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— Me confies-tu le tien ?
— Je vous le confierai dans trois minutes…
Juve, quelques minutes encore sembla r'efl'echir, puis enfin et la voix soudainement chang'ee, devenue grave, sifflante, il avoua :
— Tu es au courant de la mort subite du capitaine Brocq ?… Tu sais que j’ai d'ecouvert que c’est un assassinat ?… c’est cette affaire qui m’occupe…
En entendant nommer l’« affaire Brocq » Fandor n’avait pu se d'efendre d’un haut-le-corps :
— Vous vous occupez de Brocq, Juve… vous avez lu mes articles ?
— Oui, tr`es int'eressant…
— Ca manque de conclusion, Juve… mais enfin, je ne pouvais faire mieux jusqu’`a pr'esent, n’ayant aucune documentation pr'ecise… ^etes-vous arriv'e `a une certitude, vous ? Savez-vous qui a fait le coup ?
— Tu ne t’en doutes pas, Fandor ?
Le journaliste allait r'epondre, le policier ne lui en laissa pas le temps. Mais Juve devait ^etre en proie `a une grande 'emotion pour p^alir comme il p^alissait en se levant `a moiti'e de son si`ege pour se pencher vers Fandor, le mieux voir, les yeux dans les yeux.
— Que voulez-vous dire, Juve ?
— Ce que je veux dire, petit ? Sais-tu qui a tu'e le capitaine Brocq ?
— Non, qui ?…
— Fant^omas !
— Fant^omas ! vous accusez Fant^omas d’avoir tu'e le capitaine Brocq ?
Les deux hommes se regardaient maintenant, en silence.
En une seconde dans le flot de ses souvenirs, Fandor revoyait tout ce qu’il savait d’atrocit'es imputables `a Fant^omas. Il pensait revivre ces derni`eres ann'ees v'ecues dans une lutte quotidienne avec le myst'erieux criminel…
Fant^omas !
Mais Juve lui-m^eme ne lui avait-il pas dit qu’apr`es le drame de la rue Norvins, l’insaisissable bandit avait 'et'e contraint `a la fuite ? et voil`a qu’il l’accusait d’un nouveau m'efait…
Et Fandor songeait encore `a ses propres conclusions sur l’affaire Brocq. S’'etait-il donc tromp'e en croyant `a un drame de l’espionnage ? Crime ou assassinat politique ?
Fandor n’ignorait rien de ce qui concernait la facon myst'erieuse dont l’officier avait 'et'e frapp'e d’une balle au coeur, mais ce qu’il importait de savoir 'evidemment, c’'etait le pourquoi de cette balle, c’'etait l’identit'e du tireur qui, en pleine place publique avait os'e ajuster l’officier, l’avait tu'e au milieu de la foule ?
— Vous accusez Fant^omas ? Mordieu ! pourquoi ?
C’'etait au tour du policier de faire preuve du plus grand sang-froid. Comme si d’avoir prononc'e ce nom de « Fant^omas », comme si d’avoir confi'e son secret, ses craintes, il avait 'eprouv'e un soulagement `a son 'emotion, Juve se poss'edait parfaitement et d’une voix pos'ee, il expliqua `a Fandor les raisons qu’il avait de croire `a une intervention de l’extraordinaire bandit :
— Tu te rends compte, petit, faisait-il, des circonstances du drame ? Nous sommes en plein jour, sur l’une des promenades les plus fr'equent'ees de Paris, l’officier qui va tomber, mortellement atteint, passe dans un taxim`etre, se rendant probablement `a quelque rendez-vous dans l’un des restaurants du Bois. L’auto o`u il se trouve est entour'ee d’une foule de voitures, il est donc sous la surveillance et la protection, au moins implicite, d’un millier de passants et pourtant, sans m^eme qu’il ait eu le temps de deviner son agresseur, sans que personne ait pu voir celui-ci, il s’'ecroule, bless'e `a mort, tu'e, comme `a la guerre, d’un coup de feu, d’un coup de feu sp'ecial, myst'erieux, tir'e par une arme perfectionn'ee… Allons, Fandor, est-ce que cela n’est pas un crime digne de Fant^omas ?
Mais le journaliste n’'etait pas convaincu.
Il avait 'ecout'e avec une grande attention les paroles du policier, il se tut quelques minutes pour prendre le temps de les appr'ecier en secret, d’en peser la valeur, d’en 'etudier l’int'er^et…
— Juve, fit-il enfin, cet assassinat est, en effet, digne de Fant^omas, je le reconnais, mais cependant je ne crois pas que ce soit `a Fant^omas qu’il faille l’attribuer… Vous ^etes, cette fois, victime de votre marotte, vous allez trop loin, Juve… chaque fois que vous vous trouvez devant une affaire 'etrange ou compliqu'ee, vous y voyez du Fant^omas…
Fandor avait, lui aussi, parl'e d’un ton pos'e, net, pr'ecis. Il avait attaqu'e Juve avec un argument qui ne pouvait manquer d’impressionner le policier, car Juve savait qu’il devait se m'efier, en effet, lui-m^eme de sa perp'etuelle obsession de Fant^omas…
— Alors, si ce n’est pas Fant^omas, c’est qui ?
Fandor s’efforca d’^etre clair :
— Juve, dit-il, j’ai 'et'e charg'e par mon patron Dupont (de l’Aube), d’'etudier la disparition de ce malheureux capitaine Brocq… Elle fait, vous ne l’ignorez pas, un grand bruit dans le monde officiel. Au journal on tient `a ^etre bien renseign'e et cependant on ne veut pas risquer de dangereuses indiscr'etions… J’ai 'et'e pri'e de m’occuper personnellement de cette affaire, alors que je devais r'eguli`erement partir en cong'e hier soir. Eh bien ! Juve, j’ai commenc'e `a enqu^eter, j’ai cherch'e `a conna^itre l’exacte v'erit'e en ce qui concerne la vie et la mort de ce malheureux officier… j’ai visit'e certaines de ses relations, interview'e des gens qui l’ont connu, j’ai pu joindre cette Bobinette qui semble ^etre la derni`ere personne l’ayant approch'e peu avant son assassinat, et je suis arriv'e, moi aussi, `a une conclusion…
— Laquelle, Fandor ?
— Une conclusion, Juve, qui ne met aucunement en cause Fant^omas.
— Quelle conclusion, Fandor ?
— Juve, cet officier appartenait au Deuxi`eme Bureau de l’'Etat-Major…
— Oui, apr`es ?
— Juve, quand un officier du Deuxi`eme Bureau dispara^it dans des conditions aussi tragiques, savez-vous ce qu’il faut oser comprendre ?
— Non…
— Juve, je vous affirme que si le capitaine Brocq est mort, c’est qu’il y a un espion `a la solde d’une puissance 'etrang`ere qui, surveill'e, peut-^etre sur le point d’^etre arr^et'e, a voulu la mort de ce capitaine pour se sauver lui-m^eme…