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— Faut croire, grommela Fleur-de-Rogue, qu’il y aura eu un malentendu, la vieille est peut-^etre absente.
Tr`es d'elib'er'ement et comme quelqu’un qui en a l’habitude, Fleur-de-Rogue fouilla dans son corsage et en retira un long trousseau de rossignols et des passe-partout.
— Que comptes-tu faire ? demanda H'el`ene.
— Parbleu, grommela la ma^itresse du Bedeau, je m’en vais ouvrir la lourde, pour que nous puissions entrer dans la t^ole. Penses-tu pas que nous allons plumer dehors, par le temps qu’il fait ? C’est qu’on g`ele dans ce patelin-l`a.
Et, de fait, la nuit menacait d’^etre froide, une sorte de brume 'epaisse s’abattait lentement sur la for^et environnante. Avec une remarquable dext'erit'e, Fleur-de-Rogue fit tourner le p^ene dans la serrure, poussa la porte, entra dans la maison. Une bouff'ee d’air ti`ede, une odeur de moisi saisirent `a la gorge les deux voyageuses.
— Nous avons l’air de cambrioleuses, dit H'el`ene.
Mais Fleur-de-Rogue haussa les 'epaules :
— Et puis, apr`es, qu’est-ce que cela peut fiche ? r'epliqua la ma^itresse du Bedeau.
La fille de Fant^omas r'eprima un sourire et n’insista plus. En effet, son objection 'etait d'eplac'ee, sa compagne en avait vu et fait bien d’autres. Fleur-de-Rogue, apr`es avoir rapidement inventori'e du regard la pi`ece dans laquelle elles se trouvaient fit craquer une allumette, donna de la lumi`ere. C’'etait une salle basse, pauvrement meubl'ee, d’un vrai mobilier de chaumi`ere, comportant : table en bois massif, quelques chaises de paille, lit compos'e d’une paillasse et d’un 'edredon, en face de la grande chemin'ee, o`u apr`es coup, on avait install'e un fourneau de cuisine. `A des ficelles tendues au mur pendaient des bottes d’oignons, des l'egumes secs, quelques tranches de lard.
En ouvrant un coffre plac'e non loin de l’^atre, Fleur-de-Rogue y d'ecouvrit un morceau de pain bis et quelques bouteilles de vin :
— Bonne affaire, s’'ecria-t-elle, on ne se couchera pas le ventre vide. Mets le couvert, H'el`ene, pendant que je m’en vais pr'eparer le rata avec ce qui se trouve ici. Dame. Bien s^ur, cela ne vaudra pas les gueuletons que l’on fait `a Pantruche lorsqu’on a du foin plein ses bottes.
H'el`ene ne se fit pas prier. Elle mit un couvert de fortune, r'ecoltant `a droite, `a gauche, des assiettes 'ebr'ech'ees, des couverts disparates. Les deux jeunes femmes, d’un commun accord, avaient fait d^iner d’abord le petit Jacques, puis, l’enfant, qui tombait de sommeil, avait 'et'e couch'e dans le lit au fond de la pi`ece, o`u il s’endormit aussit^ot.
H'el`ene et Fleur-de-Rogue, d^in`erent ensuite, silencieuses, fatigu'ees, se renfermant chacune en elle-m^eme et pensant `a leurs affaires. H'el`ene n’'etait pas autrement ravie de la tournure que prenait ce voyage. Elle se demandait s’il serait raisonnable de laisser le petit Jacques aux mains de cette tante rustaude et campagnarde que lui avait d'ecrite Fleur-de-Rogue comme 'etant une excellente femme sans doute, mais il 'etait tr`es d'elicat de se fier aux d'eclarations de Fleur-de-Rogue. En tout cas, la vieille tante ne semblait pas habiter souvent son domicile, et il apparaissait que, lorsqu’elle le quittait, elle le laissait, sinon dans le plus absolu d'enuement, du moins dans le plus parfait d'esordre. La r'ealit'e, en somme, 'etait loin du tableau bucolique et enchanteur qu’en avait fait Fleur-de-Rogue `a H'el`ene.
H'el`ene 'etait `a demi 'etendue dans un vieux fauteuil presque confortable et y somnolait doucement, lorsqu’elle fut arrach'ee en sursaut `a ses r^everies. Fleur-de-Rogue venait de l’interpeller d’une voix vibrante et toute chang'ee. Elle se tenait au-dessus d’H'el`ene, le bras lev'e, un couteau `a la main.
— Qu’est-ce qu’il y a ? s’'ecria la fille de Fant^omas, qui se mit hors de port'ee de l’arme qui la menacait.
— Tu m’'echappes, mais ca n’est pas pour longtemps, dit Fleur-de-Rogue.
— Ah, c`a, qu’est-ce qui te prend ? Es-tu folle ? Que veux-tu me faire ?
— Je veux te crever. Entends-tu bien ? Te crever, car tu n’as jamais m'erit'e autre chose.
H'el`ene demeurait interdite. Fleur-de-Rogue poursuivait :
— Imb'ecile, fit-elle, crois-tu donc que je suis venue jusqu’ici, que je t’ai amen'ee dans ce patelin perdu pour le seul plaisir de t’aider `a te d'ebarrasser d’un m^ome dont je me fiche ? Crois-tu donc que, depuis quarante-huit heures, je te fais bonne figure et je te passe de la pommade pour le simple plaisir de te voir me dire des gentillesses ? Non, non, La Gu^epe, tout cela n’existe pas. Voil`a plus de deux ans que j’ai mis dans ma t^ete que j’aurai ta peau et l’heure a sonn'e. Il y a une justice, sacr'e bon Dieu, et les vermines de ton esp`ece, c’est fait pour engraisser les cimeti`eres, pas pour emb^eter les vivants.
— Mais que me reproches-tu donc ? Que t’ai-je fait, Fleur-de-Rogue ?
— Ce que tu m’as fait ? Tu as besoin de le savoir. Souviens-toi simplement, la Gu^epe, que tu as bien mauvaise m'emoire, que tu as fait expr`es d’oublier.
— D’oublier ? r'ep'eta H'el`ene, de plus en plus interdite, je ne comprends pas.
— Oui, d’oublier que c’est toi qui as d'etourn'e de moi mon premier homme, Jean-Marie, et qui l’a fait tomber dans les pattes de ta canaille de p`ere, dont il n’est sorti qu’avec la t^ete s'epar'ee du corps. Tu oublies que c’est gr^ace `a toi et par ta faute que la Bande des T'en'ebreux a 'et'e poiss'ee par la police et que Ribonard, mon deuxi`eme homme, a 'et'e assassin'e par Fant^omas. Tu oublies, la Gu^epe, que le Bedeau, mon amant, malgr'e toi, malgr'e tout le monde, a failli claquer rapport `a ton amant Fandor et que, hier encore, Fandor a voulu l’assassiner. Tu t’imaginais comme ca, grande niaise, que j’allais te laisser faire toutes tes combines sans faire de rousp'etance et qu’`a tous tes sales coups, j’allais r'epondre : amen, comme toutes les mignardes qui vont `a l’'eglise 'ecouter les boniments du cur'e. Non, non, ca n’a rien `a faire. La Gu^epe, je t’ai attir'ee ici parce que je connaissais la t^ole, parce que j’en ai caus'e depuis longtemps avec le Bedeau, qui ne te porte pas dans son coeur, lui non plus. Il voulait venir te faire ton affaire. J’ai refus'e, je lui ai dit que ca me regardait, moi seule, et que moi seule je voulais avoir la joie de te d'etruire. Ah, malheureuse, tu as coup'e dans le pont. Tu as march'e dans l’histoire de la tante Gertrude et de sa ni`ece Catherine, j’en rigole maintenant. Penses-tu qu’elle existe la tante ? Non, la Gu^epe, elle n’existe pas plus que la ni`ece. D’abord, moi, je n’ai pas de famille, on m’a trouv'ee dans le ruisseau o`u je barbote depuis ma naissance et j’y barboterai toujours, je m’en vante, seulement, le ruisseau, c’est ton sang maintenant qui va le remplir.