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Pendant que le colonel parlait, M. Maranj'evol roulait de bons gros yeux 'etonn'es, inquiets, consid'erant successivement le militaire et le policier.
Mais l’inspecteur 'etait rest'e impassible sous l’orage ; il dit `a son tour :
— Je vous ferai observer, mon colonel, que s’il s’'etait agi d’une mort naturelle, je me serais content'e de vous restituer les documents qui avaient 'et'e recueillis au commissariat de police ; mais, comme vous l’avez su probablement, le capitaine Brocq a 'et'e tu'e, tu'e d’une facon myst'erieuse. Je me suis donc trouv'e en pr'esence d’un crime, et d’un crime de droit commun : l’enqu^ete `a faire relevait de l’autorit'e civile et non de l’autorit'e militaire, croyez bien que je sais mon devoir !
Juve avait prononc'e ces paroles avec le plus grand calme, apparent tout au moins.
Le colonel r'epliqua :
— Je persiste dans mon opinion ; vous n’aviez pas `a vous immiscer dans une affaire qui ne regarde que nous ; la mort du capitaine Brocq co"incide avec la disparition d’un document secret, est-ce `a vous ou `a nous de le rechercher ?
Apr`es une h'esitation, Juve r'etorqua simplement :
— Vous me permettrez de ne pas r'epondre sur ce point.
Il y eut encore un instant de silence glacial.
Le colonel Hofferman, avec une brusquerie toute militaire, venait en effet de mettre le doigt sur la plaie, toujours b'eante, qui irrite depuis de longues ann'ees les services de la S^uret'e et ceux des renseignements militaires lorsque, par suite des circonstances, ils sont appel'es `a intervenir parall`element.
Sans cesse, dans des affaires d’espionnage, il y a conflit.
Le colonel Hofferman, se m'eprenant `a l’attitude du policier, triomphait et, se tournant vers le sous-secr'etaire d’'Etat :
— D’ailleurs, poursuivit-il, j’estime que l’on a fait beaucoup trop de bruit autour du d'ec`es du capitaine Brocq. Cet officier a 'et'e victime d’un accident que nous ne pouvons pas discuter, voil`a tout, et peu importe. Nous autres, militaires, nous sommes partisans de la politique des r'esultats. `A l’heure actuelle, un document nous manque, nous le cherchons : qu’on nous laisse agir. Et, monsieur le sous-secr'etaire d’'Etat, j’en reviens toujours `a ma premi`ere question : Que diable la police a-t-elle 'et'e faire chez le capitaine Brocq ? V'eritablement, plus la S^uret'e va, et plus elle s’arroge des pouvoirs inadmissibles.
Juve, non sans difficult'e, s’'etait contenu, mais d'ecid'ement le colonel Hofferman allait trop loin. `A son tour, le policier 'eclata :
— Monsieur le sous-secr'etaire d’'Etat, d'eclara-t-il de sa voix chaude et vibrante, je ne puis accepter de pareilles observations. J’ai l`a, dans mon dossier, les preuves mat'erielles que l’assassinat du capitaine Brocq est entour'e des 'ev'enements les plus myst'erieux et aussi les plus graves. En bonne logique, qui veut conna^itre la fin doit ^etre au courant des moyens, et pour comprendre quelque chose il faut avoir commenc'e par le commencement. C’est ce commencement que j’apporte, il vaut la peine d’^etre 'etudi'e, monsieur le sous-secr'etaire d’'Etat, je vous en fais juge…
Pris entre deux feux, M. Maranj'evol faisait une figure d'esol'ee… Mais il n’y avait pas moyen de reculer !
M. le sous-secr'etaire d’'Etat, d'ecrochant un r'ecepteur de son t'el'ephone priv'e, avisa le directeur de son cabinet que, par suite d’incidents impr'evus, il ne recevrait pas de la matin'ee.
M. Maranj'evol d'esigna d’un geste las deux si`eges `a ses interlocuteurs et invita Juve `a s’expliquer.
— Mon Dieu, monsieur, commenca l’inspecteur qui avait retrouv'e tout son sang-froid, je ne vous retiendrai pas bien longtemps. Vous savez dans quelles circonstances j’ai 'et'e amen'e `a d'ecouvrir que le capitaine Brocq avait 'et'e myst'erieusement assassin'e ! Il m’importait au plus haut point de pr'eciser quels 'etaient les tenants et aboutissants de cet officier. J’avais `a me renseigner sur sa vie priv'ee, `a conna^itre ses relations, ses fr'equentations habituelles, afin de pouvoir, 'etant document'e sur sa personnalit'e, examiner qui, dans son entourage, aurait eu l’int'er^et `a le faire dispara^itre. Je me suis rendu au domicile de Brocq, rue de Lille, pour y recueillir diverses d'epositions dont j’ai le texte dans mon dossier. Je vous en 'epargne le d'etail. Il en ressort que le capitaine Brocq recevait r'eguli`erement la visite d’une femme qu’il n’a pas encore 'et'e possible d’identifier mais que nous conna^itrons prochainement. Faisons, voulez-vous, messieurs, cinq minutes de psychologie. Dans les suppositions que je vais formuler, l’avis du colonel Hofferman me sera fort pr'ecieux. Si j’en crois mes enqu^etes, le capitaine Brocq 'etait un homme simple, modeste et travailleur, un esprit s'erieux, mod'er'e. D'efinissons l’homme d’un mot : un bourgeois. Cet officier c'elibataire avait-il un temp'erament de coureur ? Vous me permettrez d’en douter ; si le capitaine Brocq avait une liaison et une liaison irr'eguli`ere, c’'etait assur'ement pour le « bon motif ». Brocq devait ^etre un esprit trop droit pour consentir `a l’id'ee de ne pas r'egulariser plus tard sa situation. Est-ce l`a votre avis, mon colonel ?
Hofferman, avec franchise, r'epondit :
— C’est mon avis. Je vous rends justice, monsieur Juve. Tel 'etait bien le caract`ere du capitaine Brocq. Mais je ne vois pas o`u vous voulez en venir ?
— `A ceci, reprit le policier : parmi les relations du capitaine Brocq, se trouve la famille d’un ancien diplomate d’origine autrichienne, M. de Naarboveck. M. de Naarboveck a une fille d’une vingtaine d’ann'ees, M lleWilhelmine, laquelle, au lendemain du d'ec`es a fait preuve d’un d'esespoir profond et d’une 'emotion intense ; je n’irai pas jusqu’`a pr'etendre que M llede Naarboveck 'etait la ma^itresse du capitaine Brocq… mais je vous le laisserais volontiers supposer.
— Comment savez-vous, interrogea le sous-secr'etaire d’'Etat, que M llede Naarboveck a manifest'e du chagrin `a la mort du capitaine Brocq ?
— Par un journaliste qui a 'et'e recu dans l’intimit'e des Naarboveck le lendemain du drame.
— Oh ! un journaliste ! protesta le colonel…
Juve sourit finement :
— C’est un journaliste, mon colonel, pas tout `a fait comme les autres, puisqu’il s’agit de Fandor.
Et il ajouta :