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Fandor arrivait chez Juve, ce matin-l`a, avec un visage chavir'e qui d'etermina une question imm'ediate de la part de l’inspecteur de la S^uret'e.
— Que se passe-t-il donc ? interrogea celui-ci. Mon pauvre Fandor, tu parais ravag'e ?
Le journaliste se laissa tomber sur un fauteuil :
— Ouf, je ne tiens plus debout ! Il est vrai, ajoutait-il en se passant les mains sur le front, que j’ai couru toute la nuit. En vain, d’ailleurs. Je voulais `a toute force retrouver H'el`ene qui se d'erobe, qui me fuit sans que je puisse savoir pourquoi.
— Et l’as-tu rencontr'ee ?
— Non. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’elle en ce moment, j’ai des choses urgentes `a vous dire et qui r'eclament toute votre attention. Au moment o`u j’allais, de guerre lasse, rentrer chez moi pour me reposer de cette nuit de d'emarches inutiles, figurez-vous, Juve, que j’ai rencontr'e Paquerett.
— Le commissaire de police de Clignancourt ?
— Lui-m^eme ! Il m’a racont'e des choses extraordinaires.
— Paquerett est un imaginatif, je t’en pr'eviens d’avance.
— Imaginatif ou non, grommela Fandor, il y a les faits qui sont l`a. Ils vont vous faire bondir.
— Je t’'ecoute.
— Donc, commenca Fandor, Paquerett a 'et'e saisi hier soir d’une plainte.
— Ce sont des choses, constata Juve, qui arrivent assez souvent aux commissaires de police.
— Si vous m’interrompez tout le temps, je n’en aurai jamais fini.
— Commence donc.
— Eh bien, dit Fandor, voil`a : figurez-vous Juve, que, hier soir vers huit heures et demie environ, un m'ecanicien s’est pr'esent'e au commissariat, boulevers'e. Il voulait `a toute force parler au commissaire, celui-ci 'etait pr'ecis'ement `a son bureau. L’homme lui a d'eclar'e : « Je suis propri'etaire d’une automobile de grande remise [16] et, depuis ce matin, j’'etais lou'e par une dame d’un certain ^age. Nous avons fait diverses courses dans Paris, nous sommes retourn'es d'ejeuner chez elle en banlieue, puis revenus ensuite sur les boulevards, et enfin, vers sept heures du soir ma cliente m’a command'e d’aller rue Lepic, `a Montmartre. Nous y chargeons un tableau d’assez grandes dimensions et la cliente, qui m’avait pay'e ma journ'ee d’avance, me dit : « Allez porter cela chez moi, `a Ville-d’Avray, o`u je vous retrouverai `a dix heures ce soir. »
— C’est tout `a fait int'eressant ce que tu me racontes l`a. Ce m'ecanicien est sans doute venu dire que sa cliente lui avait refil'e une pi`ece en plomb.
— Non. Au lieu de partir directement pour Ville-d’Avray, le m'ecanicien s’est arr^et'e `a quelques m`etres de la place du Tertre, chez un marchand de vin, pour y prendre l’ap'eritif. Il est rest'e cinq minutes `a peine dans l’'etablissement ; lorsqu’il en est sorti, plus de voiture. L’automobile avait 'et'e vol'ee.
— C’est bien fait, d'eclara Juve, il n’avait qu’`a ob'eir aux ordres recus.
— Le m'ecanicien affol'e, d'esesp'er'e comme bien vous le pensez, a fait du tapage dans le quartier, s’est renseign'e aupr`es des voisins. Au bout d’une demi-heure, il a retrouv'e sa voiture arr^et'ee dans une impasse `a c^ot'e de la rue Lepic. Toutefois, le tableau qu’elle transportait n’y 'etait plus. Le m'ecanicien est venu raconter cette histoire au commissaire, car il a eu peur d’avoir `a encourir des responsabilit'es quelconques au sujet du tableau disparu.
— De plus en plus int'eressant, d'eclara Juve dont la persistance d’ironie exasp'erait Fandor.
— Ah sapristi, Juve, cria-t-il, soyez donc un peu s'erieux ! 'Ecoutez-moi bien maintenant, c’est ici que l’affaire se corse. Le commissaire entend donc la d'eclaration du m'ecanicien et il l’interroge d’abord sur la nature de ce tableau. « Qu’est-ce qu’il repr'esentait ? » demanda-t-il. « Un p^echeur `a la ligne », r'epond le m'ecanicien. Le commissaire sursaute. Il a entendu, comme tout le monde, parler de l’affaire de Bagatelle et il se demande naturellement si le tableau d'erob'e n’est pas celui qu’on recherche depuis si longtemps, si ce n’est pas le Rembrandt appartenant `a Me Faramont. Il interroge minutieusement le chauffeur et lui demande l’adresse du bric-`a-brac chez qui sa cliente a achet'e ce tableau. « Rue Lepic, cent vingt-cinq », dit le chauffeur, et Paquerett en conclut, lui qui conna^it son quartier, que le tableau provient du bric-`a-brac de la m`ere Toulouche. Il est `a ce moment dix heures du soir, le commissaire emm`ene le plaignant jusque chez la brocanteuse. On la r'eveille, elle commence par pousser des cris terrifiants, croit qu’on vient l’assassiner. Le commissaire lui montre son 'echarpe et la m`ere Toulouche, encore plus 'epouvant'ee, s’imagine qu’elle va ^etre arr^et'ee. Elle jure qu’elle n’a rien fait, le commissaire affirme qu’il ne lui en veut pas. Enfin, apr`es vingt minutes de quiproquos, on finit par se comprendre. Et la m`ere Toulouche d'eclare que le tableau dont le m'ecanicien avait constat'e la disparition n’est autre que la copie du P^echeur `a la ligne que, dans l’apr`es-midi m^eme, elle avait achet'e `a l’h^otel des Ventes pour une somme modique, puis, revendu avant le d^iner moyennant vingt-cinq louis, `a la vieille dame venue chez elle dans l’automobile du plaignant. Voil`a l’affaire.
— Et alors ?
Fandor leva les bras au ciel.
— Vraiment, vous ^etes difficile, mon cher ami, fit-il, si vous trouvez que tout cela n’est pas extraordinaire ! Comment ? Ce tableau dont personne ne semblait vouloir `a l’h^otel des Ventes, voici qu’on vient l’acheter le soir m^eme `a la brocanteuse un prix exorbitant, puis qu’on le fourre dans une voiture automobile, qu’on vole cette derni`ere, qu’on la restitue ensuite, mais avec le tableau en moins, et cela vous para^it tr`es naturel ? Eh bien, non, pas `a moi. Il y a quelque combinaison louche, quelque myst`ere que l’on pourrait 'elucider seulement si le voleur de l’automobile 'etait connu. Or, non seulement le voleur est inconnu, mais encore je doute qu’on puisse l’arr^eter jamais.
— On n’arr^etera pas en effet ce voleur. Je puis le garantir, Fandor, et, sur ce point, tu as raison. Quant `a pr'etendre que le voleur est inconnu, certes, il l’est de beaucoup de gens, mais il est cependant quelqu’un, tout au moins, qui le conna^it.
— Ah bah, auriez-vous donc, Juve, des renseignements pr'ecis `a ce sujet ?
— J’en ai, tr`es pr'ecis encore.
— Expliquez-vous ?
— T’expliquer les choses serait un peu long, j’aime mieux tout net te d'eclarer que le voleur m’est connu, pour cette bonne raison que le voleur, c’est moi.