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Donc il allait se battre, et se battre au pistolet? Pourquoi n'avait-il pas choisi l'epee! Il en aurait ete quitte pour une piqure au bras ou a la main, tandis qu'avec le pistolet on ne savait jamais les suites possibles.
Il dit: «Allons, il faut etre crane.»
Le son de sa voix le fit tressaillir, et il regarda autour de lui. Il commencait a se sentir fort nerveux. Il but un verre d'eau, puis se coucha.
Des qu'il fut au lit, il souffla sa lumiere et ferma les yeux.
Il avait tres chaud dans ses draps, bien qu'il fit tres froid dans sa chambre, mais il ne pouvait parvenir a s'assoupir. Il se tournait et se retournait, demeurait cinq minutes sur le dos, puis se placait sur le cote gauche, puis se roulait sur le cote droit.
Il avait encore soif. Il se releva pour boire, puis une inquietude le saisit: «Est-ce que j'aurais peur?»
Pourquoi son coeur se mettait-il a battre follement a chaque bruit connu de sa chambre? Quand son coucou allait sonner, le petit grincement du ressort lui faisait faire un sursaut; et il lui fallait ouvrir la bouche pour respirer pendant quelques secondes, tant il demeurait oppresse.
Il se mit a raisonner en philosophe sur la possibilite de cette chose: «Aurais-je peur?»
Non certes il n'aurait pas peur puisqu'il etait resolu a aller jusqu'au bout, puisqu'il avait cette volonte bien arretee de se battre, de ne pas trembler. Mais il se sentait si profondement emu qu'il se demanda: «Peut-on avoir peur malgre soi?» Et ce doute l'envahit, cette inquietude, cette epouvante! Si une force plus puissante que sa volonte, dominatrice, irresistible, le domptait, qu'arriverait-il? Oui, que pouvait-il arriver?
Certes il irait sur le terrain puisqu'il voulait y aller. Mais s'il tremblait? Mais s'il perdait connaissance? Et il songea a sa situation, a sa reputation, a son avenir.
Et un singulier besoin le prit tout a coup de se relever pour se regarder dans sa glace. Il ralluma sa bougie. Quand il apercut son visage reflete dans le verre poli, il se reconnut a peine, et il lui sembla qu'il ne s'etait jamais vu. Ses yeux lui parurent enormes; et il etait pale, certes, il etait pale, tres pale.
Tout d'un coup, cette pensee entra en lui a la facon d'une balle: «Demain, a cette heure-ci, je serai peut-etre mort.» Et son coeur se remit a battre furieusement.
Il se retourna vers sa couche et il se vit distinctement etendu sur le dos dans ces memes draps qu'il venait de quitter. Il avait ce visage creux qu'ont les morts et cette blancheur des mains qui ne remueront plus.
Alors il eut peur de son lit, et afin de ne plus le voir il ouvrit la fenetre pour regarder dehors.
Un froid glacial lui mordit la chair de la tete aux pieds, et il se recula, haletant.
La pensee lui vint de faire du feu. Il l'attisa lentement, sans se retourner. Ses mains tremblaient un peu d'un fremissement nerveux quand elles touchaient les objets. Sa tete s'egarait, ses pensees tournoyantes, hachees, devenaient fuyantes, douloureuses; une ivresse envahissait son esprit comme s'il eut bu.
Et sans cesse il se demandait: «Que vais-je faire? que vais-je devenir?»
Il se remit a marcher, repetant, d'une facon continue, machinale: «Il faut que je sois energique, tres energique.»
Puis il se dit: «Je vais ecrire a mes parents, en cas d'accident.»
Il s'assit de nouveau, prit un cahier de papier a lettres, traca: «Mon cher papa, ma chere maman…»
Puis il jugea ces termes trop familiers dans une circonstance aussi tragique. Il dechira la premiere feuille et recommenca: «Mon cher pere, ma chere mere; je vais me battre au point du jour, et comme il peut arriver que…»
Il n'osa pas ecrire le reste et se releva d'une secousse.
Cette pensee l'ecrasait maintenant. «Il allait se battre en duel. Il ne pouvait plus eviter cela. Que se passait-il donc en lui? Il voulait se battre; il avait cette intention et cette resolution fermement arretees; et il lui semblait, malgre tout l'effort de sa volonte, qu'il ne pourrait meme pas conserver la force necessaire pour aller jusqu'au lieu de la rencontre.»
De temps en temps ses dents s'entrechoquaient dans sa bouche avec un petit bruit sec; et il se demandait: «Mon adversaire s'est-il deja battu? a-t-il frequente les tirs? est-il connu? est-il classe?» Il n'avait jamais entendu prononcer ce nom. Et cependant si cet homme n'etait pas un tireur au pistolet remarquable, il n'aurait point accepte ainsi, sans hesitation, sans discussion, cette arme dangereuse.
Alors Duroy se figurait leur rencontre, son attitude a lui et la tenue de son ennemi. Il se fatiguait la pensee a imaginer les moindres details du combat; et tout a coup il voyait en face de lui ce petit trou noir et profond du canon dont allait sortir une balle.
Et il fut pris brusquement d'une crise de desespoir epouvantable. Tout son corps vibrait, parcouru de tressaillements saccades. Il serrait les dents pour ne pas crier, avec un besoin fou de se rouler par terre, de dechirer quelque chose, de mordre. Mais il apercut un verre sur sa cheminee et il se rappela qu'il possedait dans son armoire un litre d'eau-de-vie presque plein; car il avait conserve l'habitude militaire de tuer le ver chaque matin.