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Le commissaire-priseur venait en effet d’annoncer, apr`es un petit silence :
— Mesdames et messieurs, nous allons mettre aux ench`eres un tableau repr'esentant le P^echeur `a la ligne, attribu'e `a Rembrandt.
C’'etait une facon 'el'egante et d'elicate pour ce fonctionnaire, de d'esigner l’effroyable copie effectu'ee `a grands coups de pinceau par 'Erick Sunds.
Le commentaire du commissaire-priseur d'etermina quelques murmures. On entendit fuser des 'eclats de rire.
Juve s’'etait pench'e vers Fandor et lui murmurait `a l’oreille :
— Tu vas voir ce qui va se passer. Et si je ne me trompe pas, celui qui emportera ce tableau va le payer un bon prix. Cette pi`ece-l`a, c’est tout l’int'er^et de la vente, et ca va se monter terriblement.
— Pourquoi ? `A part l’int'er^et de curiosit'e anecdotique que pr'esente cette oeuvre, elle n’a aucune qualit'e artistique que je sache ?
Mais Juve, myst'erieusement, secouait la t^ete :
— Tu vas voir, j’ai mon id'ee.
Il s’arr^eta, puis, reprit, comme si soudain il allait faire une confidence `a Fandor :
— As-tu remarqu'e que…
Mais brusquement, Juve se tut. On faisait silence en effet dans la salle, l’ench`ere commencait.
Avec un ironique sourire, le commissaire-priseur annonca :
— La mise `a prix est `a trois francs.
— Trois francs, r'ep'eta l’aboyeur, dont la voix puissante se r'epercutait, sonore, dans l’atmosph`ere chaude de la pi`ece. Trois francs. Une fois, deux fois…
— Cinq francs, fit une voix.
Une autre :
— Sept francs.
Un petit temps d’arr^et. Les gens se regardaient dans la salle, semblaient se surveiller du coin de l’oeil.
— Ca a l’air en effet de monter terriblement, votre tableau, dit Fandor.
Et, comme pour lui donner un d'ementi, un acheteur se manifestait :
— Douze francs, cria-t-il.
— Vous avez entendu ? Douze francs. Il y a preneur `a douze francs !
Et Juve ne perdait pas confiance, il continuait `a dire tout bas :
— Tu vas voir que ca va monter, tu vas voir la hausse !
— Treize francs, fit le journaliste qui, par mani`ere de plaisanterie, y alla lui aussi de son ench`ere.
Mais, `a sa grande surprise, Juve lui avait serr'e le bras nerveusement. Le policier grognait :
— Tais-toi donc, imb'ecile, tu vas faire tout manquer ! Si jamais le tableau te reste sur les bras, tout est perdu.
Interloqu'e, Fandor regrettait de s’^etre ainsi avanc'e, bien qu’il n’e^ut pas compris pourquoi Juve redoutait d'esormais de le voir garder ce tableau au prix de treize francs, alors que l’instant pr'ec'edent, le policier supposait qu’il allait monter tr`es haut.
Leurs appr'ehensions, toutefois, furent calm'ees par ce fait que, d’une voix cass'ee, 'eraill'ee, une femme qui, jusqu’alors, ne s’'etait pas encore manifest'ee, surench'erissait aussi :
— Je mets quinze francs, dit-elle.
— Quinze francs, r'ep'eta le commissaire-priseur, une fois… deux fois… Voyons, messieurs, mesdames, l’affaire en vaut la peine, c’est pour rien.
L’aboyeur r'ep'eta :
— Quinze francs, il y a un amateur `a quinze francs !
Puis ce fut le silence. Alors, retentit un coup sec, le marteau du commissaire-priseur retomba sur la table, l’affaire 'etait trait'ee. La copie du Rembrandt 'etait adjug'ee. `A quinze francs.
Qui donc s’'etait port'e acqu'ereur ?
Il y eut un remous dans la foule, on se pr'ecipitait pour voir la personne qui cherchait `a se frayer un passage, dans les rangs du public, pour donner son nom et son adresse, et r'egler en m^eme temps son achat.
Cependant que Juve hochait la t^ete, d’un air myst'erieux mais satisfait, Fandor 'etouffait une exclamation de surprise. Il connaissait la personne qui, d'esormais, 'etait propri'etaire du faux tableau ex'ecut'e par 'Erick Sunds : c’'etait la m`ere Toulouche.
Depuis quelques mois, la sordide m'eg`ere avait repris son ancien m'etier. Fandor savait qu’elle tenait un bric-`a-brac, au haut de la rue Lepic, et qu’elle 'etait m^el'ee `a tout ce monde interlope et bizarre de rapins sans travail, de chineurs, aux fr'equentes absences, de fabricants de faux objets d’art. Il regarda Juve d’un air interrogateur.
Le policier souriait :
— Ca va tr`es bien, murmura-t-il, tr`es bien… nous sommes sur la bonne piste !
La m`ere Toulouche, toutefois, avait donn'e une pi`ece de vingt francs pour r'egler son acquisition. On lui rendit la monnaie et, conduite par l’un des secr'etaires du commissaire-priseur, elle passa dans une pi`ece voisine o`u on allait lui donner livraison de son acquisition.