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— Allons, viens, Fandor, cria Juve, regagnant son cabinet de travail et tirant d’un placard une petite cave `a liqueurs. J’imagine que nous aurons la paix cette nuit et que nous pourrons dormir.
— Mon bon Juve, dit Fandor tout en trinquant d’enthousiasme avec le policier, j’ai pour vous l’affection la plus in'ebranlable, le respect le plus absolu, la sympathie la plus ardente, mais vous vous enfoncez l’ob'elisque dans l’oeil si vous croyez vraiment que vous vous reposerez cette nuit.
— Ah c`a, qu’est-ce que tu me chantes ? Tu pr'etends m’emp^echer de dormir ? Eh l`a, Fandor, si je t’ai invit'e `a venir coucher ici, je te prie de croire que ca n’est pas pour que tu viennes d'eranger mes habitudes de c'elibataire rang'e. Enfin, vas-tu m’expliquer pourquoi je ne me reposerai pas cette nuit ?
— Ah ca, Juve, est-ce que vous vous foutez de moi ? oui ou non ? J’aimerais `a le savoir.
— Et pourquoi veux-tu que je me moque de toi, Fandor ?
— Parce qu’il me semble que votre conduite…
— Ma conduite ? qu’est-ce que tu lui reproches ?
Fandor s’'etait install'e `a califourchon sur une chaise, appuyant son menton au dossier, se balancant, au grand risque de perdre l’'equilibre.
— Ce que je reproche `a votre conduite, digne Juve, c’est tout et rien. Vous ^etes 'enigmatique comme le sphinx, assommant comme une mouche, muet comme une taupe.
— Explique-toi.
— Je m’explique : Juve, vous ^etes dormeur comme une marmotte, parce que de Saint-Calais `a Paris, aussi bien dans le wagon du tortillard que dans le compartiment de l’express, vous avez roupill'e sans arr^et. Vous ^etes muet comme une taupe parce que, quand vous dormez, vous ne fournissez aucune explication. Vous ^etes 'enigmatique comme le sphinx parce que tout dans vos attitudes est incompr'ehensible. Vous ^etes assommant comme une mouche, enfin, parce qu’`a chaque minute `a chaque instant, quelque effort que l’on fasse pour vous comprendre, on demeure stupide devant l’ing'eniosit'e de vos pens'ees. Voil`a, c’est clair ?
— Ca n’est pas clair du tout. Tr`es s'erieusement, je ne te comprends pas, Fandor ?
— Oui ou non, Juve, vous moquez-vous de moi ?
— Oui ou non, r'epondait Juve, vas-tu m’expliquer ce qui t’intrigue si fort ?
— Juve, quand je vous ai rencontr'e au Mans, je vous ai dit que j’avais recu deux avertissements de Fant^omas et que Fant^omas, par cons'equent, 'etait m^el'e aux affaires de Saint-Calais. L`a-dessus, vous m’avez trait'e d’idiot. Est-ce exact ?
— Tr`es exact, Fandor.
— Alors, pourquoi, Juve, hier soir, parlant `a la personne m^eme de M. Morel, avez-vous d'eclar'e que Fant^omas 'etait le coupable du vol ? Et pourquoi ce matin m’avez-vous fait prendre `a Saint-Calais le train de Paris en me d'eclarant, sans autre explication, que nous allions nous occuper de Fant^omas ?
— Allons, Fandor, un peu de calme. J’avoue que tu peux ^etre furieux `a bon droit et je t’annonce que je vais t’expliquer tout ce qui te para^it incompr'ehensible. C’est simple comme bonjour.
— Juve, je suis sur le gril.
— D’abord, Fandor, tu es un serin.
— C’est admis. Voyons la suite ?
— Non. Arr^etons-nous au contraire `a cette premi`ere 'evidence. Tu es un serin, mon petit Fandor, car tu n’as pas 'et'e capable d’inventer qu’il 'etait fort possible que, pour toi et pour moi, Fant^omas n’'etait nullement m^el'e aux affaires de Saint-Calais alors qu’il y 'etait directement m^el'e pour M. Morel, le procureur g'en'eral, et consorts.
— Ce qui veut dire, Juve ?
— Mais ce qui veut dire, parbleu, que j’ai menti hier soir quand j’ai dit que je croyais Fant^omas le coupable !
— Pourtant, mes t'el'egrammes, le coup de t'el'ephone ?
Juve, `a nouveau, hoqueta de fou rire :
— Mon pauvre ami, cela ne prouve pas grand-chose. Le coup de t'el'ephone de Fant^omas, c’'etait quelque chose d’absolument idiot destin'e `a quelqu’un de rigoureusement imb'ecile. La d'ep^eche 'etait du m^eme go^ut.
Puis, comme Fandor ouvrait des yeux abasourdis, comme il paraissait ahuri, Juve expliqua :
— Mais na"if que tu fais, voyons, Fandor, c’est moi, moi, Juve, qui t’ai donn'e le coup de t'el'ephone de la part de Fant^omas. Et c’est moi, moi, Juve encore, qui t’ai envoy'e la d'ep^eche sign'ee Fant^omas.
— Vous, Juve, c’est vous l’auteur de ces myst'erieuses communications ? ah c`a, par exemple, je ne m’en serais jamais dout'e.
— C’est ce que je te reproche, Fandor. Mais, sapristi, si tu avais r'efl'echi deux minutes, tu te serais dit qu’il 'etait impossible que Fant^omas e^ut recu en prison ton article intitul'e : « Cherchez la Femme » `a l’heure o`u l’on t’adressait un t'el'egramme. Rien que ca aurait d^u te faire penser que tu 'etais la victime d’un imposteur.