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6 – LE CAPORAL VINSON
Un genou appuy'e sur sa valise, J'er^ome Fandor, de toute la force de ses bras vigoureux, tirait sur les courroies qu’il ne parvenait pas `a boucler.
C’'etait le dimanche treize novembre, `a cinq heures du soir ; l’appartement du journaliste 'etait brillamment illumin'e : le gaz br^ulait dans toutes les pi`eces o`u r'egnait le plus grand d'esordre.
Fandor partait en vacances et pour ^etre s^ur de ne pas manquer son train, le jeune homme se disposait `a aller d^iner `a la gare de Lyon.
— Ouf ! s’'ecria-t-il lorsqu’il eut enfin r'eussi `a comprimer l’amoncellement de ses v^etements et `a fermer sa valise.
Fandor poussa un soupir de satisfaction. Cette fois il ne pouvait plus douter de son d'epart, la chose 'etait certaine. Fandor jetait un dernier coup d’oeil dans son logis lorsqu’il s’arr^eta net au milieu du couloir.
Le timbre de la sonnerie avait retenti. Quelqu’un sollicitait l’ouverture de la porte d’entr'ee.
— Ils ne vont pas me refaire le coup ? dit le jeune journaliste.
Et il ouvrit la porte de l’appartement. Sur le palier, un militaire.
— Monsieur Fandor ? demanda ce dernier d’une voix douce, un peu enrou'ee.
— C’est ici, c’est moi, que d'esirez-vous ?
Le militaire avanca un pas, puis, comme faisant un effort sur lui-m^eme, il articula p'eniblement :
— Voulez-vous me permettre d’entrer ? je serais d'esireux de vous dire quelque chose.
Fandor, silencieusement, invita d’un geste de la main l’importun `a p'en'etrer dans l’appartement.
C’'etait un tout jeune garcon qui portait l’uniforme de l’infanterie de ligne. Sur la manche de sa capote les galons de caporal.
Ses cheveux 'etaient bruns et ses yeux assez clairs contrastaient 'etrangement avec le reste de son visage aux tonalit'es fonc'ees. Une l'eg`ere moustache noire ombrait sa l`evre.
— `A qui ai-je l’honneur de parler ? demanda Fandor.
— Je suis le caporal Vinson. Je n’ai pas l’honneur d’^etre connu de vous, monsieur, mais moi je vous connais bien, par vos articles… Et j’ai bien besoin de vous parler…
— Encore un raseur, se dit Fandor, qui vient me demander une recommandation.
Le journaliste bouillait d’impatience `a l’id'ee qu’il perdait des minutes pr'ecieuses, et qu’il lui faudrait singuli`erement 'ecourter son d^iner s’il ne voulait pas manquer le rapide.
N'eanmoins, d'esireux d’^etre poli :
— Veuillez vous asseoir, monsieur, dit-il, je vous 'ecoute.
Le caporal Vinson parut tr`es 'emu.
— Ah ! monsieur, commenca-t-il, excusez-moi d’^etre venu vous d'eranger, mais je tenais `a vous dire… `a vous conna^itre… `a vous exprimer… combien j’appr'ecie votre talent, votre facon d’'ecrire… comme j’aime les id'ees que vous exprimez dans le journal !… Ainsi, votre dernier article, si juste, si… charitable…
— Vous ^etes bien aimable, monsieur, interrompit Fandor et je vous remercie ; mais si cela ne vous fait rien, nous pourrions prendre rendez-vous pour un autre jour car je suis tr`es press'e et…
— Ah, monsieur, ne me chassez pas ! Si je me tais aujourd’hui, je n’aurai plus le courage de parler… et pourtant il le faut…
— Eh bien, monsieur, causons.
— Monsieur Fandor… hurla alors Vinson, je suis un tra^itre !
Encore qu’il f^ut loin de s’attendre `a cette d'eclaration, aussi brutale que surprenante, Fandor ne broncha pas ; il avait l’habitude de ces cas bizarres o`u les coupables 'eprouvent le besoin de faire leur profession de foi devant des gens qu’ils n’ont jamais vus, alors qu’ils se garderaient rigoureusement de r'ev'eler quoi que ce soit `a des intimes.
Fandor se leva lentement de la chaise qu’il occupait, s’approcha du militaire, et lui mit cordialement les mains sur les 'epaules, l’obligea `a s’installer de nouveau dans le fauteuil dont il venait de sortir :
— Remettez-vous, monsieur, je vous en prie, dit-il.
Une r'eaction se produisait, de grosses larmes coulaient sur les joues h^al'ees du caporal, et Fandor le consid'era, ne sachant quelle consolation apporter.
— Oui monsieur, c’est `a cause d’une femme… et puis vous comprenez cela… vous qui 'ecrivez des articles o`u vous dites qu’il faut prendre en piti'e les malheureux comme moi… car on est malheureux lorsqu’une femme vous tient et qu’on manque d’argent… Et puis, avec ces gens-l`a… lorsqu’on est embarqu'e dans leurs affaires, on est foutu… il faut ob'eir… et toujours ils en demandent plus… Ah ! monsieur, quel 'epouvantable d'esastre que la mort du capitaine Brocq… voyez-vous, moi… si je suis devenu tra^itre… c’est de leur faute… Ah ! monsieur, vous ne savez pas ce que c’est que d’avoir pour ma^itresse une femme comme… celle que j’aime, une femme comme…
Fandor articula :
— Comme Bobi…
Mais il n’acheva pas. Vinson le regardait interloqu'e, ces premi`eres syllabes ne le frappaient point et il semblait fort surpris, `a la facon de quelqu’un qui les aurait entendues prononcer pour la premi`ere fois.
Fandor, pour dissimuler son embarras, se gratta la gorge, puis, tr`es vite reprit :
— Je vous demande pardon de vous avoir interrompu, vous disiez donc… une femme comme ?…
— Une femme comme Nichoune !… Nichoune !… ma ma^itresse !… ah ! monsieur, tout Ch^alons sait ce qu’elle vaut. On conna^it la m'echancet'e de cette rosse, et cependant… il n’y a pas un homme qui n’ait voulu…