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Ce n’'etait pas que la fausse gitane f^ut sans crainte.
Et d’abord, que lui voulait Vagualame ? Bobinette ne s’'etait jamais avou'e qu’elle ignorait `a vrai dire qui 'etait Vagualame…
Mais elle 'etait trop fine, trop intelligente pour avoir pu se d'efendre de noter certaines co"incidences, de remarquer certains d'etails qui lui avaient fait pressentir que le joueur d’accord'eon n’'etait autre que… Fant^omas.
Les trois syllabes r'esonnaient, `a cette heure, dans son cerveau tortur'e, comme un glas, comme une menace impr'ecise, ind'efinissable, terrible.
Vagualame lui avait dit qu’il lui donnait rendez-vous sur la route de Sceaux, pour lui remettre de l’argent, pour l’exp'edier `a l’'etranger, hors d’atteinte de la police… 'etaient-ce bien l`a les intentions du bandit ?
Et tout en avancant, Bobinette fr'emissait en songeant `a la bizarrerie de cette rencontre, la nuit, sur une grande route, l`a o`u il n’y avait ni chemin de fer, ni moyen de communication d’aucune sorte qui p^ut vraiment faire supposer un d'epart `a l’'etranger…
Une seule chose la rassurait…
Elle sentait `a chacun de ses pas battre sur son front le collier de sequins qu’elle avait 'epingl'e `a ses cheveux en guise de serre-t^ete, `a la mode des boh'emiennes. Elle croyait entendre encore le marchand qui lui avait vendu ce collier, un vieux revendeur des environs du Tr^one, lui chanter la chanson c'el`ebre des gitanes andalouses :
« Le corail luit sur ma peau brune,
« L’'epingle d’or `a mon chignon,
« Je m’en vais chercher fortune… »
…'Etait-ce vraiment vers la fortune qu’elle courait par la nuit mauvaise ? N’importe !
Bobinette se disait, qu’apr`es tout, puisque Vagualame l’avait convoqu'ee en tenue de gitane, c’est qu’'evidemment il avait bien l’intention de favoriser sa fuite. Elle n’imaginait point, autrement, qu’il ait pu pr'evoir la n'ecessit'e de ce d'eguisement…
Bobinette, tout en r'efl'echissant, avancait d’un bon pas, levait la t^ete, tentait de s’orienter. La veille, pour ne pas risquer de manquer au rendez-vous que lui avait d'esign'e Vagualame, elle s’'etait rendue sur la route de Sceaux, elle avait 'et'e reconna^itre l’endroit o`u la nuit suivante elle devait rencontrer le bandit. Elle pouvait maintenant se rendre compte qu’elle n’'etait plus tr`es loin de la borne kilom'etrique, terme myst'erieux de sa course nocturne… Or, Bobinette, soudain, eut un sursaut de frayeur…
`A gauche de la route, toute bord'ee de grands arbres que l’hiver avait d'epouill'es de leurs feuilles, qui se dressaient, m'elancoliques, avec des airs de fant^omes d'echarn'es, elle venait d’apercevoir quelque chose de sombre, comme une tache noire, plus noire encore que la nuit environnante…
Qu’'etait-ce ?… Au m^eme moment, dans la nuit, une plainte s’'etait 'elev'ee, plainte 'etrange, longue, sourde, profonde, comme exhal'ee de quelque gosier infernal, cri, hurlement, appel, grondement, elle n’aurait su le dire, et voil`a qu’elle s’arr^etait, tremblante, glac'ee d’effroi, les oreilles encore bourdonnantes, le coeur 'etreint d’une abominable frayeur. Doutant de ses sens, Bobinette demeura un instant immobile, n’osant plus faire un pas…
Et soudain, dans la rafale qui passait en sifflant dans les branchages des arbres, elle entendit une voix railleuse, s`eche, imp'erative, voix de menace, voix de commandement.
C’'etait la voix de Vagualame :
— Avance donc, grande sotte, pourquoi t’arr^etes-tu ?
Bobinette fit effort sur elle-m^eme, reprit sa marche.
Elle arrivait quelques secondes apr`es, aux c^ot'es de Vagualame qui venait au-devant d’elle :
— Avez-vous entendu ?
Elle haletait en songeant au myst'erieux grondement qu’elle venait de surprendre…
Vagualame haussait les 'epaules :
— J’ai entendu, r'epondit-il, le vent qui hurle, la pluie qui gr'esille, les arbres qui s’inclinent… et voil`a tout…
— On a cri'e ?
— Qui, on ? nous sommes seuls ici !… Bobinette, tu es seule avec moi !…
Le bandit se tut puis il reprit avec une intonation de raillerie :
— Tu n’as pas peur ?
— Non, Vagualame, je n’ai pas peur, mais…
— Mais tu trembles, dit le bandit avec un 'eclat de rire qui sonna 'etrangement faux…
Il passait soudain son bras sous le bras de Bobinette, la jeune femme sentait qu’il l’empoignait d’une 'etreinte de fer, qu’il la forcait `a avancer :
— Viens ! Viens t’abriter.
Et vers la tache sombre que Bobinette n’avait point encore identifi'ee, Vagualame attira la jeune femme :
— Mettons-nous l`a, disait-il ; ici, du diable si nous pourrions jamais causer… or, nous avons `a causer !…