jurez de dire la v'erit'e, toute la v'erit'e, rien que la v'erit'e. Levez la main droite, et dites : « Je le jure. »
— Je le jure.
Timide au d'ebut, troubl'ee par l’'emotion, mais peu `a peu s’enhardissant, haussant le ton de sa voix. M lleBerthe faisait `a l’auditoire, curieusement attentif, tout d’abord le r'ecit de son enfance.
Elle 'etait fille du peuple, mais bien 'elev'ee, honn^etement. Puis, peu `a peu, au fur et `a mesure qu’elle grandissait, les tentations de toutes sortes l’avaient arrach'ee du droit chemin. Intelligente et d'esireuse de s’instruire, Bobinette, qui avait recu une 'education soign'ee, sup'erieure `a celle de ses compagnes, avait fait de v'eritables 'etudes masculines, obtenu le dipl^ome de bacheli`ere et pris ses inscriptions d’'etudiante `a la Facult'e de m'edecine. Malheureusement, la promiscuit'e des h^opitaux, l’innombrable vari'et'e de gens que l’on y rencontre et aussi le besoin d’argent devaient d'etourner Bobinette des saines satisfactions du travail… Apr`es quelques ann'ees entrem^el'ees de s'erieuses 'etudes et d’`eres de paresse, elle devait renoncer `a obtenir le dipl^ome de docteur et se contenter de son m'etier d’infirmi`ere.
Par deux ou trois reprises, le colonel l’avait interrompue :
— Que nous importent ces d'etails, mademoiselle ? avait-il d'eclar'e. Ce que nous d'esirons conna^itre, c’est, non pas votre histoire, mais celle de l’existence du coupable.
— Vous voulez conna^itre l’existence du coupable ?… 'Ecoutez !
Et la jeune femme d`es lors poursuivait, racontant encore les 'etapes de sa vie mouvement'ee jusqu’au jour o`u le hasard l’avait mise en rapport avec le baron de Naarboveck. Les soins d'evou'es prodigu'es `a la jeune Wilhelmine lui avaient gagn'e la reconnaissance du riche diplomate et de sa fille, et elle 'etait entr'ee dans leur intimit'e.
— Ah ! maudit soit ce jour.
— Que voulez-vous dire ?
— Je veux dire, expliqua la jeune femme, que si le capitaine Brocq est mort assassin'e, c’est de ma faute ; je veux dire que si un document confidentiel a disparu de chez lui, c’est parce que je l’ai pris… j’'etais sa ma^itresse… je suis responsable de sa mort !
Un grand silence succ'edait `a cette d'eclaration sensationnelle.
Les juges, le commissaire du gouvernement, l’avocat de Fandor et Fandor lui-m^eme ne savaient que penser. L’auditoire 'etait haletant. Mais Bobinette poursuivait :