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Les souliers du mort (Ботинки мертвеца)
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Аллен Марсель

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— M. Fernand Ricard s’en va au Havre ? Vraiment, et c’est pour ses affaires ? Eh bien, madame Alice, il ne faut pas vous plaindre. Trois jours sont vite pass'es, que diable !

Th'eodore Gauvin lui, esp'erait bien que ces trois jours seraient longs, tr`es longs.

Et 'etant tr`es jeune, il avait l’audace de ne pas s’en cacher.

— Madame, disait-il en pressant tendrement le bras de sa compagne, savez-vous que j’aurais 'et'e fort ennuy'e si M. Ricard, tout `a l’heure, m’avait demand'e `a jeter un coup d’oeil sur les journaux du matin ?

— Vraiment. Pourquoi donc ?

— Je ne les avais pas achet'es, avoua Th'eodore.

Et, comme M me Ricard feignait d’^etre surprise, le jeune homme reprit :

— Non. D’ailleurs je n’'etais pas venu `a la gare pour chercher les journaux, mais je suis s^ur que cela, vous l’aviez devin'e.

— Pas du tout, ripostait Alice feignant une candeur parfaite. Pourquoi donc 'etiez-vous `a la gare ?

— Pour vous voir ! Je savais que M. Fernand Ricard prenait le rapide de dix heures, je pensais bien que vous alliez l’accompagner, et par cons'equent…

— Achevez donc, vous semblez avoir peur de parler.

— C’est que j’ai peur de vous.

— Et pourquoi ?

— Parce que je vous aime.

— Vous ^etes fou, et je ne vois pas du tout pourquoi vous pr'etendez m’aimer.

— H'elas, disait-il, vous riez toujours, madame, et vous ne voulez jamais m’'ecouter. Pourtant, si vous saviez comme je suis heureux en ce moment.

— Et pourquoi ^etes-vous si heureux ? Parce que vous 'etiez `a la gare ?

La jeune femme 'etait m'echante. Elle s’amusait visiblement `a tourmenter ce jeune et timide amoureux. Th'eodore Gauvin, cependant, 'etait bien loin de s’en rendre compte :

— Oui, c’est pour cela. Ah, j’avais bien combin'e mon affaire, je vous assure. Votre mari partant, j’'etais certain de pouvoir vous raccompagner et d’avoir quelques minutes de t^ete `a t^ete avec vous. Vous ne m’en voulez pas, dites ?

— Pourquoi voudriez-vous que je vous en veuille ?

— Oh, voil`a une parole gentille, et je vous en remercie. Nous passons par le sentier ?

Et il d'esignait, quittant la grand-route, pour courir `a travers champs, un petit sentier garni de haies d’aub'epines en fleurs, un sentier discret, d'esert, et fort propice aux entretiens passionn'es.

— Acceptez, dites, suppliait-il, cela n’allonge que de cinq minutes.

— Bon, mais que me direz-vous pendant ces cinq minutes ?

— Que je vous adore.

— Et vous le r'ep'eterez tout le temps ?

Toujours mutine, et affectant de traiter son compagnon famili`erement, affectant de le consid'erer comme un enfant, Alice Ricard prit une mine d'esol'ee :

— Ce sera monotone, `a la fin, dit-elle.

— Non, dit-il d’une voix profonde et grave, ce ne sera pas monotone, parce que je vous le dirai de cent mani`eres diff'erentes, et qu’`a la centi`eme fois, peut-^etre, je trouverai moyen de vous le faire comprendre.

Ils avaient tourn'e dans le petit sentier, et, d'esormais, ils cheminaient sous des feuillages qui les rendaient imp'en'etrables au regard.

La certitude o`u il 'etait qu’on ne pouvait pas le voir donna du courage `a Th'eodore Gauvin. Brusquement, il br^ula ses vaisseaux :

— 'Ecoutez, d'eclara-t-il, d’une voix haletante et qui avait peine `a sortir de son gosier, si vous vouliez ^etre gentille, bien gentille, divinement gentille, si vous vouliez me faire le plus heureux des hommes ?

— Mon Dieu, qu’allez-vous me demander ?

— Deux choses, madame.

— Lesquelles ?

— D’abord, je voudrais que vous me laissiez vous embrasser.

— Peste !

— Ensuite que vous m’autorisiez `a passer la journ'ee avec vous. Je dirai `a mon p`ere que je vais rendre visite `a mon cousin au ch^ateau des Ifs, et je serai libre, par cons'equent.

Th'eodore Gauvin, `a ce moment, 'epouvant'e de sa propre audace, osait `a peine lever les yeux.

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