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– Rue… rue…
Forestier se mit a rire:
– Rue du cherche-midi a quatorze heures, n'est-ce pas? Je connais ce monsieur-la, mon cher. Si tu veux vingt francs, j'ai encore ca a ta disposition, mais pas davantage.
Duroy accepta la piece d'or.
Puis il alla de porte en porte, chez toutes les personnes qu'il connaissait, et il finit par reunir, vers cinq heures, quatre-vingts francs.
Comme il lui en fallait trouver encore deux cents, il prit son parti resolument, et, gardant ce qu'il avait recueilli, il murmura: «Zut, je ne vais pas me faire de bile pour cette garce-la. Je la paierai quand je pourrai.»
Pendant quinze jours il vecut d'une vie econome, reglee et chaste, l'esprit plein de resolutions energiques. Puis il fut pris d'un grand desir d'amour. Il lui semblait que plusieurs annees s'etaient ecoulees depuis qu'il n'avait tenu une femme dans ses bras, et, comme le matelot qui s'affole en revoyant la terre, toutes les jupes rencontrees le faisaient frissonner.
Alors il retourna, un soir, aux Folies-Bergere, avec l'espoir d'y trouver Rachel. Il l'apercut, en effet, des l'entree, car elle ne quittait guere cet etablissement.
Il alla vers elle souriant, la main tendue. Mais elle le toisa de la tete aux pieds:
– Qu'est-ce que vous me voulez?
Il essaya de rire:
– Allons, ne fais pas ta poire.
Elle lui tourna les talons en declarant:
– Je ne frequente pas les dos verts.
Elle avait cherche la plus grossiere injure. Il sentit le sang lui empourprer la face, et il rentra seul.
Forestier, malade, affaibli, toussant toujours, lui faisait, au journal, une existence penible, semblait se creuser l'esprit pour lui trouver des corvees ennuyeuses. Un jour meme, dans un moment d'irritation nerveuse, et apres une longue quinte d'etouffement, comme Duroy ne lui apportait pas un renseignement demande, il grogna:
– Cristi, tu es plus bete que je n'aurais cru.
L'autre faillit le gifler, mais il se contint et s'en alla en murmurant: «Toi, je te rattraperai.» Une pensee rapide lui traversa l'esprit, et il ajouta: «Je te vas faire cocu, mon vieux.» Et il s'en alla en se frottant les mains, rejoui par ce projet.
Il voulut, des le jour suivant, en commencer l'execution. Il fit a Mme Forestier une visite en eclaireur.
Il la trouva qui lisait un livre, etendue tout au long sur un canape.
Elle lui tendit la main, sans bouger, tournant seulement la tete, et elle dit:
– Bonjour, Bel-Ami!
Il eut la sensation d'un soufflet recu:
– Pourquoi m'appelez-vous ainsi?
Elle repondit en souriant:
– J'ai vu Mme de Marelle l'autre semaine, et j'ai su comment on vous avait baptise chez elle.
Il se rassura devant l'air aimable de la jeune femme. Comment aurait-il pu craindre, d'ailleurs?
Elle reprit:
– Vous la gatez! Quant a moi, on me vient voir quand on y pense, les trente-six du mois, ou peu s'en faut?
Il s'etait assis pres d'elle et il la regardait avec une curiosite nouvelle, une curiosite d'amateur qui bibelote. Elle etait charmante, blonde d'un blond tendre et chaud, faite pour les caresses; et il pensa: «Elle est mieux que l'autre certainement.» Il ne doutait point du succes, il n'aurait qu'a allonger la main, lui semblait-il, et a la prendre, comme on cueille un fruit.
Il dit resolument:
– Je ne venais point vous voir parce que cela valait mieux.
Elle demanda, sans comprendre:
– Comment? Pourquoi?
– Pourquoi? Vous ne devinez pas?
– Non, pas du tout.
– Parce que je suis amoureux de vous… oh! un peu, rien qu'un peu… et que je ne veux pas le devenir tout a fait…
Elle ne parut ni etonnee, ni choquee, ni flattee; elle continuait a sourire du meme sourire indifferent, et elle repondit avec tranquillite:
– Oh! vous pouvez venir tout de meme. On n'est jamais amoureux de moi longtemps.
Il fut surpris du ton plus encore que des paroles, et il demanda:
– Pourquoi?
– Parce que c'est inutile et que je le fais comprendre tout de suite. Si vous m'aviez raconte plus tot votre crainte je vous aurais rassure et engage au contraire a venir le plus possible.
Il s'ecria, d'un ton pathetique:
– Avec ca qu'on peut commander aux sentiments!
Elle se tourna vers lui:
– Mon cher ami, pour moi un homme amoureux est raye du nombre des vivants. Il devient idiot, pas seulement idiot, mais dangereux. Je cesse, avec les gens qui m'aiment d'amour, ou qui le pretendent, toute relation intime, parce qu'ils m'ennuient d'abord, et puis parce qu'ils me sont suspects comme un chien enrage qui peut avoir une crise. Je les mets donc en quarantaine morale jusqu'a ce que leur maladie soit passee. Ne l'oubliez point. Je sais bien que chez vous l'amour n'est autre chose qu'une espece d'appetit, tandis que chez moi ce serait, au contraire, une espece de… de… de communion des ames qui n'entre pas dans la religion des hommes. Vous en comprenez la lettre, et moi l'esprit. Mais… regardez-moi bien en face…