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Soudain, dans le silence du soir, un grondement sourd se percut.
— Une automobile qui passe, dit le p`ere Yxier en allumant sa pipe.
— On voit bien que nous entrons dans la belle saison… la route de Paris `a Rouen recommence `a ^etre fr'equent'ee par ces machines-l`a… c’est au moins la dixi`eme que j’entends aujourd’hui… dit la m`ere Catherine.
— Ma foi, tant mieux, grand-m`ere, dit Berthe, cela fera du mouvement dans le voisinage.
— Possible, grogna encore le p`ere Yxier, mais ca fait bien de la poussi`ere sur les fruits… et puis ce tapage qu’elles font, les m'ecaniques…
— 'Ecoutez, interrompit Berthe…
Au loin on venait d’entendre une explosion.
— Ce doit ^etre un pneu qui 'eclate, dit la m`ere Catherine, il y a quinze jours, tout pr`es de chez la m`ere Denis, j’ai entendu le m^eme bruit. C’'etait une grosse voiture, dont le caoutchouc trop gonfl'e avait crev'e comme une vessie…
— 'Ecoutez, fit Berthe, je viens d’entendre quelqu’un.
Il y eut des pas crissant sur le gravier du chemin de halage, se rapprochant, s’'eloignant, s’approchant encore…
Le p`ere Yxier se leva brusquement.
Il lui semblait que la petite barri`ere du jardin venait d’^etre ouverte.
Yxier se dirigea vers la porte, il l’entreb^ailla, 'ecouta une seconde. Tout se taisait de nouveau :
— Qui va l`a ? demanda le vieillard.
Berthe poussa un l'eger cri.
Une forme noire se projetait dans le faisceau de la lampe `a p'etrole. Une silhouette de femme surgit, grande, mince…
`A peine eut-elle vu que l’on ouvrait la porte, qu’elle supplia :
— Monsieur… madame… je vous en prie, au secours…
Il 'etait tard pour la campagne, huit heures et demie pass'ees, presque neuf heures…
L’inconnue, comme une fugitive effray'ee, p'en'etra dans l’int'erieur de la pi`ece. Elle s’'ecroula sur la premi`ere chaise venue, incapable, semblait-il, de prononcer une parole.
Berthe la regardait, curieuse.
C’'etait une grande femme blonde aux yeux clairs, vifs et brillants, jolie, autant qu’il 'etait possible de s’en rendre compte `a travers le voile de gaze qui lui recouvrait le visage, 'el'egamment v^etue d’une robe noire que l’on apercevait par l’entreb^aillement d’un long cache-poussi`ere qui l’enveloppait des pieds `a la t^ete. L’inconnue tenait `a la main d’'epaisses lunettes d’automobiliste.
Lorsqu’elle eut repris son souffle, la visiteuse s’expliqua, `a mots entrecoup'es, rapides :
— Je vous demande pardon, mesdames, d’^etre ainsi venue chez vous, mais j’avais peur… j’ai frapp'e `a la premi`ere maison. Je me rendais au Havre en automobile… Au Havre o`u j’allais embarquer… il faut vous dire que je suis 'etrang`ere, Am'ericaine, je m’appelle M me… je m’appelle Maud… simplement. Ce m'ecanicien conduisait comme un fou… il allait beaucoup trop vite, nous devions avoir un accident… depuis vingt minutes je ne vivais plus. Tout `a l’heure, au bas d’une descente, son pneumatique a 'eclat'e… nous avons failli chavirer. J’ai eu trop peur. J’ai pay'e cet homme et je suis partie… Je ne veux plus entendre parler de remonter dans sa voiture…
— En effet, c’est dangereux, dit le p`ere Yxier.
L’'etrang`ere poursuivait :
— Mais je vous d'erange sans doute, excusez-moi… voyons, n’y a-t-il pas un h^otel dans les environs o`u je pourrai passer la nuit ?
La m`ere Catherine se mit `a rire :
— Un h^otel, vous n’en trouverez pas avant Bonni`eres…
— Bonni`eres, est-ce loin ?
— Une pi`ece de six `a sept kilom`etres.
— Mon Dieu, jamais je ne ferai cela `a pied… pourrait-on trouver une voiture ? Une voiture avec un cheval, bien entendu…
— Il n’y a pas plus de voitures que d’h^otels par ici… peut-^etre le boucher de Rolleboise… mais non. son cheval doit ^etre fatigu'e, rapport `a ce qu’il est all'e plus loin que Pacy-sur-Eure cet apr`es-midi… non, vous ne trouverez rien avant demain matin…
— Que devenir ? mon Dieu, que devenir ?
— Restez ici, madame, restez avec nous…, dit Berthe.
Elle se tourna vers sa grand-m`ere :
— Je donnerai ma chambre `a madame.
Les vieux parents approuvaient l’offre charitable de leur petite-fille.
Solennellement, le grand-p`ere d'eclara :
— Vous ^etes ici, madame, chez de braves gens. Le p`ere et la m`ere Yxier. On nous conna^it bien dans le pays, allez… et la jeunesse qui est l`a, devant vous, c’est notre petite-fille, Berthe, une Parisienne.
L’Am'ericaine qui, certes, ne s’attendait pas `a une aussi cordiale r'eception, s’'etait lev'ee.
Avec une gr^ace, un charme qui r'ev'elaient la vraie grande dame, elle alla vers ses h^otes, serra la main de Berthe, de la vieille Catherine, remercia du regard le p`ere Yxier :