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C’'etait P'erouzin qui se d'ecidait `a r'epondre :
— C’est abominable, murmurait l’agent, c’est abominable de souffrir ce que nous souffrons. Monsieur Fandor, pour ma part, j’aimerais mieux encore ^etre en prison, au d'ep^ot, ^etre n’importe o`u, que de rester ici. Est-ce que M. Juve va revenir ?
Fandor ne r'epondait point `a l’agent, mais interrogeait son deuxi`eme prisonnier :
— Et vous, Nalorgne, est-ce que l’endroit vous pla^it ? vous trouvez-vous parfaitement bien ?
Nalorgne avait une r'eponse farouche ; pour une fois, le bonhomme perdait sa mine chafouine d’agent d’affaires v'ereux, il r'epondait presque avec une brutalit'e propre `a 'emouvoir tout autre que Fandor.
— Je ne sais pas ce que vous allez faire de nous, monsieur Fandor, mais je crois que, quand vous 'etiez notre prisonnier, P'erouzin et moi, nous n’avons jamais eu la l^achet'e de vous imposer une attente pareille. Si vous voulez nous tuer, tuez-nous tout de suite. Si vous voulez nous remettre aux mains de la justice, faites-le, mais, bon Dieu, par piti'e, ne restons pas plus longtemps ici.
— Ouais, grommela Fandor, qui, les deux mains dans ses poches, contemplait la pointe de ses souliers `a la facon d’un homme cherchant une inspiration, ouais, je vois, mes deux amis, que vous pensez exactement comme moi. Ca ferait plaisir d’aller prendre un peu l’air. Je ne dis pas que vous n’avez pas raison, seulement vous comprendrez que je ne me soucie point de vous donner la cl'e des champs. Et dame, comme j’imagine que vous n’allez pas m’accompagner de bonne gr^ace…
Nalorgne interrompait le journaliste :
— Vous plaisantez, demandait-il, voyons, monsieur Fandor, qu’avez-vous `a craindre ? Juve nous a mis les menottes, nous sommes li'es `a ne pouvoir faire le moindre geste. M. Juve est parti `a pied, certainement, car nous ne sommes pas 'eloign'es d’une gare. Donc, vous avez le taxi-auto `a votre disposition, eh bien…
Fandor, `a son tour, ne laissait pas `a son interlocuteur le temps d’achever :
— Ca n’est pas b^ete, ce que vous dites l`a, Nalorgne, remarquait le journaliste, et, ma foi, puisque Juve ne revient pas, nous allons aller au-devant de lui. Vous avez raison, vous ^etes solidement li'es, donc je n’ai rien `a craindre. Et en tous les cas je vous avertis que si vous bougez pieds ou pattes, j’ai six balles blind'ees dans mon revolver qui me suffiraient `a vous convaincre qu’il importe de rester tranquille. Ceci dit, 'ecoutez-moi : je m’en vais vous hisser l`a-haut, dans le terrain vague. Le taxi auto est rang'e sous le hangar abandonn'e pr`es de la champignonni`ere. Je vous ferai monter `a l’int'erieur. Pour moi, je me mettrai sur le si`ege. Et ma foi, je vous emm`enerai tout droit `a la Pr'efecture. Cela vous va-t-il ?
Acceptez-vous de vous pr^eter docilement `a ce plan d’op'eration ?
Que pouvaient r'epondre Nalorgne et P'erouzin ?
Il leur 'etait 'evidemment bien impossible de refuser quoi que ce f^ut `a ce que voulait leur demander Fandor, et puis ils 'etaient convaincus tous deux que mieux valait en finir tout de suite, et ils pr'ef'eraient l’un et l’autre ^etre rapidement livr'es `a la Pr'efecture plut^ot que de supporter plus longtemps l’angoisse de l’attente dans ces conditions.
— Faites de nous ce que vous voudrez, firent-ils, nous n’essayerons pas de fuir.
Fandor, de son c^ot'e, se frottait les mains :
— Ca va, alors. Nous allons nous tirer d’ici. Ah, mais, j’y songe, et Juve ? Si jamais il revenait, il pourrait s’inqui'eter de ne plus nous trouver.
Le journaliste tira son portefeuille, 'ecrivit en h^ate quelques mots destin'es `a renseigner Juve, si par hasard le policier survenait apr`es leur d'epart. Il attacha cette feuille de papier bien en vue sur l’un des barreaux de l’'echelle de la champignonni`ere.
Cela fait, Fandor, en moins de cinq minutes, hissa Nalorgne et P'erouzin au moyen de la benne jusque dans le champ d'esert. Il alla qu'erir le taxi-auto abandonn'e par Juve, y jeta les deux agents de police, mit le moteur en marche, sauta sur le si`ege.
Fandor, `a cet instant, 'etait joyeux, respirait `a pleins poumons.
— Bougre, se disait-il `a lui-m^eme, je n’aurais jamais cru qu’il f^ut si p'enible de passer une nuit et une journ'ee enferm'e dans une cave `a champignons. Ah, que c’est beau, la nature et les petits oiseaux.
Fandor devait 'evidemment faire appel `a sa puissante imagination pour s’extasier devant la nature, car le paysage qu’il avait devant les yeux ne pr^etait gu`ere au lyrisme. Il traversait en effet les quartiers 'epouvantables, mal fam'es et laids du Petit-Bic^etre, du Grand-Bic^etre, tous ces faubourgs qui entourent Paris d’une ceinture de mis`ere et de puanteur.
N’importe. Conduisant son auto avec une habilet'e qui t'emoignait de ses habitudes de sportsman, Fandor, en grande vitesse, virant sur deux roues et se faufilant `a travers les tramways, les tombereaux charg'es de sable, les voitures mara^ich`eres d'ebordantes de l'egumes, atteignit bient^ot la porte de Ch^atillon. Le jeune homme s’arr^eta `a quelque distance de l’octroi, passa la t^ete par la porti`ere, avertit encore, par prudence, Nalorgne et P'erouzin, toujours ligot'es :