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— Si, monsieur, poursuivit le journaliste, j’ai remarqu'e que les arbres de la clairi`ere o`u s’est produit le drame portent en certains points de leur 'ecorce des 'eraflures. Ces 'eraflures, s’'el`event au-dessus du sol `a une hauteur de un m`etre cinquante environ.
— Et qu’en concluez-vous ?
— Primo que ces 'eraflures proviennent des plombs de la cartouche avec laquelle on a tir'e sur Chamb'erieux. Comme il est d’usage lorsqu’on tire un coup de fusil d’'epauler son arme, j’en conclus, vu la hauteur des 'ecorchures, que la personne qui a tir'e n’est pas d’une taille tr`es 'elev'ee.
— Avez-vous remarqu'e quelque chose d’autre ?
— Ma foi non.
— Dans ce cas, poursuivit le faux juge d’instruction, permettez-moi de vous interroger ?
— `A votre aise, dit le journaliste.
— Monsieur Fandor, demanda Fant^omas, avez-vous remarqu'e la nature du sol, dans la clairi`ere ? Est-ce un sol tr`es mou ? tr`es dur ?
— C’est un sol plut^ot dur.
— Je prends note. Permettez-moi encore cette question : en ce qui concerne les empreintes des chaussures de femme, avez-vous remarqu'e si elles 'etaient superficielles ou nettement accus'ees sur le sol ?
— Elles 'etaient tr`es apparentes, monsieur le juge, bien enfonc'ees dans la terre.
— C’est aussi mon avis.
— Mais, monsieur, vous avez remarqu'e ces traces hier soir, puisque vous paraissez si bien les conna^itre ?
— Je les ai remarqu'ees hier soir en effet.
— Alors, sourit Fandor, n’avez-vous pas conclu `a la pr'esence d’une femme sur le lieu du crime ?
— Si. J’ai 'et'e du m^eme avis que vous, mais je ne le suis plus.
— Est-il permis de vous demander pourquoi ?
— Certainement, monsieur Fandor, nous causons officieusement, sans parti pris, et avec le seul d'esir de faire la lumi`ere. Je vais vous dire ce que je pense : il n’y a pas eu de femme hier, sur le lieu du crime.
— Ah bah.
— Pour cette bonne raison que les empreintes laiss'ees par les chaussures f'eminines sont beaucoup trop enfonc'ees, beaucoup trop pr'ecises. L’auteur du crime est donc un homme. Un homme qui a eu la pr'esence d’esprit de fixer sous ses propres chaussures ou sous ses pieds nus, peu importe, des bottines appartenant `a M lle Chonchon. Celle-ci les a-t-elles pr^et'ees ? On a d^u les lui d'erober. Dans ce cas, elle se trouverait parfaitement innocent'ee.
— Et mon mari, monsieur ? interrompit la marquise de Tergall, qu’allez-vous en faire ? ne le croyez-vous pas, lui aussi innocent ?
Fant^omas se tourna vers la marquise. Il lui sourit en inclinant la t^ete :
— Je crois, madame, fit-il, qu’il a de bien grandes chances d’^etre remis en libert'e avant la fin de la matin'ee. Et voici pourquoi :
Fant^omas, d'esormais, s’adressait `a Fandor :
— J’ai pris note, monsieur, d'eclara-t-il, de votre int'eressante d'ecouverte sur les 'ecorces des arbres. Il m’appara^it certain aussi, comme `a vous, que le coup de feu a 'et'e tir'e par une personne de petite taille. Or, le marquis de Tergall est un homme grand, tr`es grand m^eme. Ce n’est donc pas lui qui a tir'e et j’estime que, vu ses ant'ec'edents, son honorabilit'e parfaite, je ne ferai pas preuve d’indulgence exag'er'ee en le mettant en libert'e, ce que je vais faire incessamment. Pour nous r'esumer, monsieur Fandor, puisque vous voulez bien me pr^eter votre pr'ecieux appui dans cette myst'erieuse affaire, je vous propose la conclusion suivante : l’assassin de Chamb'erieux, vu la subtilit'e et l’adresse qu’il a d'eploy'ees, est un professionnel du crime, et ce professionnel du crime est, en outre, un homme de petite taille. Il nous resterait avec ces deux 'el'ements, `a nommer l’assassin, pouvez-vous le faire, monsieur Fandor ?
— Non, reconnut le journaliste, pas pour le moment, du moins, mais je vous admire, monsieur le juge d’instruction, je trouve que vous ^etes diablement fort.
Fant^omas, tr`es ma^itre de lui, tendit la main `a Fandor :
— Serrez-la, monsieur, fit-il.
Et, J'er^ome Fandor pressa dans les siens, les doigts de celui qu’il prenait pour un magistrat.
19 – JUVE, BAGNARD
— Vous avez une permission de M. le bourgmestre ? Vraiment c’est 'etonnant. Voil`a qui est curieux. En tout cas vous me ferez grand plaisir en me la montrant. Depuis que je suis directeur de la maison d’arr^et de Louvain je n’ai jamais entendu dire que quelqu’un du dehors, f^ut-ce le bourgmestre, le ministre de la Justice ou Sa Majest'e elle-m^eme, puisse donner `a un tiers venant de l’ext'erieur la permission de visiter un prisonnier.
Le personnage qui prononcait ces mots paraissait s^ur de son fait.
C’'etait un homme jeune, distingu'e, `a l’aspect froid et correct qui adressait ces mots `a J'er^ome Fandor assis en face de lui dans un 'el'egant cabinet de travail meubl'e avec go^ut, voire m^eme avec recherche et qui aurait paru le boudoir coquet d’une jolie femme ou le cabinet de travail d’un po`ete, n’eussent 'et'e les fen^etres grillag'ees et les murs sinistres que l’on apercevait par celles-ci.
Fandor 'etait g^en'e de ce d'ebut. Non sans peine il avait r'eussi `a s’introduire dans la prison de Louvain et `a se faire admettre aupr`es du directeur. `A la v'erit'e il poss'edait une lettre de recommandation pour ce personnage et cette lettre lui avait 'et'e donn'ee deux mois auparavant ; il l’avait obtenue alors qu’il 'etait en France par l’interm'ediaire d’un ami habitant Bruxelles et qui lui avait 'ecrit en lui faisant parvenir ce document :
Mon cher monsieur Fandor, le directeur du bagne de Louvain, M. Van den Goossen est un brave homme, simple et cordial, mais tr`es timor'e et la recommandation sign'ee du procureur que je vous joins sera insuffisante si vous n’arriviez aupr`es du directeur avec beaucoup d’aplomb et si, jouant sur les mots et le sens de la lettre, vous ne commencez pas par lui affirmer avec la plus parfaite audace que cette lettre de recommandation constitue une v'eritable autorisation de vous laisser communiquer m^eme par-dessus la t^ete du directeur. M. Van den Goossen sera surpris, mais convaincu sans doute et vous r'eussirez.