Шрифт:
On le fit entrer dans le salon, et il attendit, comme toujours. Puis la porte de la chambre s'ouvrit, et il apercut un grand homme a barbe blanche, decore, grave et correct, qui vint a lui avec une politesse minutieuse:
– Ma femme m'a souvent parle de vous, et je suis charme de faire votre connaissance.
Duroy s'avanca en tachant de donner a sa physionomie un air de cordialite expressive, et il serra avec une energie exageree la main tendue de son hote. Puis, s'etant assis, il ne trouva rien a lui dire.
M. de Marelle remit un morceau de bois au feu, et demanda:
– Voici longtemps que vous vous occupez de journalisme?
Duroy repondit:
– Depuis quelques mois seulement.
– Ah! vous avez marche vite.
– Oui, assez vite.
Et il se mit a parler au hasard, sans trop songer a ce qu'il disait, debitant toutes les banalites en usage entre gens qui ne se connaissent point. Il se rassurait maintenant et commencait a trouver la situation fort amusante. Il regardait la figure serieuse et respectable de M. de Marelle, avec une envie de rire sur les levres, en pensant: «Toi, je te fais cocu, mon vieux, je te fais cocu.» Et une satisfaction intime, vicieuse, le penetrait, une joie de voleur qui a reussi et qu'on ne soupconne pas, une joie fourbe, delicieuse. Il avait envie, tout a coup, d'etre l'ami de cet homme, de gagner sa confiance, de lui faire raconter les choses secretes de sa vie.
Mme de Marelle entra brusquement, et les ayant couverts d'un coup d'oeil souriant et impenetrable, elle alla vers Duroy qui n'osa point, devant le mari, lui baiser la main, ainsi qu'il le faisait toujours.
Elle etait tranquille et gaie comme une personne habituee a tout, qui trouvait cette rencontre naturelle et simple, en sa rouerie native et franche. Laurine apparut, et vint, plus sagement que de coutume, tendre son front a Georges, la presence de son pere l'intimidant. Sa mere lui dit:
– Eh bien, tu ne l'appelles plus Bel-Ami, aujourd'hui.
Et l'enfant rougit, comme si on venait de commettre une grosse indiscretion, de reveler une chose qu'on ne devait pas dire, de devoiler un secret intime et un peu coupable de son coeur.
Quand les Forestier arriverent, on fut effraye de l'etat de Charles. Il avait maigri et pali affreusement en une semaine et il toussait sans cesse. Il annonca d'ailleurs qu'ils partaient pour Cannes le jeudi suivant, sur l'ordre formel du medecin.
Ils se retirerent de bonne heure, et Duroy dit en hochant la tete:
– Je crois qu'il file un bien mauvais coton. Il ne fera pas de vieux os.
Mme de Marelle affirma avec serenite:
– Oh! il est perdu! En voila un qui avait eu de la chance de trouver une femme comme la sienne.
Duroy demanda:
– Elle l'aide beaucoup?
– C'est-a-dire qu'elle fait tout. Elle est au courant de tout, elle connait tout le monde sans avoir l'air de voir personne; elle obtient ce qu'elle veut, comme elle veut, et quand elle veut. Oh! elle est fine, adroite et intrigante comme aucune, celle-la. En voila un tresor, pour un homme qui veut parvenir.
Georges reprit:
– Elle se remariera bien vite, sans doute?
Mme de Marelle repondit:
– Oui. Je ne serais meme pas etonnee qu'elle eut en vue quelqu'un… un depute… a moins que… qu'il ne veuille pas…, car… car…, il y aurait peut-etre de gros obstacles… moraux… Enfin, voila. Je ne sais rien.
M. de Marelle grommela avec une lente impatience:
– Tu laisses toujours soupconner un tas de choses que je n'aime pas. Ne nous melons jamais des affaires des autres. Notre conscience nous suffit a gouverner. Ce devrait etre une regle pour tout le monde.
Duroy se retira, le coeur trouble et l'esprit plein de vagues combinaisons.
Il alla le lendemain faire une visite aux Forestier et il les trouva terminant leurs bagages. Charles, etendu sur un canape, exagerait la fatigue de sa respiration et repetait:
– Il y a un mois que je devrais etre parti.
Puis il fit a Duroy une serie de recommandations pour le journal, bien que tout fut regle et convenu avec M. Walter.
Quand Georges s'en alla, il serra energiquement les mains de son camarade:
– Eh bien, mon vieux, a bientot!
Mais, comme Mme Forestier le reconduisait jusqu'a la porte, il lui dit vivement:
– Vous n'avez pas oublie notre pacte? Nous sommes des amis et des allies, n'est-ce pas? Donc, si vous avez besoin de moi, en quoi que ce soit, n'hesitez point. Une depeche ou une lettre et j'obeirai.
Elle murmura:
– Merci, je n'oublierai pas.
Et son oeil aussi lui dit: «Merci», d'une facon plus profonde et plus douce.
Comme Duroy descendait l'escalier, il rencontra, montant a pas lents, M. de Vaudrec, qu'une fois deja il avait vu chez elle. Le comte semblait triste – de ce depart, peut-etre?