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Le notaire interrompit le procureur :
— Ce n’est pas l’ami, d'eclara-t-il solennellement, que je viens voir aujourd’hui, mais le magistrat.
— Ah bah, fit M. de Larquenais fort interloqu'e par ce pr'eambule. De quoi s’agit-il donc ?
Il avait d'esign'e un fauteuil `a c^ot'e de lui au notaire. Celui-ci y prit place et commenca :
— Voici, monsieur le procureur. Il se passe quelque chose de tr`es grave.
Et, comme M. de Larquenais esquissait avec politesse un geste d’'etonnement, le notaire insista :
— De tr`es grave, oui… Figurez-vous que mon fils est `a Paris.
— Alors ? interrogea le procureur.
— Alors, ajouta d’une voix tremblante le notaire, c’est une preuve pour moi qu’il m’a menti. Car il 'etait parti en m’annoncant qu’il allait passer la journ'ee d’hier chez son ami Victor au ch^ateau des Ifs.
Le procureur haussa les 'epaules.
— Les jeunes gens, vous savez, sont toujours attir'es comme les alouettes par le miroir de la grande ville. Et dame, `a son ^age, une petite fugue, cela s’explique. Rappelez-vous votre jeunesse, ma^itre Gauvin.
Celui-ci tressaillit :
— Je n’ai jamais fait de b^etise, monsieur, et j’ai toujours 'et'e un honn^ete homme.
Le notaire 'etait devenu livide, une sueur froide lui perlait au front. Il l’'epongea et poursuivit :
— Ce ne serait encore rien, mais mon fils a fait quelque chose de plus grave : avant de s’en aller `a Paris, il a vol'e.
— A"ie, s’'ecria le procureur, dont le visage changeait instantan'ement. Cela, en effet, c’est plus grave ; qui donc a-t-il vol'e ?
— Moi, fit le notaire.
M. de Larquenais soupira profond'ement :
— Eh bien, j’aime mieux ca ! fit-il. Au moins, la chose ne s’'ebruitera pas.
— Oui, monsieur le procureur, mon fils, mon enfant ch'eri, mon Th'eodore a fractur'e un tiroir et pris dix-huit cents francs dans la caisse. Ah, c’est 'evidemment un coup de folie, une histoire de femme ; mais je suis malheureux, bien malheureux.
Le procureur jouait machinalement avec un coupe-papier, ne sachant trop quel conseil donner `a ce p`ere d'esesp'er'e :
— Que voulez-vous de moi ? demanda-t-il. Je ne pense pas que vous songiez `a poursuivre votre fils, et d’ailleurs, la loi ne le permet point. Le vol d’un p`ere par son enfant ne saurait ^etre objet de poursuite. Tout au plus pourriez-vous si vous le d'esiriez, faire enfermer votre fils dans une maison de correction. Mais enfin…
— Je sais, monsieur, je sais, interrompit le notaire, et si je suis venu tout `a l’heure parler au procureur, c’est `a l’ami que je m’adresse d'esormais. 'Ecoutez, rendez-moi un service. Quoi qu’il m’en co^ute, je veux donner `a Th'eodore une lecon, lecon dont il se souvienne. Il faut lui faire peur… voil`a ! Th'eodore, par une d'ep^eche cynique, m’annonce qu’il revient de Paris, par le train qui passe `a Vernon `a midi treize, aujourd’hui m^eme. Eh bien, je viens vous demander d’envoyer `a la gare deux agents pour l’arr^eter. On le conduira devant vous, discr`etement bien entendu, afin que nul ne le sache en ville, sauf vous et moi, vous lui administrerez un bon savon, vous lui laverez la t^ete et, lorsqu’il se sera repenti, je lui pardonnerai `a mon tour.
Le procureur souriait.
— C’est une affaire entendue, ma^itre Gauvin. Vous avez raison, en effet, et je m’en vais donner imm'ediatement des ordres.
Le procureur regardait sa montre.
— Il est midi moins dix. Nous avons le temps. Restez `a mon cabinet, ma^itre Gauvin, nous y attendrons ensemble l’arriv'ee du coupable.
***
Lorsque le train venant de Paris entra en gare de Vernon, un jeune homme au visage p^ale et d'efait descendit d’un compartiment de premi`ere classe. C’'etait Th'eodore.
Le jeune homme, si soign'e `a son ordinaire, tir'e `a quatre 'epingles, l’adolescent qui incarnait l’'el'egance, `a Vernon tout au moins, n’'etait pas ras'e, ses cheveux 'etaient d'epeign'es, ses v^etements couverts de poussi`ere, son faux col compl`etement froiss'e, sale, et sa cravate desserr'ee.
Th'eodore se m^elait `a la foule des voyageurs pour gagner la sortie. Machinalement, d’un air 'egar'e, ses yeux se fixaient sur l’employ'e `a casquette galonn'ee qui recueillait les billets. Il le connaissait de vue ; mais `a c^ot'e de cet homme, se trouvaient deux personnages que Th'eodore connaissait de vue 'egalement, pour les avoir, `a maintes reprises, apercus dans les endroits les plus divers `a Vernon, au caf'e, au th'e^atre, pr`es des casernes, dans les magasins.
Il s’imaginait que c’'etait l`a deux retrait'es qui vivaient en rentiers ; parfois, il 'echangeait m^eme avec eux de petits bonjours discrets, `a la mani`ere de gens qui, bien que n’ayant jamais 'et'e pr'esent'es les uns aux autres, se croient oblig'es `a des politesses par ce fait qu’ils se rencontrent fr'equemment.
Th'eodore venait de donner son billet, il s’appr^etait `a prendre une voiture pour se faire conduire chez son p`ere.
Le jeune homme 'etait tr`es ennuy'e, et son bel enthousiasme de la veille 'etait compl`etement tomb'e. Il avait pass'e par de cruelles d'eceptions, et, de plus, la lumi`ere s’'etait faite dans son esprit ; il s’'etait rendu compte de l’effroyable incorrection de sa conduite et 'etait d'ecid'e `a tout avouer `a son p`ere. C’'etait dans ce but et pour pr'eparer le malheureux notaire `a la sc`ene qui 'evidemment allait avoir lieu que Th'eodore lui avait t'el'egraphi'e :