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Juve 'etait tr`es nerveux, et de tr`es m'echante humeur.
Sans qu’il p^ut pr'eciser au juste pourquoi, car, en apparence, l’arr^et de Vinson et du pr^etre `a Rouen n’'etait pas d’un int'er^et consid'erable, il s’inqui'etait de cette soudaine interruption de voyage…
— Pourquoi couchent-ils en route ? pensa-t-il, quelle peut-^etre au juste la raison qui leur a fait suspendre leur chemin ? Je ne comprends pas que le caporal Vinson, toujours porteur du d'ebouchoir, ait eu l’audace de stationner dans un h^otel… Il 'etait tard, eh, pardieu, cela ne les emp^echait pas de rouler !… Logiquement, ils auraient d^u poursuivre leur voyage jusqu’ici…
Sans qu’il formul^at pr'ecis'ement sa pens'ee, Juve craignait par-dessus tout que les deux espions qu’il guettait n’eussent appris la surveillance exerc'ee sur eux…
Et, tout en se promenant de long en large, tout en faisant les cent pas, r'eguli`erement, inlassablement, il ne pouvait s’emp^echer d’examiner la fine silhouette du yacht hollandais dont les m^ats, rappel'es en arri`ere, se balancaient lentement au gr'e des flots.
Juve v'erifiait l’heure `a sa montre…
— J’ai dit au commissariat de laisser un agent de garde toute la nuit et la poste a des instructions pour transmettre continuellement les d'ep^eches qui pourraient y ^etre adress'ees… voici qu’il est six heures, il ne serait peut-^etre pas mauvais que j’aille voir s’il n’y a rien de nouveau…
Juve, `a pas pr'ecipit'es, revint vers la gu'erite o`u Henri de Loubersac sommeillait toujours.
— Mon lieutenant ?… allons ! mon lieutenant ?…
Henri de Loubersac dormait si profond'ement que Juve fut oblig'e de lui poser la main sur l’'epaule pour le tirer de son somme :
— Mon lieutenant, disait-il, je m’excuse de vous r'eveiller, mais je voudrais vous passer la faction pendant quelques minutes… je cours jusqu’au commissariat voir s’il n’y a rien de nouveau…
L’officier s’empressait, naturellement, de faire le guet `a la place de Juve. Le policier partit aux nouvelles et arriva au poste en m^eme temps qu’un petit t'el'egraphiste porteur d’un pli `a son nom.
Juve, le fragile papier aux doigts et tandis qu’il rompait la bande, ne put s’emp^echer de fr'emir :
— Pourvu, pensait-il, que mes deux oiseaux n’aient pas trouv'e moyen de s’envoler…
La d'ep^eche tremblait aux mains de Juve, tandis qu’il lisait son texte, qui, tout d’abord, lui parut incompr'ehensible :
« Caporal Vinson, r'efugi'e `a Londres, a 'et'e reconnu et identifi'e par moi ce matin, `a quatre heures, au moment o`u il sortait de la gare de Victoria-Station. Je l’ai suivi, je sais o`u il est. Que faire ? J’attends vos avis. – L. »
Tout tourbillonnait devant Juve…
— Le caporal Vinson est `a Londres ! Il sortait ce matin de Victoria-Station !… Ah ca, qu’est-ce que ca veut dire ? Pourtant, cette d'ep^eche est bien pr'ecise, je ne peux pas douter de son contenu, non plus que de l’agent qui me l’envoie… un fin limier… pas d’erreur, pas d’h'esitation. Il est 'evident que Vinson a trouv'e, cette nuit, moyen de continuer sa route en trompant la vigilance des gardiens que j’avais mis `a ses trousses `a Rouen, il a d^u rallier la c^ote et un bateau inconnu, passer le d'etroit, cette nuit… Ah ! sapristi, de sapristi !…
Vingt fois de suite, Juve relut le t'el'egramme, pestant, jurant, bouleversant tout dans le poste de police sous l’oeil ahuri de l’agent de garde.
— Vous allez, faisait-il soudain `a celui-ci, ne pas bouger d’ici jusqu’`a l’arriv'ee de M. le commissaire. Vous lui donnerez ce t'el'egramme. Vous lui direz de conserver et d’ouvrir toutes les d'ep^eches qui pourraient encore arriver `a mon nom, je t'el'egraphierai dans la matin'ee des instructions pour qu’elles me soient r'eexp'edi'ees en Angleterre…
— En Angleterre ?
— Oui, je vais y passer imm'ediatement en profitant du bateau d’excursion de Cook, qui part, si je ne me trompe, dans une heure… c’est bien compris ?…
Juve revenait en h^ate retrouver le lieutenant Henri, qui de long en large continuait `a arpenter le quai, fumant cigare sur cigare pour. t^acher de retrouver son habituelle lucidit'e d’esprit, fort compromise par un sommeil invincible.
— Mon lieutenant, lisez ceci…
Et Juve tendit `a l’officier une feuille de papier sur laquelle il avait recopi'e le texte du t'el'egramme :
— Ces maudites gens, ajoutait-il, ont trouv'e moyen de nous br^uler la politesse…, mais j’ai plus d’un tour dans mon sac et l’aventure n’est pas termin'ee…
— Qu’allez-vous faire, Juve ?
— Gagner Londres, de toute urgence… venez-vous mon lieutenant ?
Henri de Loubersac r'efl'echissait :
— Non, d'eclarait-il enfin… d’abord je n’ai pas le droit de passer `a l’'etranger sans autorisation, je ne suis pas libre comme vous d’op'erer comme bon me semble… et puis j’ai id'ee qu’il doit y avoir `a faire `a Paris. Il est inadmissible qu’en surveillant Bobinette qui, d’apr`es ce que vous me disiez hier, est certainement m^el'ee de pr`es `a toutes ces intrigues, nous ne trouvions point des choses int'eressantes. Pendant que vous allez enqu^eter `a Londres, je vais donc de mon c^ot'e enqu^eter `a Paris… vous m’approuvez, Juve ?…