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Bel-Ami / Милый друг
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Мопассан Ги Де

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Oui, elle m'a emiette, la gueuse, elle a accompli doucement et terriblement la longue destruction de mon etre, seconde par seconde. Et maintenant je me sens mourir en tout ce que je fais. Chaque pas m'approche d'elle, chaque mouvement, chaque souffle hate son odieuse besogne. Respirer, dormir, boire, manger, travailler, rever, tout ce que nous faisons, c'est mourir. Vivre enfin, c'est mourir!

Oh! vous saurez cela! Si vous reflechissiez seulement un quart d'heure, vous la verriez.

Qu'attendez-vous? De l'amour? Encore quelques baisers, et vous serez impuissant.

Et puis, apres? De l'argent? Pourquoi faire? Pour payer des femmes? Joli bonheur! Pour manger beaucoup, devenir obese et crier des nuits entieres sous les morsures de la goutte?

Et puis encore? De la gloire? A quoi cela sert-il quand on ne peut plus la cueillir sous forme d'amour?

Et puis, apres? Toujours la mort pour finir.

Moi, maintenant, je la vois de si pres que j'ai souvent envie d'etendre les bras pour la repousser. Elle couvre la terre et emplit l'espace. Je la decouvre partout. Les petites betes ecrasees sur les routes, les feuilles qui tombent, le poil blanc apercu dans la barbe d'un ami, me ravagent le coeur et me crient: «La voila!»

Elle me gate tout ce que je fais, tout ce que je vois, ce que je mange et ce que je bois, tout ce que j'aime, les clairs de lune, les levers de soleil, la grande mer, les belles rivieres, et l'air des soirs d'ete, si doux a respirer!

Il allait doucement, un peu essouffle, revant tout haut, oubliant presque qu'on l'ecoutait.

Il reprit:

– Et jamais un etre ne revient, jamais… On garde les moules des statues, les empreintes qui refont toujours des objets pareils; mais mon corps, mon visage, mes pensees, mes desirs ne reparaitront jamais. Et pourtant il naitra des millions, des milliards d'etres qui auront dans quelques centimetres carres un nez, des yeux, un front, des joues et une bouche comme moi, et aussi une ame comme moi, sans que jamais je revienne, moi, sans que jamais meme quelque chose de moi reconnaissable reparaisse dans ces creatures innombrables et differentes, indefiniment differentes bien que pareilles a peu pres.

A quoi se rattacher? Vers qui jeter des cris de detresse? A quoi pouvons-nous croire?

Toutes les religions sont stupides, avec leur morale puerile et leurs promesses egoistes, monstrueusement betes.

La mort seule est certaine.

Il s'arreta, prit Duroy par les deux extremites du col de son pardessus, et, d'une voix lente:

– Pensez a tout cela, jeune homme, pensez-y pendant des jours, des mois et des annees, et vous verrez l'existence d'une autre facon. Essayez donc de vous degager de tout ce qui vous enferme, faites cet effort surhumain de sortir vivant de votre corps, de vos interets, de vos pensees et de l'humanite tout entiere, pour regarder ailleurs, et vous comprendrez combien ont peu d'importance les querelles des romantiques et des naturalistes, et la discussion du budget.

Il se remit a marcher d'un pas plus rapide.

– Mais aussi vous sentirez l'effroyable detresse des desesperes. Vous vous debattrez, eperdu, noye, dans les incertitudes. Vous crierez «a l'aide» de tous les cotes, et personne ne vous repondra. Vous tendrez les bras, vous appellerez pour etre secouru, aime, console, sauve! et personne ne viendra.

Pourquoi souffrons-nous ainsi? C'est que nous etions nes sans doute pour vivre davantage selon la matiere et moins selon l'esprit; mais, a force de penser, une disproportion s'est faite entre l'etat de notre intelligence agrandie et les conditions immuables de notre vie.

Regardez les gens mediocres; a moins de grands desastres tombant sur eux ils se trouvent satisfaits, sans souffrir du malheur commun. Les betes non plus ne le sentent pas.

Il s'arreta encore, reflechit quelques secondes, puis d'un air las et resigne:

– Moi, je suis un etre perdu. Je n'ai ni pere, ni mere, ni frere, ni soeur, ni femme, ni enfants, ni Dieu.

Il ajouta, apres un silence:

– Je n'ai que la rime.

Puis, levant la tete vers le firmament, ou luisait la face pale de la pleine lune, il declama:

Et je cherche le mot de cet obscur probleme Dans le ciel noir et vide ou flotte un astre bleme.

Ils arrivaient au pont de la Concorde, ils le traverserent en silence, puis ils longerent le Palais-Bourbon. Norbert de Varenne se remit a parler:

– Mariez-vous, mon ami, vous ne savez pas ce que c'est que de vivre seul, a mon age. La solitude, aujourd'hui, m'emplit d'une angoisse horrible; la solitude dans le logis, aupres du feu, le soir. Il me semble alors que je suis seul sur la terre, affreusement seul, mais entoure de dangers vagues, de choses inconnues et terribles; et la cloison, qui me separe de mon voisin que je ne connais pas, m'eloigne de lui autant que des etoiles apercues par ma fenetre. Une sorte de fievre m'envahit, une fievre de douleur et de crainte, et le silence des murs m'epouvante. Il est si profond et si triste, le silence de la chambre ou l'on vit seul. Ce n'est pas seulement un silence autour du corps, mais un silence autour de l'ame, et, quand un meuble craque, on tressaille jusqu'au coeur, car aucun bruit n'est attendu dans ce morne logis.

Il se tut encore une fois, puis ajouta:

– Quand on est vieux, ce serait bon, tout de meme, des enfants!

Ils etaient arrives vers le milieu de la rue de Bourgogne. Le poete s'arreta devant une haute maison, sonna, serra la main de Duroy, et lui dit:

– Oubliez tout ce rabachage de vieux, jeune homme, et vivez selon votre age; adieu!

Et il disparut dans le corridor noir.

Duroy se remit en route, le coeur serre. Il lui semblait qu'on venait de lui montrer quelque trou plein d'ossements, un trou inevitable ou il lui faudrait tomber un jour. Il murmura: «Bigre, ca ne doit pas etre gai, chez lui. Je ne voudrais pas un fauteuil de balcon pour assister au defile de ses idees, nom d'un chien!»

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