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— S^urement, se disait la jeune fille, si je suis ici, je le dois `a des amis sinc`eres qui, pour des raisons que j’ignore, n’ont pas pu encore me r'ev'eler le secret de leur attitude `a mon 'egard.
H'el`ene, avec une sage prudence, s’abstenait du moindre commentaire, m^eme de la plus petite question. Elle avait pour son service particulier une petite Basque `a l’air d'ecid'e et fin qui, connaissance faite, n’aurait pas mieux demand'e que de lier conversation avec son 'enigmatique patronne. `A deux ou trois reprises la curieuse cam'eriste s’'etait efforc'ee de faire parler H'el`ene, mais celle-ci se renfermait dans le mutisme le plus absolu et ne r'epondait que par monosyllabes.
Celle-ci voyant qu’on ne voulait rien lui dire, avait 'et'e assez fine pour ne pas insister et hormis les paroles indispensables concernant son service, H'el`ene n’'echangeait pas avec la domestique plus de dix mots par jour. Par le fen^etre de l’Imp'erial H^otel, H'el`ene avait remarqu'e un mouvement inaccoutum'e, d'etermin'e dans le grand palace par l’arriv'ee d’une luxueuse troupe de gens tr`es bruns et tr`es distingu'es. Puis, le soir venu, la jeune fille n’avait plus pens'e `a ces nouveaux voyageurs et elle s’'etait plong'ee dans la lecture d’un roman qui semblait vivement l’int'eresser. Elle exp'edia en h^ate un frugal repas, renvoya la domestique qui s’offrait `a la d'eshabiller, assurant qu’elle n’avait besoin de personne et qu’elle ne se coucherait pas de si t^ot ce soir-l`a. La petite Basque, suivant son habitude, n’avait pas insist'e. Elle s’'etait mise `a ricaner en faisant une physionomie si dr^ole, si bizarre, qu’H'el`ene qui cependant ne pr^etait gu`ere attention `a cette servante, n’avait pu s’emp^echer de remarquer son attitude :
— Qu’a-t-elle donc aujourd’hui ? pensa-t-elle.
Et la jeune fille faillit interroger la domestique, mais elle y renonca.
H'el`ene 'etait donc rest'ee seule et, s’'etendant voluptueusement sur une confortable berg`ere, avait repris sa lecture.
Mais soudain la jeune fille bondit hors de son si`ege. Par une porte dissimul'ee dans la moulure de la cloison et qui jusqu’alors n’avait jamais 'et'e ouverte, quelqu’un venait de s’introduire qui souriait b'eatement en regardant la jeune fille. C’'etait un homme tout jeune, de vingt-cinq `a trente ans au plus, v^etu `a la derni`ere mode et avec une extr^eme recherche, brun, le visage 'energique, la moustache conqu'erante, le menton bleu. L’inconnu cependant s’approchait avec une aisance parfaite.
— Madame, dit-il.
— Monsieur…
L’Espagnol, enfin, s’enhardit :
— Je vous suis reconnaissant, Madame, fit-il, bien reconnaissant d’avoir accept'e de venir, d’avoir risqu'e tant de choses et d’avoir si longtemps attendu que nous puissions nous rencontrer. Je m’excuse vivement de n’^etre pas arriv'e depuis deux jours, comme je le d'esirais, mais des affaires de la plus haute importance m’ont retenu `a Madrid, aupr`es de qui vous savez.
— Veuillez continuer, je vous prie.
— Je ne vous ai vue qu’une fois mais, `a dater de ce jour, mon coeur a 'et'e conquis. Il m’a suffi de vous rencontrer, de vous apercevoir, ce fameux soir o`u vous vous promeniez sur la grand-route, tout pr`es du ch^ateau de Garros pour m’'eprendre de vous. Ah, que vous ^etes belle, Madame. Dix fois, cent fois plus que je ne l’avais cru. Je m’attendais, ce soir, `a trouver ici une jolie femme, c’est une beaut'e divine qui se r'ev`ele.
— Ah c`a, Monsieur, mais que pr'etendez-vous faire ? que voulez-vous de moi ?
— Ce que je veux faire de vous, mon coeur est tout pr^et `a vous le dire et ce que j’attends de votre d'elicieuse personne, oh, c’est facile `a comprendre et je crois d’ailleurs que vous l’avez d'ej`a compris, puisque vous avez 'et'e assez bonne, assez charmante, assez exquise, assez d'elicieuse, pour consentir `a ce rendez-vous que je souhaitais si ardemment, pour bien vouloir vous laisser enlever.
H'el`ene, d’un geste brusque, interrompit son interlocuteur :
— Pardon, je ne sais pas ce que vous voulez dire, jamais je n’ai consenti `a rien et si je suis ici c’est bien contre mon gr'e.
— Je sais, je sais, fit l’Espagnol, mes amis m’ont mis au courant de la spirituelle com'edie que vous 'etiez convenue de jouer. Oh, je vous avoue que j’ai trouv'e la chose d'elicieuse, exquise. Il n’y a d'ecid'ement que les Francaises pour avoir tant d’esprit.
— Monsieur, r'ep'eta encore H'el`ene, je vous supplie de vous expliquer, je ne comprends rien `a vos sous-entendus. Soyez plus clair, plus cat'egorique.
— H'elas, comment voulez-vous que s’exprime un pauvre 'etranger qui ne poss`ede point `a fond les finesses de votre gracieuse langue francaise ? J’ai peur d’^etre ridicule et de perdre `a vos yeux le petit prestige que j’esp`ere avoir acquis par le seul fait que je vous aime.
— Je vous en prie. Monsieur, insista la jeune fille, cessons cette plaisanterie, soyez net et franc. Dites-moi, voici pr`es de quatre jours que je vis seule, prisonni`ere dans cette maison, apr`es avoir 'et'e victime d’un enl`evement odieux. Si vous en ^etes l’auteur, dites-le, je saurai ce qui me reste `a faire.
— Mais calmez-vous, Madame, s’'ecria-t-il, nous sommes seuls ici, tous les deux, absolument seuls, il est inutile de jouer cette com'edie de l’indignation, personne ne peut nous entendre. Votre excellent mari est loin de se douter…