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Vers neuf heures, rasant les murs, marchant d’un pas press'e, un jeune homme, convenablement v^etu, mais qui avait relev'e le col de son pardessus et rabaiss'e son chapeau sur ses yeux, grimpa rapidement le petit escalier qui conduisait au premier 'etage du Drapeau et p'en'etra directement dans le cabinet 22. C’'etait le premier des clients qui avait retenu la pi`ece. Cinq minutes plus tard, un pas l'eger. Une jeune femme arrivait, le visage dissimul'e derri`ere une triple voilette. `A peine fut-elle en pr'esence du jeune homme qui l’attendait, que l’un et l’autre se rapproch`erent, s’'etreignirent les mains chaleureusement :
— H'el`ene.
— Fandor.
— Merci d’^etre venue, murmura le jeune homme.
— Que je suis heureuse de vous voir, expliquez-moi.
Fandor lui fit signe de se taire. La porte du cabinet s’'etait entreb^aill'ee et la t^ete hirsute de S'eraphin apparaissait :
Le domestique tenait `a la main un carton sur lequel figurait une liste copieuse de plats mirifiques. Voyant qu’on ne le renvoyait pas, il entra tout `a fait dans la pi`ece et cependant qu’H'el`ene, lui tournant le dos, se d'ebarrassait de son chapeau et de son voile, S'eraphin, s’efforcant d’affecter l’air d’un ma^itre d’h^otel bien styl'e, proposa `a Fandor un menu de sa composition.
S'eraphin pr'etendit avoir servi autrefois dans les restaurants 'el'egants et comme si la cuisine du p`ere Pioche avait dispos'e de tout ce qu’il 'emanerait, S'eraphin offrait :
— Un potage bisque pour commencer ? ensuite des 'ecrevisses ou du homard grill'e ? puis un petit perdreau, du foie gras avec de la salade ?
S'eraphin parlait au hasard et sans crainte, bien convaincu que le client n’accepterait pas. Mais Fandor qui n’'ecoutait pas, r'epondit machinalement `a toutes les propositions du garcon et celui-ci, d'epit'e lorsqu’il redescendit `a la cuisine, annonca au p`ere Pioche la commande qu’il avait recue ;
— Non, mais tu n’es pas fou, s’'ecria le gargotier, penses-tu que j’ai tous ces trucs-l`a et d’abord, je les aurais que je ne les donnerai pas, les clients du Drapeau lorsqu’ils demandent des choses semblables, c’est qu’ils ont bien l’intention de ne pas les payer. Tu vas leur coller du petit sal'e pour commencer, puis ils prendront le lapin saut'e qui est le plat du jour. Apporte-leur une bouteille de bouch'e `a trois francs. Colle-leur ca d’autorit'e. Tu peux ^etre tranquille. Ils ne rousp'eteront pas. Ce sont des amoureux. Ca se voit tout de suite et ils se fichent pas mal du menu.
Dix minutes apr`es, le p`ere Pioche et son garcon s’occupaient activement des clients qui avaient retenu le cabinet 41. L`a, il y avait deux hommes et une femme et lorsque cette femme 'etait arriv'ee, Pioche et S'eraphin s’'etaient regard'es, interdits, stup'efaits. Ils la connaissaient fort bien et c’est ce qui d'eterminait leur 'etonnement, car la cliente, ce soir-l`a, du 41, 'etait une habitu'ee du rez-de-chauss'ee.
— Dites donc, patron, d'eclarait S'eraphin, `a l’oreille de Pioche, je donnerais ma t^ete `a couper que la poule du 41 n’est autre que Fleur-de-Rogue, la pierreuse qui 'etait encore ici il y a trois jours en train de r^aler pour se faire offrir un verre par des types `a la coule du genre Bec-de-Gaz et d’OEil-de-Boeuf ?
— Parbleu, tu penses, je l’ai reconnue. Elle s’est fringu'ee de son mieux. M^eme qu’elle a coll'e des plumes neuves sur son chapeau. Mais elle a un blair qu’elle ne change pas quand elle veut. Elle aura beau essayer de changer sa tournure, on la reconna^itra `a tous les coups.
— Moi, fit S'eraphin, lorsqu’elle est arriv'ee, je n’ai pas eu l’air de savoir qui c’'etait.
— H'e, je pense bien, il ne manquerait plus que ca ! depuis quand qu’on ferait des indiscr'etions ici ? Penses-tu que si Fleur-de-Rogue a voulu monter comme ca en cabinet avec deux types c’est qu’elle a fait un bon chopin.
— D’autant qu’ils ont l’air d’^etre des gars costauds, quand ils marchent ca r'esonne, on voit que c’est des gens bien, et qu’ils ont des louis plein leurs poches.
— Faudra saler la note, disait-il, si ces gens-l`a peuvent raquer. Une fois n’est pas coutume et ca n’arrive pas tous les jours qu’on loue en m^eme temps les deux cabinets.
Fandor et H'el`ene s’arr^et`erent un instant et pr^et`erent l’oreille : on parlait dans la salle voisine et comme ils n’en 'etaient s'epar'es que par une mince cloison, ils entendaient tr`es nettement tout ce que l’on pouvait dire.
Or, il y avait l`a des voix dont les deux amoureux reconnaissaient le timbre, et qui, instinctivement, les faisait tressaillir. Brusquement H'el`ene se rapprocha de Fandor :
— Pourquoi m’avez-vous donn'e rendez-vous dans ce bouge o`u je me demande si nous sommes en s'ecurit'e ?
— Vous n’avez rien `a craindre avec moi. L’endroit est mis'erable. Mais vous n’ignorez pas comment nous vivons tous les deux. Il est de notre devoir d’^etre prudents, de ne risquer de nous faire conna^itre qu’`a bon escient et d’'eviter les endroits trop connus o`u on pourrait nous voir. Mais qu’avez-vous ?