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N’avait-il pas entendu, quelques minutes avant, une voix qui disait :
— Si ce tonneau roulait, il tomberait dans le trou ?
Cela ne signifiait-il rien ? n’y avait-il rien `a tirer de cette seule indication qu’il poss'edait relativement `a sa situation ?
Fandor, apr`es deux secondes de r'eflexion, se tenait ce discours :
— Mon tonneau est 'evidemment `a c^ot'e d’un trou quelconque, je peux `a la rigueur, en m’agitant comme un forcen'e, le faire d'egringoler dans ce trou. Bon. Supposons que je le fasse, qu’arrivera-t-il ? De trois choses l’une : d’abord, si le trou est profond, j’ai grande chance de me briser le cr^ane, ensuite si le trou n’est pas trop profond, je peux esp'erer casser le tonneau sans trop me casser moi-m^eme et de cette facon m’'evader. Enfin, si le trou n’est pas profond du tout je n’obtiendrai aucun r'esultat, mais en tout cas je ne serai probablement pas plus en mauvaise posture que maintenant. Essayons. Il vaut encore mieux se briser le cr^ane que de p'erir lentement comme un rat mur'e dans un trou.
Il se recueillit un instant, une seconde. Il revit les visages de ceux qui lui 'etaient chers. Il songea `a H'el`ene qui certainement devait ^etre en s^uret'e, hors du couvent maudit. Il pensa `a Juve peut-^etre encore en vie, mais il se roidit vite contre son 'emotion, il se brusqua :
— Allons-y.
`A l’int'erieur de son tonneau, J'er^ome Fandor se livrait `a une fantastique manoeuvre. Comme un diable dans un b'enitier, comme une sauterelle enferm'ee par des enfants dans une bo^ite, le journaliste s’agita, se d'emena.
Il finit de la sorte par 'ebranler le tonneau, il se mit dans la posture avec laquelle il avait le plus de facilit'e pour se renverser. Il en profita et, `a un moment donn'e, alors qu’il ne s’y attendait plus, le tonneau bascula, roula quelques centim`etres sur le sol, puis J'er^ome Fandor le sentit crouler, c’'etait la chute.
La d'egringolade ne dura m^eme pas une seconde. Tr`es vite, il toucha le fond du trou o`u il venait de choir.
Et, J'er^ome Fandor qui s’'etait terriblement meurtri mais sans rien perdre de sa pr'esence d’esprit, fulmina :
— Cr'edibis`eque, pensait le journaliste, c’'etait bien la peine, tout `a l’heure, de parler d’un trou. Mon tonneau n’est nullement disloqu'e, je me suis `a peine fait mal. Parbleu, j’ai d^u choir d’un m`etre cinquante, de deux m`etres tout au plus.
O`u 'etait-il maintenant ? O`u sa prison avait-elle roul'e ? J'er^ome Fandor ne pouvait s’en faire aucune id'ee. L’ivresse, d’ailleurs, contre laquelle il avait lutt'e jusqu’alors, s’emparait de plus en plus de sa raison. Il comprenait qu’il 'etait perdu, qu’il n’avait aucune chance de se tirer d’affaire, que personne ne pouvait venir `a son secours. D`es lors, `a quoi bon servait de lutter encore ?
Et quelques minutes apr`es avoir eu le courage de risquer la chute du tonneau, J'er^ome Fandor se r'esignait compl`etement au tr'epas in'evitable. Il ferma les yeux. Il se laissa aller `a la somnolence qui le gagnait. D'ebine noire. Il murmura pour lui seul :
— Mon pauvre vieux Fandor, tu 'etais un bon camarade, tiens, voil`a mon dernier adieu, il est sinc`ere.
***
Tandis que Fandor se d'ebattait dans son tonneau que se passait-il dans le couvent de l’Assomption ?
Sous la conduite de la grosse vieille femme, ou plut^ot de l’agent de police qui se cachait 'evidemment sous ce d'eguisement, les sergents de ville, f'ebrilement, fouillaient le couvent.
Ils ne trouvaient personne. Bien entendu, ils 'etaient arriv'es trop tard. Mais ils d'ecouvraient en revanche le cadavre effroyablement mutil'e de la malheureuse Blanche Perrier. Et juste au moment o`u Fandor se disait `a lui-m^eme un dernier adieu, les agents emportaient sur une civi`ere improvis'ee faite de quelques planches, les restes de la malheureuse jeune femme.
En t^ete, pr'ecis'ement la grosse vieille femme. Elle guidait les porteurs, elle indiquait la marche `a suivre :
— Par ici, mes amis, nous allons imm'ediatement appeler un fiacre et faire transporter le corps au domicile de la d'efunte. Ah, attendez un instant que je vous ouvre la porte.
Sous la conduite de la grosse vieille femme en effet, le cort`ege venait d’arriver au rez-de-chauss'ee de l’immeuble, devant une porte qui donnait sur le jardin.
La grosse femme fit jouer des verrous compliqu'es, tourna une cl'e dans la serrure, voulant ouvrir une porte qui r'esistait.
— Tiens.
Naturellement, la grosse vieille femme s’acharna `a ouvrir le battant qui ne voulait pas tourner. Elle devait ^etre, cette extraordinaire personne, d’une force hercul'eenne, car, s’y arc-boutant, elle r'eussit `a repousser le battant. Il n’'etait pas ferm'e en effet, mais simplement maintenu, appuy'e par un gros tonneau qui avait roul'e tout contre.
— Au diable la barrique, pesta la grosse vieille femme qui, par le battant entreb^aill'e, apercevait ce qui lui faisait obstacle.
L’'etrange personne donnait un coup d’'epaule, le battant poussait le tonneau, qui roulait, la porte s’ouvrit, les agents pouvaient passer.
***
Dans son tonneau, J'er^ome Fandor, aux trois quarts ivre, venait de se souhaiter son dernier adieu, lorsqu’`a nouveau, une catastrophe se produisit, d’abord incompr'ehensible.
Depuis la chute, son tonneau n’'etait plus debout mais couch'e. Il avait eu la sensation qu’il avait rebondi plusieurs fois, roul'e, puis qu’il s’'etait cal'e contre quelque chose. J'er^ome Fandor ne bougeait plus, se tenait immobile, mais, soudain, le tonneau se mit `a marcher, roula sur quelques m`etres.