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Nichoune se retourna, cherchant, des yeux, qui venait de prononcer son nom, se demandant bien si c’'etait cet homme-l`a qui, jusqu’alors, n’avait point attir'e son attention.
La jeune femme h'esitait, assez dispos'ee `a poursuivre sa route, lorsqu’un instant le bonhomme entrouvrit son manteau, laissait voir une sorte de bo^ite assez volumineuse, qu’il portait en bandouli`ere…
Et, comme si la vue de cet encombrant paquet avait 'eveill'e des souvenirs tr`es pr'ecis dans l’esprit de la jeune femme, Nichoune se dirigea vers le bonhomme.
— Vous voulez un programme ?
— Rentre imm'ediatement apr`es le concert, souffla le bonhomme.
— Bien ! r'epondit la chanteuse d’un ton soumis… C’est-y que vous ^etes musicien, vous ?
L’homme r'epondit :
— Oui, ma petite, je suis musicien moi aussi. Seulement pas de la m^eme facon que vous : c’est pas de la gaiet'e que je vends…
Et l’inconnu montrait l’accord'eon qu’il portait en bandouli`ere.
***
Tandis que Nichoune, ses programmes distribu'es, remontait pr'ecipitamment dans sa loge, l’homme qui l’avait abord'ee et lui avait sur un ton de commandement enjoint de venir la retrouver, quittait l’'etablissement.
Il suivit un itin'eraire bizarre, tourna `a droite, puis `a gauche, parvint enfin `a une sorte de petit h^otel d’aspect assez mis'erable, mais cependant propre, dans lequel il entra.
Endormi d'ej`a `a moiti'e, le garcon lui tendait un bougeoir qu’il allumait avec une allumette de papier enflamm'ee au bec de gaz. L’homme monta dans sa chambre, dont il ferma soigneusement la porte…
Bien seul alors, et s’'etant assur'e que les volets de sa fen^etre 'etaient mis et que, par cons'equent, on ne pouvait l’observer du dehors, il se d'ebarrassa du long manteau en forme de cape qui l’engoncait, il alluma sa lampe, tira une chaise, s’accouda contre la table… son visage 'etait maintenant en pleine lumi`ere, il 'etait facile de le reconna^itre : l’homme qui venait de parler `a la ma^itresse du caporal Vinson 'etait tout bonnement Vagualame, le mendiant assassin qui avait jadis abord'e Bobinette dans une all'ee du Bois de Boulogne, quelques heures apr`es avoir si audacieusement tu'e d’un coup de fusil le malheureux capitaine Brocq, au moment o`u celui-ci passait en voiture sur la place de l’'Etoile.
Il n’y avait pas longtemps que Vagualame attendait lorsqu’on frappa `a sa porte.
— Qui va l`a ? interrogea-t-il.
— Moi… Nichoune…
Vagualame se levait, ouvrait :
— Entrez, ma ch`ere amie…
Ce n’'etait plus le ton de commandement, le ton bref et volontaire. Vagualame se faisait aimable.
Il consid'erait, d’un oeil ravi d’ailleurs, l’amusante frimousse de sa visiteuse et d'ebuta par un compliment :
— Toujours jolie, ma ch`ere… de plus en plus jolie !
— Je suppose que ce n’est pas pour me dire cela que vous ^etes encore venu `a Ch^alons ? Vous ^etes tr`es en avance, cette quinzaine !… Rien de grave, je pense ?
Vagualame haussa les 'epaules :
— Mais non, pardieu, vous avez toujours peur !
— Dame !… savez-vous, c’est joliment dangereux, ce que nous faisons tous les deux ?…
— Dangereux ? allons donc !… C’est dangereux pour les imb'eciles et pour personne d’autre : nul ne pourra jamais soupconner que la jolie Nichoune sert d’interm'ediaire, de « bo^ite aux lettres », entre moi et « Roubaix… »
— Vous voulez encore me donner quelque chose pour Roubaix ?
Mais Vagualame 'evita de r'epondre directement.
— Vous ne l’avez point revu depuis huit jours ?
— Roubaix ? non…
— Et Nancy ?
— Nancy non plus.
Vagualame semblait r'efl'echir.
— Eh bien, fit-il enfin, cela n’a aucune importance, car je puis vous annoncer que Belfort passera ici, certainement demain matin…
— Belfort ? mais ce n’est pas sa date.
Vagualame semblait irrit'e de la remarque.
— Belfort n’a point de date, dit-il un peu s`echement, je vous ai d'ej`a r'ep'et'e que Belfort 'etait son ma^itre et faisait ce qu’il lui plaisait, c’est un divisionnaire…
Il 'etait 'evident que ces noms de villes, « Roubaix, Nancy, Belfort » d'esignaient de myst'erieux personnages…
— Un divisionnaire, r'ep'etait Nichoune, qu’est-ce que c’est au juste ? Est-ce lui qui centralise tout ?
— Vous me posez des questions, maintenant ? Nichoune, je vous ai d'ej`a avertie, et cela ne date pas d’hier, que je n’admettais jamais une demande de renseignements… En tout cas, je vous le r'ep`ete, Belfort passera ici demain matin, vers les onze heures et demie, midi… Bien entendu, il ne me conna^it pas, il ne se doute m^eme pas de mon existence… que je ne me soucie pas de lui r'ev'eler, puisque je ne dois avoir affaire qu’`a vous. C’est indirectement, tr`es indirectement, que j’ai appris sa prochaine venue… et aussi qu’il aurait occasion de vous prendre entre les mains l’enveloppe que voici…
Vagualame venait de fouiller dans la poche int'erieure de son veston. Il tendit `a la jeune femme un large papier scell'e de cire rouge.
— Attention ! recommanda-t-il, tendant toujours l’enveloppe, je vous signale que ce document est important. On a eu beaucoup de peine `a l’avoir… infiniment de peine… il ne faut pas qu’il s’'egare, il faut qu’il soit remis le plus vite possible, dites-le `a Belfort… Eh bien ?…
Nichoune ne semblait point du tout press'ee de prendre le d'ep^ot que voulait lui remettre Vagualame.