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C’'etait une visite d’un genre sp'ecial, il est vrai, que celle que se proposait de rendre le journaliste au Bedeau.
Dans sa poche, J'er^ome Fandor, d’un mouvement involontaire, t^atait de temps `a autre la crosse de son fid`ele revolver. `A coup s^ur. Le Bedeau, s’il 'etait chez lui quand Fandor arriverait, serait peu flatt'e de l’apercevoir. Le mieux 'etait donc de pr'eparer, pour la discussion in'evitable qu’il pr'evoyait, d’excellents arguments, de convaincants discours et cela sous la forme de cartouches `a balles blind'ees.
Sans trop de peine J'er^ome Fandor s’orienta dans Grenelle et d'ecouvrit le passage des Millionnaires, ou plus exactement une sorte de ruelle infecte, inf^ame, s’ouvrant juste derri`ere le quartier de cavalerie Dupleix, et qui, ne portant pas de nom sur les registres officiels de la vicinalit'e parisienne, avait 'et'e ainsi nomm'ee par la malice des habitants de Grenelle.
Le passage des Millionnaires – puisqu’il s’appelait ainsi – est en r'ealit'e form'e par le groupement extraordinaire et pittoresque de deux maisons ouvri`eres, surpeupl'e d’escarpes et de trimardeurs momentan'ement `a l’arr^et. Les facades sont rapproch'ees au point que, d’une maison `a l’autre, par les fen^etres on peut se donner des poign'ees de main. Perp'etuellement, sur des cordes tendues, du linge s`eche, s’'egouttant sur la t^ete des passants. Enfin, dans le ruisseau, une marmaille pouilleuse, continuellement en train de se disputer, de se battre, joue sans souci des querelles qui 'eclatent `a tous moments d’'etage `a 'etage.
J'er^ome Fandor, d’un coup d’oeil, embrassa la disposition des lieux :
— Peste, fit-il, chacune de ces maisons-l`a doit bien contenir cent cinquante `a deux cents individus, o`u diable vais-je rep^echer mon Bedeau ?
Tranquillement cependant, avec une audace dont il n’ignorait pas le p'eril, Fandor entra dans cette nouvelle Cour des Miracles.
— Je vais toujours monter un 'etage, au hasard, se dit le journaliste.
Il tourna dans l’'etroit corridor de l’une des deux maisons. Les murs en 'etaient sales, recouverts d’inscriptions obsc`enes et l’humidit'e suintait en larges taches, des enfants jouaient `a la marelle ou se volaient des billes, J'er^ome Fandor n’y prit pas garde. Il passa.
Au bout du corridor, au fond de l’innommable boyau, il monta. Les marches 'etaient branlantes et d’autant moins rassurantes que les locataires, pour ne pas avoir la fatigue de descendre, vidaient depuis longtemps leurs bo^ites `a ordures `a m^eme la cage de l’escalier. Des pelures d’oranges, des 'epluchures de salades, de vieux chiffons souill'es sur lesquels des essaims de mouches tourbillonnaient, garnissaient les marches, c`a et l`a, m^el'es `a des 'eclats de verre, tessons de bouteilles, bo^ites de conserves, `a d’autres ordures encore.
— Charmant s'ejour, pensa Fandor.
Et il monta, bousculant une bande de marmots qui l’avaient envahi et se laissaient glisser le long de la rampe, au risque de se briser le cr^ane. J'er^ome Fandor, d’ailleurs, en passant, n’attirait l’attention de personne. Dans cette maison o`u il y avait bien, comme il l’avait devin'e, plus de deux cents chambres, il y avait chaque jour de nouveaux locataires, car, chaque jour, les huissiers venaient proc'eder `a des expulsions parfois tapageuses. Une figure nouvelle n’'etait donc point faite pour surprendre, d’autant qu’en ses v^etements de pauvre h`ere, J'er^ome Fandor pouvait fort bien passer pour un indig`ene.
Parvenu au troisi`eme 'etage, – la maison en comportait sept, – J'er^ome Fandor, pourtant, commencait `a h'esiter sur la conduite `a tenir.
Le journaliste, heureusement, avait plusieurs fois d'ej`a visit'e de semblables demeures. Il connaissait `a peu pr`es la facon dont les initi'es se conduisent en pareil lieu et il en profita pour agir comme eux.
J'er^ome Fandor monta encore un 'etage, sourit en entendant un refrain comique, lugubrement fredonn'e par un ivrogne accroupi au milieu d’un corridor et semblant convaincu qu’il 'etait dans sa chambre, car il commencait `a se d'eshabiller. `A haute voix, le journaliste cria, s adressant au chanteur :
— Le Bedeau, s’il vous pla^it ? c’est-y par l`a qu’est sa carr'ee ?
Il ne recut pas de r'eponse. J'er^ome Fandor renouvela sa question, puis se d'ecida :
— Ca ne doit pas ^etre son 'etage. Voyons plus haut.
Au cinqui`eme, dans un corridor qui, `a midi devait ^etre obscur et qui, en ce moment, o`u il 'etait neuf heures du soir, n’'etait 'eclair'e par aucune installation de gaz, J'er^ome Fandor appela encore :
— Le Bedeau, s’il vous pla^it, la compagnie ? c’est-y par l`a qu’il g^ite ?
`A la cantonade, de loin, une voix de femme s’informa :
— Qui c’est qu’on demande ? et pourquoi ?
— Le Bedeau. Je cherche apr`es mon poteau. C’est-y par ici ?
Sa voix devait ^etre rassurante, il devait avoir imit'e de facon satisfaisante le parler faubourien, car on lui cria `a travers une porte ferm'ee :
— Au-dessus, la porte du fond.
Cette fois, J'er^ome Fandor 'etait parfaitement document'e. En guise de remerciement il cria, lui aussi :
— Ca va, la bourgeoise, ca colle.