Шрифт:
Ils 'etaient, quelques secondes apr`es, tous deux accot'es contre une roulotte de boh'emiens, rang'ee sur le bas c^ot'e de la route.
— Ton futur domicile, dit Vagualame en montrant la voiture `a Bobinette, compl`etement ahurie. Mais ce n’est pas encore l’heure d’emm'enager, nous avons `a causer.
Le bandit 'etait enroul'e, des 'epaules aux pieds, dans une sorte de cape sombre qui emp^echait de rien distinguer de son habillement. Bobinette voyait tout juste sa silhouette. Il lui 'etait impossible d’apercevoir son visage, sans doute dissimul'e par le bord rabattu du feutre mou qu’elle apercevait, se d'etachant par instants `a la lueur des 'eclairs, sur le ciel. Pourtant elle frissonna, elle avait clairement compris qu’une menace 'etait contenue dans les derni`eres paroles de son ma^itre !
— Que voulez-vous dire ? que m’ordonnez-vous ?
Vagualame fit quelques pas en avant, puis, revenant en arri`ere, s’arr^eta droit devant la jeune femme, toujours appuy'ee `a la roulotte de boh'emiens :
— Bobinette, 'ecoute-moi ! 'ecoute-moi de toute ton ^ame ! car, par Dieu, voil`a les derni`eres paroles qu’il te sera jamais donn'e d’entendre !…
Et sans laisser le temps `a la jeune femme de l’interrompre :
— Dis-moi, que connais-tu de plus mis'erable, de plus bas, de plus m'eprisable, de plus honteux que la trahison, le pi`ege tendu ? que la sourici`ere combin'ee contre celui que n’a jamais 'et'e que votre ami, que votre d'efenseur ? Dis-moi, Bobinette, qu’y a-t-il de plus ha"issable que le Judas qui vous vend d’un baiser ? Dis-moi, Bobinette, qu’y a-t-il de moins digne de piti'e que la l^achet'e du criminel qui trahit son complice ? du bandit qui livre son chef, pour rien, pour de l’argent, peut-^etre, pour moins, par peur ! pour se sauver lui-m^eme ?… Allons ! r'eponds ! r'eponds, Bobinette ! je te l’ordonne !
— Je ne vous comprends pas !… j’ai peur !…
— Vraiment ! dit-il enfin, tu ne me comprends pas ? Tu as peur ?… Allons donc ! si tu as peur, c’est que tu me comprends !…
Dans un r^ale, Bobinette hurla :
— Mais vous ^etes fou ! Vagualame… que croyez-vous ? Piti'e !… piti'e !…
— Bobinette, tu te trompes 'etrangement !… Je ne suis pas de ceux `a qui l’on crie piti'e… Je ne connais point ce mot ! je n’ai point cette faiblesse ! je ne l’ai jamais eue ! je ne l’aurai jamais, pour personne !…
Il se tut une seconde, puis reprit, comme emport'e dans une subite col`ere :
— Et tu crois que je suis fou ? Ah c`a ! Bobinette, mais quelle femme es-tu donc pour essayer de me tromper ? Quelle est donc ta folie, `a toi, pour penser que tu vas me duper ? moi ?
— Vagualame, qui ^etes-vous ? dites-le-moi…
— Qui je suis ! pardieu !… tu le demandes ? tu veux le savoir ? Eh bien ! qu’il soit fait suivant ta volont'e !… C’est ta derni`ere volont'e !… Qui je suis ?… regarde !
Lentement, d’un mouvement digne et s^ur, Vagualame d'eroula la longue cape dans laquelle il 'etait envelopp'e.
Il arracha son chapeau qu’il jeta `a ses pieds et les bras crois'es, fixant Bobinette, il l’apostrophait :
— Ose dire mon nom, ose me nommer !…
Le mendiant de tout `a l’heure, sa cape enlev'ee, d'epouill'e de son chapeau, apparut soudain, non plus comme un vieillard au corps tass'e, mais comme un homme `a coup s^ur jeune, vigoureux, superbement muscl'e. Il 'etait v^etu, gant'e plut^ot, d’un maillot collant de laine noire qui, des pieds jusqu’au cou, le gainait 'etroitement…
Bobinette ne pouvait apercevoir son visage : celui-ci 'etait dissimul'e par une longue cagoule noire enveloppant enti`erement sa t^ete. Seuls les yeux d’o`u sortaient deux reflets fauves, deux regards de feu, lumineux, impressionnants dans leur fixit'e, 'etaient apparents…
Cette vision, la vision de cet homme, sans visage, sans ressemblance avec un autre homme, la vision de cette apparition au masque anonyme, au corps de statue, de cet ^etre qui n’'etait aucun ^etre reconnaissable, avait quelque chose de si pr'ecis en son myst`ere que Bobinette, un quart de seconde, l’ayant contempl'e, hurla d’une voix rauque, inhumaine, mourante :
— Fant^omas ! ah ! vous ^etes Fant^omas !
… L’orage redoublait de violence, la temp^ete d'echa^in'ee multipliait ses hurlements sinistres, la nuit se faisait plus sombre, la pluie plus lourde, le vent plus imp'etueux.
— Fant^omas ! vous ^etes Fant^omas !
Comme `a dessein, comme jouissant du trouble de la pauvre fille, le bandit ne se h^atait pas de r'epondre :
— Eh bien, oui ! faisait-il enfin, je suis Fant^omas !… Je suis celui que le monde entier recherche, que nul n’a jamais vu, que nul ne peut reconna^itre ! Je suis le Crime ! Je suis la Nuit ! Je n’ai pas de visage, pour personne, parce que la nuit, parce que le crime n’ont pas de visage… Je suis la puissance illimit'ee ; je suis celui qui se raille de tous les pouvoirs, de toutes les forces, de tous les efforts. Je suis le ma^itre de tous, de tout, de l’heure, du temps. Je suis la Mort. Bobinette, tu l’as dit, je suis Fant^omas…
Il semblait `a la malheureuse que la respiration lui manquait.
Tandis que le bandit prononcait sa sinistre apologie, tandis qu’il se vantait de l’impunit'e qu’il avait su toujours s’assurer, en ne se laissant jamais voir sous sa v'eritable forme, en trompant toujours ceux qui s’acharnaient `a sa poursuite, Bobinette croyait mourir, croyait s’'ecrouler sur le sol… ses jambes vacillaient, un vertige l’entra^inait toute, elle tomba `a genoux :
— Piti'e ! ma^itre !… piti'e ! Fant^omas !