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— Au fait, Juve, vous ne serez pas de trop.
— Comment ca ?
— Il s’agit de ce pauvre Fandor.
— Quoi ?
— Je vous le disais bien, fit Fant^omas, d`es qu’il s’agit de Fandor vous dressez l’oreille. Juve, vous m’avez mal jug'e tout `a l’heure, vous m’avez accus'e d’avoir 'epargn'e Fandor parce que j’avais peur de m'econtenter ma fille. Certaines n'ecessit'es emp^echent de tenir compte de ces contingences. Fandor d’ici peu de temps ne sera plus de ce monde. J’imagine Juve, que vous ne me traiterez plus de poltron.
Comme un fou, Juve s’'etait pr'ecipit'e aupr`es de Fant^omas, il le secouait :
— Qu’avez-vous dit encore, mis'erable ? quel est ce mensonge ?
— Je dis la v'erit'e, Fandor va mourir. Je vois `a votre pendule qu’il est six heures moins le quart. Entre nous, elle doit retarder de dix minutes environ. Les dix minutes d’avance que vous m’avez reproch'ees tout `a l’heure. Eh bien, dans une heure trente-cinq exactement, le malheureux J'er^ome Fandor, votre ami, aura pass'e de vie `a tr'epas.
— Fandor, d'eclara-t-il, est entre les mains de la Justice francaise, qui n’a pas l’habitude d’assassiner ceux qu’on lui donne `a garder. Deux inspecteurs de la S^uret'e l’am`enent pr'ecis'ement aujourd’hui de Cherbourg `a Paris : Nalorgne et P'erouzin.
— Des hommes `a moi. J’ai eu la fantaisie de me les attacher voici d'ej`a quelques semaines, alors qu’ils 'etaient fortement compromis avec un escroc de m'ediocre envergure, un fabricant de fausses traites : l’ancien cocher Prosper. C’est moi qui leur ai sugg'er'e de faire les d'emarches n'ecessaires pour entrer dans la S^uret'e de Paris. Il est bon, n’est-ce pas, d’avoir plusieurs cordes `a son arc ? Vous avez pu vous en rendre compte, Juve, Nalorgne et P'erouzin ne sont pas tr`es intelligents, mais ils ont une habitude passive de l’ob'eissance et surtout, encore plus peur de moi que de M. Havard. Lorsque Fandor descendra du train, non pas `a la gare Montparnasse, car l’on craint des manifestations, mais `a la gare de Clamart o`u s’arr^etera exceptionnellement le rapide, les braves Nalorgne et P'erouzin l’entra^ineront dans un terrain vague et l’ex'ecuteront. D’ici l`a, Juve, il est vraisemblable que la communication t'el'ephonique sera r'etablie et que vous aurez pu pr'evenir votre domestique d’aller chercher les agents pour m’arr^eter.
Juve 'etait devenu p^ale. Il se pr'ecipita `a la fen^etre, esp'erant voir quelqu’un, pouvoir faire un signe, appeler. H'elas, il pleuvait `a torrents, la rue 'etait d'eserte. Soudain, de son quatri`eme 'etage, Juve apercut marchant `a pas compt'es le sergent de ville de garde, qui, m'elancoliquement rasait les murs des maisons d’en face, le capuchon rabattu sur le k'epi. Juve saisit sur sa table un encrier en verre et le lanca dans la rue, o`u il s’'ecrasa non loin du sergent de ville, qui relevait la t^ete. Juve alors, agitant ses bras, poussant des cris inarticul'es, fit des signaux d'esesp'er'es pour signifier `a l’agent de monter le plus vite possible. Mais il n’avait qu’un m'ediocre espoir dans cette tentative. Il connaissait l’apathie consciencieuse avec laquelle les gardiens de la paix font en g'en'eral, de long en large, leur tour de garde. Il savait combien ils redoutaient d'e s’introduire dans les appartements, mais il faut croire que le projectile, dont Juve s’'etait servi pour attirer l’attention de l’agent de police, avait courrouc'e celui-ci, car l’homme imm'ediatement traversait la rue, faisant signe `a Juve, qu’il allait monter. Le policier se retourna, Fant^omas gisait toujours sur le plancher. Tandis qu’il attendait l’agent, le policier ne demeura pas inactif, il prit une bo^ite pleine de pointes et un marteau.
— Vous voulez me crucifier ?
— Non. Mais pour ^etre plus s^ur que vous ne bougerez pas, je m’en vais vous clouer au plancher comme font les paysans des montagnes lorsqu’ils ont pris une b^ete malfaisante, la clouent contre la porte de la maison.
Et `a grands coups de marteau, qui r'esonnaient dans l’appartement, Juve enfoncait d’'enormes pointes dans les cordes qui maintenaient Fant^omas et immobilisaient de plus en plus ainsi le bandit contre le sol. Le sergent de ville, qui n’avait m^eme pas ^ot'e son capuchon, essouffl'e, car il avait gravi l’escalier quatre `a quatre, apparut sur le seuil de la porte :
— Que faites-vous ?
— Vous savez, je pense, chez qui vous ^etes ?
— Oui, fit le sergent de ville, en esquissant le salut militaire, je vous reconnais bien, monsieur l’inspecteur.
— Je suis Juve, 'ecoutez mes instructions, agent ?
Juve, se penchait, ramassa le revolver que Fant^omas avait laiss'e tomber par terre, il le donna au sergent de ville :
— Prenez cette arme, postez-vous en face de cet homme ligot'e sur le sol, et ne bougez plus jusqu’`a ce que je revienne, j’en ai pour une heure, pas plus. Vous avez tous pouvoirs pour agir. S’il fait un seul mouvement, s’il cherche `a se d'ebarrasser de ses liens, premi`ere sommation. `A la seconde, `a bout portant, vous lui cassez le bras gauche. Il faut viser l`a.
Et Juve touchait du doigt l’'epaule de Fant^omas qui ne tressaillit m^eme pas.
— S’il insiste encore, l’autre bras. Soyez 'energique, mais prudent. Il faut que je retrouve cet homme quand je reviendrai, et que je le retrouve vivant.
— Monsieur Juve, vous pouvez compter sur moi.
23 – LE R^OLE D’UN OIGNON
— Je n’ai jamais 'et'e fichu de faire correctement une addition, ca, c’est connu, c’est r'egl'e comme du papier `a musique, rond comme une pi`ece de cent sous, 'evident comme la b^etise des bourgeois, mais enfin, tout de m^eme, je sais compter jusqu’`a trois, or, j’ai 'et'e arr^et'e lundi, nous sommes aujourd’hui jeudi matin, donc voici le troisi`eme jour, largement compt'e que je g'emis dans cette ge^ole, et sans me livrer `a des calculs compliqu'es, je puis raisonnablement esp'erer l’arriv'ee de la lettre de cet excellent Fant^omas, de cette lettre que je lui ai dict'ee et qui va me permettre de me rendre chez Juve pour flanquer `a mon vieux tra^itre d’ami un de ces savons num'ero un dont j’ai gard'e le secret.
J'er^ome Fandor se promenait de long en large dans l’'etroite cellule qui lui avait 'et'e affect'ee `a la prison de Cherbourg. Il y avait en effet quatre jours, ou plus exactement, trois jours et une nuit, que Juve l’avait fait arr^eter, se disant que c’'etait le meilleur moyen d’emp^echer Fant^omas de retrouver ses documents.
Ces quatre jours de prison, J'er^ome Fandor les avait pass'es, dans ce qu’il appelait lui-m^eme, « une rogne 'epouvantable ». D’abord, il 'etait furieux contre Juve, il trouvait que le proc'ed'e du policier, pour subtil qu’il f^ut, 'etait empreint d’une abominable rosserie. De plus, il avait trembl'e en se voyant confi'e `a la garde de P'erouzin et de Nalorgne, que Fant^omas lui avait dit ^etre ses complices. Rassur'e contre l’hypoth`ese d’une agression possible alors qu’il avait 'et'e 'ecrou'e `a la prison de Cherbourg, Fandor avait employ'e le reste de son temps `a s’ennuyer, exactement, pensait-il, « comme s’ennuierait une baleine tomb'ee dans un aquarium de poissons rouges », mais plus au large toutefois. N’emp^eche, le journaliste avait besoin d’air et de mouvement. Dou'e d’un temp'erament 'eminemment actif, remuant par nature, par besoin, par amour de l’agitation, il s’accommodait infiniment mal de l’existence clo^itr'ee.