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`A pr'esent c’'etait de vive voix que Francoise Lemercier expliquait, seule `a seul dans sa cabine avec Garrick, pourquoi elle se trouvait `a bord de ce paquebot, voguant vers l’Am'erique.
— Et c’est tout ?
— C’est tout…
L’homme myst'erieux de Putney tressaillit :
— C’est fou… c’est absolument fou, ma pauvre ch'erie…, partir sans autre indication, sans autres pr'esomptions…, mais tu n’as pas raisonn'e, Francoise…
Le fait m^eme de laisser ce journal en 'evidence, d’orienter ton esprit vers le Canada, ne peut que constituer un pi`ege, un pi`ege grossier, ridicule… dans lequel tu t’es laiss'ee prendre… songes-y donc un instant… bien au contraire, ton fils Daniel, loin d’avoir 'et'e emmen'e en Am'erique, a d^u, pour moi, ^etre cach'e en Angleterre, peut-^etre m^eme `a Londres… peut-^etre `a quelques m`etres de ta maison. On a voulu t’'eloigner et on a r'eussi… ah, par exemple…
Francoise Lemercier, au fur et `a mesure que parlait son amant, devenait livide, un tremblement nerveux agitait ses l`evres, gagnait tout son corps, il semblait `a la malheureuse femme qu’un voile se d'echirait devant ses yeux, la lumi`ere lui apparaissait…, la v'erit'e.
Francoise Lemercier se jeta au cou de son amant, elle le supplia :
— Oui, j’ai eu tort… je comprends maintenant, je me suis tromp'ee… Daniel, mon pauvre petit Daniel doit ^etre encore en Angleterre, alors que nous sommes sur cet affreux navire… et chaque instant qui s’'ecoule, sans doute, rendra plus vaines, plus difficiles, nos recherches… ne peut-on s’arr^eter… descendre ?…
Garrick, absorb'e, soucieux, se mordait la l`evre. Brusquement, il s’arracha `a l’'etreinte de sa ma^itresse, s’enfuit hors de la cabine. En deux bonds, le myst'erieux amant de la jolie Francaise arrivait `a la passerelle :
— Le bateau-pilote ?… avait-il demand'e `a l’un des marins…
Mais `a peine avait-il jet'e un coup d’oeil circulaire, sur les flots gris qui l’environnaient, que Garrick laissa 'echapper une impr'ecation :
— Trop tard.
`A l’horizon se profilant sur la c^ote, qui, d'ej`a lointaine s’estompait dans la brume, disparaissait la silhouette du remorqueur. Depuis un bon quart d’heure d'ej`a, il avait abandonn'e le steamer. Les machines du Victoriase mettaient en pleine action. La ville flottante avait le cap sur le sud-ouest, `a peine passerait-on en vue de la c^ote d’Irlande, puis, ce serait l’immensit'e de l’Oc'ean pendant une semaine, au bout de laquelle on aborderait au Nouveau Continent.
Il n’y avait rien `a faire, rien, absolument rien.
6 – AU FOND D’UN BOUGE
— Ralph, mon garcon, tu prendrais bien un verre de gin ?
— De whisky, Bob, si cela ne te fait rien ; mon estomac, fatigu'e par les privations, ne s’accommode plus des fadeurs… si tu paies, Bob, c’est du whisky.
— Ce sera donc du whisky, mon cher Ralph ; le tout est de d'ecouvrir une maison tranquille o`u le comptoir soit confortablement `a la hauteur de nos coudes, et les verres pas trop petits.
— Le d'etestable brouillard, en v'erit'e…
— Tu ne t’habitueras jamais `a Londres.
— Je ne le nie pas. Trop de fum'ee, trop de maisons noires, ici. Vrai Dieu, on vivait plus facilement et plus agr'eablement `a Madrid…
— Il fallait y rester, Ralph…
— Tout le monde n’'etait pas de cet avis.
— Tu t’entends mieux avec les policemen ?…
— Jusqu’ici.
Les promeneurs qui causaient ainsi suivaient les rues populeuses et sinueuses du sinistre quartier des Docks de Londres.
C’'etait autour d’eux la foule minable, mis'erable, en haillons. Un va-et-vient intense de pauvres gens marchant vite sous l’oeil froid et s'ev`ere des policemen, habiles `a rechercher les vagabonds, toujours pr^ets `a l’arrestation qui, dans ces rues mal fam'ees, ne soulevait aucune 'emotion.
— Et alors, on va…
— Je connais un 'etablissement pas trop mal.
— Avec deux portes ?
— Naturellement !
— Et c’est loin ?
— Pas trop, dans Bella Street…
— Connais pas.
— Tu ne connais rien, `a Londres.
— Au fait, c’est vrai.
Les deux promeneurs marchaient encore, puis, celui qui r'epondait au nom de Bob poussa son compagnon au tournant d’une rue encore plus 'etroite et plus noire que les rues avoisinantes.
— Par l`a, vieux garcon… tu vas voir si la maison est confortable… le whisky chaud qu’on y donne a emprisonn'e du soleil…
— Du soleil, ici ? impossible.
— Si, de temps en temps…
Les deux pauvres h`eres, car ni Ralph ni Bob ne semblaient des gens cossus, mais bien plut^ot de ces sans-travail qui pullulent `a Londres et vivent d’on ne sait quelles besognes d’occasion, voire de larcins furtifs, avanc`erent encore de quelques m`etres. Bob, du doigt, d'esigna une devanture, toute tendue de rideaux :
— Voil`a le comptoir, mon vieux Ralph…
— D'ecid'ement, nous entrons ?
— Nous entrons…
D'ej`a sur le seuil de la porte et pr^et `a p'en'etrer, Bob retenait son ami :