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— Pardon, dit Robert Granjeard, mais nous n’avons jamais accus'e ce monsieur d’avoir tu'e notre fr`ere.
Avec une audace inou"ie, le faux Juve affirmait :
— La lettre existe. Au surplus, si elle n’existait pas, la situation serait la m^eme.
— Je ne comprends pas, je ne comprends pas, balbutia Mme Granjeard, qui, effondr'ee dans un fauteuil, se comprimait la t^ete dans les mains.
— C’est bien simple, pourtant, reprit Fant^omas, et je m’en vais pr'eciser pour vous, madame. Voil`a la situation. Une premi`ere fois, lorsque vous 'etiez sous les verrous, vous accusez la ma^itresse de votre fils d’avoir 'et'e l’instigatrice du crime. Pourquoi ? Parce que le testament de Didier fait de cette Blanche Perrier sa l'egataire universelle. L’argument est si probant, d’ailleurs, que le magistrat vous lib`ere imm'ediatement. Bien. Je continue. Vous avez peur que le magistrat ne s’apercoive que le testament que vous avez invoqu'e pour accuser Blanche Perrier est en r'ealit'e un testament faux, c’est ce qui arrive, mais vous avez pr'evu le cas. Et, d`es lors, vous venez dire : « Eu 'egard aux enqu^etes post'erieures qui ont 'et'e faites, aux suppl'ements d’information que nous avons recueillis, nous basant sur l’affaire du chariot, nous estimons que le coupable, l’auteur du meurtre de Didier, est un 'etrange mendiant, un simulateur d’infirmit'es, un homme suspect enfin, le journaliste J'er^ome Fandor ». Moi, Juve, j’interviens `a ce moment et je vous objecte que cette version a un inconv'enient, c’est que J'er^ome Fandor, qui habite `a c^ot'e de Blanche Perrier, trouvera aupr`es d’elle tous les alibis n'ecessaires, qu’il soit coupable ou innocent. Je continue. `A peine ai-je soulev'e devant vous ces hypoth`eses, `a peine vous ai-je fait toucher du doigt cette question d'elicate, que Blanche Perrier meurt assassin'ee. Qu’est-ce que je dois donc conclure en bonne logique ? c’est que, excusez-moi de ne pas vous m^acher les mots, pour compromettre plus s^urement Fandor et lui enlever le seul t'emoin qui l’innocente, vous avez fait assassiner Blanche Perrier.
Mme Granjeard, qui, `a grand peine, se condamnait au silence pendant que parlait le faux policier, ne put contenir plus longtemps son indignation :
— Mais, hurla-t-elle, c’est 'epouvantable ce que vous racontez-l`a. Ce que vous imaginez, car nous ne sommes pour rien dans ces affreuses combinaisons.
Elle s’arr^etait. Le faux Juve avait fait un signe de la main et d’un ton tr`es calme, il reprenait :
— Je ne veux pas me demander, Madame, si, dans la famille Granjeard, il est ou non quelqu’un de coupable, je vous signale simplement l’opinion qui se forme, qui se pr'ecise `a votre 'egard et je vous pr'eviens des risques que vous courez. Si les juges raisonnent comme je viens de le faire, vous aurez bien du mal, les uns et les autres, `a vous sortir d’affaire.
Ce n’'etait ni Mme Granjeard ni Paul Granjeard qui pouvaient protester.
La m`ere, en effet, 'etait sans cesse retenue, paralys'ee par cette pens'ee que c’'etait son fils, Paul, qui avait tu'e Didier et, d’autre part, Paul avait acquis, croyait-il du moins, la certitude absolue que le meurtrier de son fr`ere n’'etait autre que celle qui lui avait donn'e le jour.
La m`ere et le fils se tordaient les bras, absolument d'esesp'er'es, convaincus que, d’un instant `a l’autre, Juve allait leur annoncer qu’u 'etait venu les voir, officiellement, de la part de la justice, et qu’il allait `a nouveau proc'eder `a leur arrestation.
Robert Granjeard semblait, lui aussi, d'esol'e. Il 'etait plong'e dans les plus sombres r'eflexions, assis dans un angle de la pi`ece, le visage dissimul'e derri`ere ses mains.
Le faux Juve, estimant que ces gens 'etaient au paroxysme de l’'emotion, insinua alors :
— Il n’y aurait pour vous qu’un moyen de vous tirer d’affaire et ce moyen je vous l’apporte.
Les trois Granjeard, avec surprise et espoir, consid'eraient l’imposteur. Celui-ci poursuivit :
— Pour vous innocenter il faut un coupable. Or, ceux sur lesquels, jusqu’`a pr'esent, vous avez jet'e vos vues vous ont 'echapp'e d’une facon ou d’une autre. Il en reste un, c’est Fandor, et Fandor est dispos'e `a assumer, dans une certaine mesure, la lourde responsabilit'e dont il vous d'echargerait. Il veut bien dispara^itre. Il veut bien partir, sa fuite l’accusera. Y consentez-vous ?
Le policier ne pr'ecisait pas, n’achevait pas autrement sa phrase, mais elle avait n'eanmoins un sens tr`es net, les Granjeard ne s’y tromp`erent pas.
Paul et sa m`ere demand`erent ensemble, cat'egoriquement, en gens habitu'es `a traiter avec pr'ecision les affaires de toute nature :
— Combien ?
Sans h'esitation, Fant^omas r'epliqua :
— Cette fois, pas moins d’un million !
Il y eut un instant de silence. Mme Granjeard 'etait devenue toute p^ale, Paul Granjeard laissait 'echapper un profond soupir :
— 'Ecoutez, Monsieur…, commenca-t-il.
— Ne discutons pas, je vous en prie, fit-il, je me fais l`a, b'en'evolement, l’interm'ediaire d’une cause excessivement d'elicate `a plaider. J’agis dans votre int'er^et. Personnellement je n’en tire aucun avantage, je n’ai qu’une chose `a vous dire : c’est un million ou l’arrestation, un million tout de suite.
Mme Granjeard attira Juve `a part, elle s’approcha avec lui de la fen^etre :
— Monsieur, demanda-t-elle en 'etouffant le son de sa voix, sur tout ce que vous avez de plus sacr'e, jurez-moi que vous m’avez dit la v'erit'e lorsque vous avez accus'e mon fils Paul.
Imperturbable et cynique, Fant^omas r'epondit :
— Je vous le confirme, Madame, c’est votre fils Paul qui a tu'e Didier.
— C’est bien, monsieur, dit Mme Granjeard. Je veux que cette affaire-l`a s’arrange, qu’elle s’arrange `a tout prix, vous aurez cet argent, monsieur, je m’en occupe imm'ediatement.
Mme Granjeard fit signe `a son fils Robert, de quitter la pi`ece, Paul Granjeard restait en t^ete `a t^ete avec le faux policier :
— Que vous a dit ma m`ere ? interrogea Paul d’un ton plein d’anxi'et'e.
Fant^omas n’en n’'etait pas `a un mensonge pr`es :
— Mme Granjeard parle de se tuer, elle est affol'ee `a l’id'ee que, peut-^etre, on va s’apercevoir, d'ecouvrir que c’est elle qui, dans un moment de folie a frapp'e mortellement votre fr`ere Didier et elle veut que je paie ce qu’il faut pour acheter les silences, pour d'esorienter la Justice.
— Ah Monsieur, murmura Paul Granjeard, faites cela, je vous en conjure. Merci. Merci.
Paul Granjeard, `a son tour, s’'eclipsa, mais il revint au bout d’un instant, d’un geste suppliant, il s’adressa `a Juve :