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– Mais certainement. Je suis incapable de retrouver mon adresse.
On serra les mains des Forestier, et Duroy se trouva seul avec Mme de Marelle dans un fiacre qui roulait.
Il la sentait contre lui, si pres, enfermee avec lui dans cette boite noire, qu'eclairaient brusquement, pendant un instant, les becs de gaz des trottoirs. Il sentait, a travers sa manche, la chaleur de son epaule, et il ne trouvait rien a lui dire, absolument rien, ayant l'esprit paralyse par le desir imperieux de la saisir dans ses bras. «Si j'osais, que ferait-elle?» pensait-il. Et le souvenir de toutes les polissonneries chuchotees pendant le diner l'enhardissait, mais la peur du scandale le retenait en meme temps.
Elle ne disait rien non plus, immobile, enfoncee en son coin. Il eut pense qu'elle dormait s'il n'avait vu briller ses yeux chaque fois qu'un rayon de lumiere penetrait dans la voiture.
«Que pensait-elle?» Il sentait fort bien qu'il ne fallait point parler, qu'un mot, un seul mot, rompant le silence, emporterait ses chances; mais l'audace lui manquait, l'audace de l'action brusque et brutale.
Tout a coup il sentit remuer son pied. Elle avait fait un mouvement, un mouvement sec, nerveux, d'impatience ou d'appel peut-etre. Ce geste, presque insensible, lui fit courir, de la tete aux pieds, un grand frisson sur la peau, et se tournant vivement, il se jeta sur elle, cherchant la bouche avec ses levres et la chair nue avec ses mains.
Elle jeta un cri, un petit cri, voulut se dresser, se debattre, le repousser; puis elle ceda, comme si la force lui eut manque pour resister plus longtemps.
Mais la voiture s'etant arretee bientot devant la maison qu'elle habitait, Duroy, surpris, n'eut point a chercher des paroles passionnees pour la remercier, la benir et lui exprimer son amour reconnaissant. Cependant elle ne se levait pas, elle ne remuait point, etourdie par ce qui venait de se passer. Alors il craignit que le cocher n'eut des doutes, et il descendit le premier pour tendre la main a la jeune femme.
Elle sortit enfin du fiacre en trebuchant et sans prononcer une parole. Il sonna, et, comme la porte s'ouvrait, il demanda, en tremblant:
– Quand vous reverrai-je?
Elle murmura, si bas qu'il entendit a peine:
– Venez dejeuner avec moi demain.
Et elle disparut dans l'ombre du vestibule en repoussant le lourd battant, qui fit un bruit de coup de canon.
Il donna cent sous au cocher et se mit a marcher devant lui, d'un pas rapide et triomphant, le coeur debordant de joie.
Il en tenait une, enfin, une femme mariee! une femme du monde! du vrai monde! du monde parisien! Comme ca avait ete facile et inattendu!
Il s'etait imagine jusque-la que pour aborder et conquerir une de ces creatures tant desirees, il fallait des soins infinis, des attentes interminables, un siege habile fait de galanteries, de paroles d'amour, de soupirs et de cadeaux. Et voila que tout d'un coup, a la moindre attaque, la premiere qu'il rencontrait s'abandonnait a lui, si vite qu'il en demeurait stupefait.
«Elle etait grise, pensait-il; demain, ce sera une autre chanson. J'aurai les larmes.» Cette idee l'inquieta, puis il se dit: «Ma foi, tant pis. Maintenant que je la tiens, je saurai bien la garder.»
Et, dans le mirage confus ou s'egaraient ses esperances, esperances de grandeur, de succes, de renommee, de fortune et d'amour, il apercut tout a coup, pareilles a ces guirlandes de figurantes qui se deroulent dans le ciel des apotheoses, une procession de femmes elegantes, riches, puissantes, qui passaient en souriant pour disparaitre l'une apres l'autre au fond du nuage dore de ses reves.
Et son sommeil fut peuple de visions.
Il etait un peu emu, le lendemain, en montant l'escalier de Mme de Marelle. Comment allait-elle le recevoir? Et si elle ne le recevait pas? Si elle avait defendu l'entree de sa demeure? Si elle racontait…? Mais non, elle ne pouvait rien dire sans laisser deviner la verite tout entiere. Donc il etait maitre de la situation.
La petite bonne ouvrit la porte. Elle avait son visage ordinaire. Il se rassura, comme s'il se fut attendu a ce que la domestique lui montrat une figure bouleversee.
Il demanda:
– Madame va bien?
Elle repondit:
– Oui, monsieur, comme toujours.
Et elle le fit entrer dans le salon.
Il alla droit a la cheminee pour constater l'etat de ses cheveux et de sa toilette; et il rajustait sa cravate devant la glace, quand il apercut dedans la jeune femme qui le regardait, debout sur le seuil de la chambre.
Il fit semblant de ne l'avoir point vue, et ils se considererent quelques secondes, au fond du miroir, s'observant, s'epiant avant de se trouver face a face.