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L''eglise gr'eco-russe retint une langue `a part form'ee de divers dialectes des Slaves du sud; la langue vulgaire n''etait pas encore 'elabor'ee. Les chroniques, les actes diplomatiques et civils se r'edigeaient dans un idiome qui tenait le milieu entre la langue eccl'esiastique et la langue populaire et se rapprochait plus de l'une ou de l'autre suivant la position sociale de l'auteur. Il n'y eut aucun mouvement litt'eraire jusqu'au XVIIIe si`ecle. Quelques chroniques, un po`eme du XVIIe si`ecle (campagne d'Igor), un assez grand nombre de contes et de chants populaires pour la plupart oraux, voil`a tout ce qu'ont produit dix si`ecles dans le domaine litt'eraire.
Sans 'egard `a cette p'enurie, il est important de remarquer que la langue de la Bible, comme celle des annales de Nestor et du po`eme mentionn'e est non seulement d'une grande beaut'e, mais qu'elle porte des traces 'evidentes d'un long usage et d'un d'eveloppement ant'erieur de beaucoup de si`ecles.
Les traducteurs de la Bible Cyrille et M'ethode r'egl`erent la langue, fix`erent un alphabet, calqu`erent les tonnes grammaticales d'apr`es les r`egles grecques, mais ils trouv`erent une langue riche et 'elabor'ee probablement par les Slaves qui habitaient la Mac'edoine et la Thessalie. faut conna^itre les dillicult'es que trouvent les Anglais en traduisant l'Evangile dans les langues sauvages par exemple dans celle des Cafres, les mots leur manquent les images, les notions, les expressions, tout doit ^etre rendu par des p'eriphrases approximatives. Tandis que la traduction slave 'egale en concision, en beaut'e m^ale et en fid'elit'e celle de Luther.
Tous les 'el'ements po'etiques qui fermentaient dans l'^ame du peuple russe s'exhalaient dans des chants extr^emement m'elodieux. Les peuples slaves sont par excellence des peuples chanteurs. Los chroniqueurs du Bas-Empire racontent que dans une invasion des Slaves, les Grecs les ont surpris, car les sentinelles qui chantaient toujours s'endormirent peu `a peu elles-m^emes par leurs chants. Le paysan russe trouvait dans ses chants l'unique 'epanchement `a ses souttrances. Il chante continuellement, en travaillant, en conduisant ses chevaux ou en se reposant au seuil de sa porte. Ce qui distingue ces chansons de celles des autres Slaves et m^eme des Malo-Russes, c'est une tristesse profonde. Les paroles ne sont qu'une complainte qui se perd dans les plaines sans limites comme son malheur, dans les bois lugubres de sapin, dans les steppes infinies, sans rencontrer d''echo ami. Cette tristesse n'est pas un 'elan passionn'e vers quelque chose d'id'eal, elle n'a rien de romantique, rien de ces aspirations maladives et monacales [5] , comme les chants allemands, c'est la douleur de l'individu 'ecras'e par la fatalit'e, c'est un reproche `a la destin'ee «destin'ee-mar^atre sort amer»; c'est un d'esir comprim'e qui n'ose pas se mauitester autrement, c'est le chant d'une lemme opprim'ee par son mari, du mari opprim'e par son p`ere, par l'ancien du village, de tous enfin opprim'es par le seigneur ou le tzar; c'est l'amour protond, passionn'e, malheureux mais terrestre et r'eel [6] . Au milieu de ces chants m'elancoliques vous entendez tout `a coup les sons d'une orgie, d'une ga^it'e sans frein; des cris passionn'es et fous, des mots d'enu'es, de sens, mais enivrants, entra^inants a une danse effr'en'ee qui est tout autre chose que la danse dramatique et gracieuse en choeurs,
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Il est de m'eme `a remarquer que les h'eros des contes – Ilia Mourometz, Ivan Tzar'evitch, etc. ont beaucoup plus de rapports avec les h'eros hom'eriquos, qu'avec ceux du moyen ^age, le «Bogatyr» n'est pas un chevalier, comme Achille n'en est pas un.
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Voyez la dissertation magnifique de Mme Talvi sur les chants slaves dans son ouvrage imprim'e en 1846 `a New-York.
Tristesse ou orgie, esclavage ou anarchie, le Russe passait sa vie en vagabond, sans foyer ni domicile, ou absorb'e par la commune, perdu dans la famille ou libre au milieu des for^ets, le coutelas `a la ceinture. Dans les deux cas, le chant exprimait la m^eme plainte, les m^emes d'eceptions: c''etait une voix sourde qui disait que les forces inn'ees ne trouvaient pas assez d'essor, qu'elles 'etaient mal `a l'aise dans la vie resserr'ee par l'ordre social.
Il y a une cat'egorie enti`ere de chants russes, les chants des brigands. Ce ne sont plus des 'el'egies plaintives: c'est le cri t'em'eraire, c'est l'exc`es de joie d'un homme qui se sent enfin libre, cri de menace, de col`ere et de d'efi. «Nous viendrons boire votre vin, patience; nous viendrons caresser vos femmes, piller vos richards»… «Je ne veux plus travailler dans les champs; qu'aije gagn'e en labourant la terre? Je suis pauvre et m'epris'e; non, je prendrai pour compagnon la nuit sombre, un couteau affil'e, je trouverai des amis dans les bois touffus, je tuerai le seigneur et je pillerai le marchand sur la grande route. Au moins tout le monde me respectera; et le jeune voyageur passant sur mon chemin et le vieillard assis devant sa maison me salueront».
Le couvent, la Cosaquerie, les bandes de brigands 'etaient les seuls moyens de se rendre libre en Russie. Le peuple appelait poliment les brigands polissons (chalouny) ou licencieux (volnitza). Dans les temps anciens, la seule ville de Novgorod fournissait des bandes arm'ees qui descendaient la Volga et l'Oka jusqu'aux bords de la Kama, «allant `a l'aventure chercher le bonheur». Des Cosaques brigands pers'ecut'es par Jean IV, firent, pour se r'ehabiliter, la conqu^ete de la Sib'erie, sous les ordres de Iermak. Le vagabondage et le brigandage s'accrurent d'une mani`ere prodigieuse pendant l'interr`egne et au commencement du XVIIe si`ecle. La m'emoire de Stenka Rasine s'est conserv'ee chez le peuple dans une quantit'e de chansons compos'ees en son honneur. La tradition de ces brigandages ne discontinua pas jusqu'`a Pougatcheff, et il est probable qu'ils n'ont acquis une si grande proportion que gr^ace `a une lutte sourde engag'ee par les paysans protestant contre leur asservissement. Il est notoire que, dans les chansons, le beau r^ole revient au brigand, les sympathies sont pour lui et non pour ses victimes; c'est avec une joie secr`ete qu'on vante ses prouesses et sa bravoure. Le chansonnier populaire paraissait comprendre que son plus grand ennemi n''etait pas le brigand.
Un mouvement intellectuel d'un autre genre, mais non moins important, fut le mouvement des id'ees religieuses chez les sectaires. Ce que l'orthodoxes grecque n'a jamais su faire, int'eresser l'homme du peuple, d'evelopper en lui une foi active, un int'er^et v'eritable, les sectaires curent l'accomplir. Chez eux, point d'indiff'erentisme; la commune y est plus d'evelopp'ee que chez les paysans orthodoxes, l'esprit de corps est on ne peut plus vivace; il y a des sectes dont la dogmatique est absurde, mais la conduite pleine d''energie et honn^etet'e. Il y en a d'autres tr`es r'epandues m^eme, qui professent les doctrines communistes les plus avanc'ees, entrem^el'ees d'un christianisme mystique dans le genre des herrenhuts et m^eme des anabaptistes. Pers'ecut'es par le gouvernement, des milliers de sectaires se sont expatri'es en Livonie, en Turquie, o`u il y a des bourgs entiers habit'es par leur descendants. Les sectaires en g'en'eral sont les ennemis les plus acharn'es de la r'eforme de Pierre Ier. Pour eux Pierre et ses successeurs sont des ant'echrists. Par contre, le gouvernement y voit des rebelles et les poursuit comme tels. Les sectaires tiennent bon, leur propagande s'accro^it `a mesure qu'augmente la pers'ecution, ils ont des affid'es sur tous les points de l'empire, une publicit'e clandestine. Il serait possible que d'un des Skites [7] (communaut'e schismatique) sort^it un mouvement populaire qui embras^at des provinces enti`eres, dont le caract`ere serait certainement national et communiste et qui irait `a la rencontre d'un autre mouvement dont la source est dans les id'ees r'evolutionnai-,res de l'Europe. Peut-^etre ces deux mouvements s'entre-choque-ront-ils sans comprendre leur affinit'e, au grand plaisir du tzar et de ses amis.
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Pougatcheff et ses coll`egues ont appartenu aux «Starovertzy».
La litt'erature russe europ'eis'ee ne commence `a obtenir une certaine signification que du temps de Catherine II. Avant son regne, on voit un travail pr'eparatoire; la langue se forme aux nouvelles conditions de l'existence, elle fourmille de mots allemands et latins; l'esprit d'imitation s'empare de tout, au point qu'on essaie d'introduire dans notre langue m'etrique et sonore la versification syllabique. Revenue de ces exag'erations, la langue commenca `a s'assimiler les flots de mots 'etrangers, `a devenir plus naturelle et plus conforme au g'enie de la nation. Le premier Russe qui mania avec talent la langue ainsi faite fut Lomonossoff. Ce savant c'el`ebre fut le type du Russe par son encyclop'edisme, autant que par la facilit'e de son entendement. Il 'ecrivit en russe, en allemand et en latin. Il 'etait mineur, chimiste, po`ete, philologue, physicien, astronome et historien. Il composait en m^eme temps une dissertation m'et'eorologique sur l''electricit'e, et une autre sur l'arriv'ee des Var`egues en Russie, en r'eponse `a l'historiographe Muller, ce qui ne l'emp^echait pas de terminer ses odes triomphales et ses po`emes didactiques. Toujours lucide, plein du d'esir inquiet de tout comprendre, il jetait un sujet pour s'emparer d'un autre avec une facilit'e de conception 'etonnante.
La civilisation qui commencait `a s''epanouir sous l''egide pro tectrice du gouvernement restait encore sur les marches du tr^one, avec son admiration pour Pierre le Grand et avec son adulation sinc`ere pour tout souverain. Le gouvernement continuait `a marcher `a la t^ete de la civilisation. Cette affinit'e de la litt'erature avec le gouvernement devient plus palpable du temps de Catherine II. Elle a son po`ete, po`ete d'un grand talent, qui, par entra^inement et amour, lui adresse des 'ep^itres, des odes, des hymnes et des satires qui est `a genoux devant elle, `a ses pieds, sans ^etre toutefois vil ou esclave. Derjavine ne craint pas l'imp'eratrice, il plaisante avec elle, la nomme «F'elicie» «la tzarine de Kirgis-Ka"is-saks». Sa muse trouve parfois des sons qui ne sont gu`ere ceux d'un serf chantant son souverain.